Page images
PDF
EPUB

doit suivre, dans chaque particulier, tous les à l'expérience à combler successivement les vides petits fils par lesquels une des parties litigantes que nous laissons. Les codes des peuples se font tient à l'autre, ne peut jamais appartenir au lé-avec le temps; mais, à proprement parler, on gislateur, uniquement ministre de cette justice ne les fait pas.

ou de cette équité générale, qui, sans égard à Il nous a paru utile de commencer nos travaux aucune circonstance particulière, embrasse l'uni-par un livre préliminaire du droit et des lois en versalité des choses et des personnes. Des lois général. intervenues sur des affaires privées seraient donc souvent suspectes de partialité, et toujours elles seraient rétroactives et injustes pour ceux dont le litige aurait précédé l'intervention de ces

lois.

19. Le droit est la raison universelle, la suprême raison fondée sur la nature même des choses. Les lois ne sont ou ne doivent être que le droit réduit en règles positives, en préceptes particuliers.

Le droit est moralement obligatoire: mais, De plus, le recours au législateur entraînerait des longueurs fatales aux justiciables; et, ce qui par lui-même, il n'emporte aucune contrainte; est pire, il compromettrait la sagesse et la sain-il dirige, les lois commandent; il sert de boussole, et les lois de compas. teté des lois.

Les divers peuples entre eux ne vivent que

En effet, la loi statue sur tous : elle considère les hommes en masse, jamais comme particu-sous l'empire du droit, les membres de chaque liers; elle ne doit point se mêler des faits indi- cité sont régis, comme hommes, par le droit; et viduels ni des litiges qui divisent les citoyens. comme citoyens, par des lois. 20. Le droit naturel et le droit des gens ne S'il en était autrement, il faudrait journellement faire de nouvelles lois : leur multitude étouffe- diffèrent point dans leur substance, mais seulerait leur dignité et nuirait à leur observation. Le ment dans leur application. La raison, en tant jurisconsulte serait sans fonctions, et le législa- qu'elle gouverne indéfiniment tous les hommes, teur, entraîné par les détails, ne serait bientôt s'appelle droit naturel; et elle est appelée plus que jurisconsulte. Les intérêts particuliers droit des gens, dans les relations de peuple à assiégeraient la puissance législative; ils la dé-peuple. tourneraient, à chaque instant, de l'intérêt général de la société.

vidus, d'avec les capitulations, les traités et les coutumes qui sont l'ouvrage des peuples.

Si l'on parle d'un droit des gens naturel et d'un droit des gens positif, c'est pour distinguer 17. Il y a une science pour les législateurs, les principes éternels de justice que les peuples comme il y en a une pour les magistrats; et l'une n'ont point faits, et auxquels les divers corps de ne ressemble pas à l'autre. La science du légis-nations sont soumis comme les moindres indilateur consiste à trouver, dans chaque matière, les principes les plus favorables au bien commun: la science du magistrat est de mettre ces 21. En jetant les yeux sur les définitions que principes en action, de les ramifier, de les éten- la plupart des jurisconsultes ont données de la dre, par une application sage et raisonnée, aux loi, nous nous sommes aperçus combien ces déhypothèses privées; d'étudier l'esprit de la loi finitions sont défectueuses. Elles ne nous metquand la lettre tue, et de ne pas s'exposer autent point à portée d'apprécier la différence qui risque d'être tour à tour esclave et rebelle, et de existe entre un principe de morale et une loi d'État. désobéir par esprit de servitude.

Dans chaque cité, la loi est une déclaration solennelle de la volonté du souverain sur un objet d'intérêt commun.

Toutes les lois se rapportent aux personnes ou aux biens, et aux biens pour l'utilité des personnes.

18. Il faut que le législateur veille sur la jurisprudence: il peut être éclairé par elle, et il peut, de son côté, la corriger; mais il faut qu'il y en ait une. Dans cette immensité d'objets divers qui composent les matières civiles, et dont le jugement, dans le plus grand nombre des cas, 22. Il importe, même en traitant uniquement est moins l'application d'un texte précis, que la combinaison de plusieurs textes qui conduisent des matières civiles, de donner une notion géà la décision bien plus qu'ils ne la renferment, nérale des diverses espèces de lois qui régissent on ne peut pas plus se passer de jurisprudence un peuple; car toutes les lois, de quelque ordre que de lois. Or c'est à la jurisprudence que nous qu'elles soient, ont entre elles des rapports nécesabandonnons les cas rares et extraordinaires qui saires. Il n'est point de question privée dans lane sauraient entrer dans le plan d'une législation quelle il n'entre quelque vue d'administration raisonnable, les détails trop variables et trop publique; comme il n'est aucun objet public qui contentieux qui ne doivent point occuper le lé-ne touche plus ou moins aux principes de cette gislateur, et tous les objets que l'on s'efforcerait justice distributive qui règle les intérêts privés. inutilement de prévoir, ou qu'une prévoyance 25. Pour connaître les divers ordres de lois. précipitée ne pourrait définir sans danger. C'est il suffit d'observer les diverses espèces de rap

ports qui existent entre des hommes vivant dans |ments sont des actes de magistrature, et les lois, la même société. des actes de souveraineté.

Les rapports de ceux qui gouvernent avec ceux qui sont gouvernés, et de chaque citoyen avec tous, sont la matière des lois constitutionnelles et politiques.

25. Les lois ne peuvent obliger sans être connues, nous nous sommes occupés de la forme de leur promulgation. Elles ne peuvent être nolifiées à chaque individu. On est forcé de se conLes lois civiles disposent sur les rapports na-tenter d'une publicité relative, qui, si elle ne turels ou conventionnels, forcés ou volontaires, de rigueur ou de simple convenance, qui lient tout invidu à un autre individu ou à plusieurs. Le code civil est sous la tutelle des lois politiques; il doit leur être assorti. Ce serait un grand mal qu'il y eût de la contradiction dans les maximes qui gouvernent les hommes.

Les lois pénales ou criminelles sont moins une espèce particulière de lois que la sanction de loutes les autres.

Elles ne règlent pas, à proprement parler, les rapports des hommes entre eux, mais ceux de chaque homme avec les lois, qui veillent pour tous.

Les affaires militaires, le commerce, le fisc, et plusieurs autres objets, supposent des rapports particuliers qui n'appartiennent exclusivement à aucune des divisions précédentes (1).

peut produire à temps, dans chaque citoyen, la connaissance de la loi à laquelle il doit se conformer, suffit au moins pour prévenir tout arbitraire sur le moment où la loi doit être exécutée.

26. Nous avons déterminé les divers effets de la loi. Elle permet ou elle défend; elle ordonne, elle établit, elle corrige, elle punit ou elle récompense. Elle oblige indistinctement tous ceux qui vivent sous son empire; les étrangers mêmes, pendant leur résidence, sont les sujets casuels des lois de l'État. Habiter le territoire, c'est se soumettre à la souveraineté.

Ce qui n'est pas contraire aux lois est licite. Mais ce qui leur est conforme n'est pas toujours honnête; car les lois s'occupent plus du bien politique de la société que de la perfection morale de l'homme.

En général, les lois n'ont point d'effet rétroac24. Les lois, proprement dites, diffèrent des tif. Le principe est incontestable. Nous avons simples règlements. C'est aux lois à poser, dans pourtant limité ce principe aux lois nouvelles; chaque matière, les règles fondamentales, et à nous ne l'avons point étendu à celles qui ne font déterminer les formes essentielles. Les détails que rappeler ou expliquer les anciennes lois. Les d'exécution, les précautions provisoires ou acci- erreurs ou les abus intermediaires ne font point dentelles, les objets instantanés ou variables, en droit, à moins que, dans l'intervalle d'une loi à un mot, toutes les choses qui sollicitent bien plus l'autre, elles n'aient été consacrées par des la surveillance de l'autorité qui administre que transactions, par des jugements en dernier resl'intervention de la puissance qui institue ou qui sort ou par des décisions arbitrales passées en crée, sont du ressort des règlements. Les règle-force de chose jugée.

(1) est certain que l'objet commun des lois positives est de régler les droits et les devoirs, et comme les uns et les autres naissent des rapports qui se forment entre les hommes, la commission a eu raison de dire que, pour connaître les divers ordre de lois, il suffit d'observer les diverses espèces de rapports.

Mais de là même suit qu'il ne peut pas, comme la commission le suppose, y avoir des lois qui, à proprement parler, ne règlent pas les rapports.

Les rapports entre les nations constituent l'ordre qu'on peut appeler diplomatique, et sont réglés par le droit des gens, entendu non à la fausse manière des Romains, mais dans la vérité des choses; non comme jus gentium, mais comme jus inter gentes.

Toute loi positive rentre donc ou dans le droit privé, ou dans le droit public, ou dans le droit des gens, parce qu'on ne peut en imaginer aucun qui n'ait pour objet de régler les rapports, et qu'on ne saurait concevoir d'autres rapports que ceux qui constituent les trois ordres de choses que je viens d'indiquer.

On ne saurait concevoir que trois sortes de rapports entre les hommes : les rapports individuels des deux côtés que la nature ou des circonstances établissent entre les La commission n'a été embarrassée d'y trouver la place particuliers; les rapports individuels d'un côté et collectifs des lois pénales et criminelles, des lois militaires, des lois de l'autre, que le pacte social forme entre chaque nation fiscales, des lois de commerce, que parce qu'elle n'a pas et les individus qui la composent ; enfin, les rapports col- fait attention que les lois criminelles, les lois militaires, les lectifs des deux côtés, qui existent entre les diverses na-lois fiscales, ayant pour but le maintien de la société politions. tique, et fixant la manière dont chacun doit y concourir, Ces rapports constituent autant d'ordres de choses diffé-elles font essentiellement partie du droit public; qu'il en rents, dont chacun appelle un ordre de foi qui lui soit propre.

Les rapports individuels ont toujours la propriété pour fio, même en ce qui touche l'état des personnes. Ils forment l'ordre civil, et leurs suites sont réglées par le droit privé. Les rapports de l'État avec ses membres et des citoyens avec l'Etat, constituent l'ordre public, et sont réglés par le droit public ou politique.

est de même des lois commerciales qui concernent l'ordre public, et que celles de ces lois qui se rapportent aux transactions commerciales entre les particuliers, ne sont que des modifications du droit civil.

Tout cela a été plus au long expliqué dans les chapitres 15 et suivants de l'Introduction placée en tête de l'Esprit du Code civil. J'y renvoie le lecteur.

27. Les lois conservent leur effet, tant qu'elles | le caractère national, et qui sont dignes des ne sont point abrogées par d'autres lois, ou meilleurs temps. Nous n'avons renoncé qu'à qu'elles ne sont point tombées en désuétude. Si celles dont l'esprit a disparu devant un autre nous n'avons pas formellement autorisé le mode esprit, dont la lettre n'est qu'une source jourd'abrogation par la désuétude ou le non-usage, nalière de controverses interminables, et qui c'est qu'il eût peut-être été dangereux de le faire. répugnent autant à la raison qu'à nos mœurs. Mais peut-on se dissimuler l'influence et l'utilité 32. En examinant les dernières ordonnances de ce concert indélibéré, de cette puissance in- royales, nous en avons conservé tout ce qui tient visible, par laquelle, sans secousse et sans com- à l'ordre essentiel des sociétés, au maintien de motion, les peuples se font justice des mauvaises la décence publique, à la sûreté des patrimoines, lois, et qui semblent protéger la société contre à la prospérité générale. les surprises faites au législateur, et le législateur contre lui-même?

28. Le pouvoir judiciaire, établi pour appliquer les lois, a besoin d'être dirigé, dans cette application, par certaines règles. Nous les avons tracées elles sont telles, que la raison particulière d'aucun homme ne puisse jamais prévaloir sur la loi, raison publique.

Après avoir rédigé le livre préliminaire du droit et des lois en général, nous avons passé aux objets que les lois civiles sont chargées de définir et de régler.

29. La France, autrefois divisée en pays coutumiers et en pays de droit écrit, était régie en partie par des coutumes et en partie par le droit écrit. Il y avait quelques ordonnances royales communes à tout l'empire.

33. Nous avons respecté, dans les lois publiées par nos assemblées nationales sur les matières civiles, toutes celles qui sont liées aux grands changements opérés dans l'ordre politique, ou qui, par elles-mêmes nous ont paru évidemment préférables à des institutions usées et défectueuses. Il faut changer, quand la plus funeste de toutes les innovations serait, pour ainsi dire, de ne pas innover. On ne doit point céder à des préventions aveugles. Tout ce qui est ancien a été nouveau. L'essentiel est d'imprimer aux institutions nouvelles ce caractère de permanence et de stabilité qui puisse leur garantir le droit de devenir anciennes.

34. Nous avons fait, s'il est permis de s'exprimer ainsi, une transaction entre le droit écrit et les coutumes, toutes les fois qu'il nous a été posDepuis la révolution, la législation française sible de concilier leurs dispositions, ou de les a subi, sur des points importans, des change-modifier les unes par les autres, sans rompre ments considérables. Faut-il écarter tout ce qui est nouveau? faut-il dédaigner tout ce qui est ancien ?

50. Le droit écrit, qui se compose des lois romaines, a civilisé l'Europe. La découverte que nos aïeux firent de la compilation de Justinien, fut pour eux une sorte de révélation. C'est à cette époque que nos tribunaux prirent une forme plus régulière, et que le terrible pouvoir de juger | fut soumis à des principes.

La plupart des auteurs qui censurent le droit romain avec autant d'amertume que de légèreté, blasphèment ce qu'ils ignorent. On en sera bientôt convaincu, si, dans les collections qui nous ont transmis ce droit, on sait distinguer les lois qui ont mérité d'être appelées la raison écrite, d'avec celles qui ne tenaient qu'à des institutions particulières, étrangères à notre situation et à nos usages; si l'on sait distinguer encore les sénatus-consultes, les plébiscites, les édits des bons princes, d'avec les rescrits des empereurs, espèce de législation mendiée, accordée au crédit ou à l'importunité, et fabriquée dans les cours de tant de monstres qui ont désolé Rome, et qui vendaient publiquement les jugements et les lois. 51. Dans le nombre de nos coutumes, il en est sans doute qui portent l'empreinte de notre première barbarie; mais il en est aussi qui font honneur à la sagesse de nos pères, qui ont formé

l'unité du système, et sans choquer l'esprit général. Il est utile de conserver tout ce qu'il n'est pas nécessaire de détruire: les lois doivent ménager les habitudes, quand ces habitudes ne sont pas des vices. On raisonne trop souvent comme si le genre humain finissait et commençait à chaque instant, sans aucune sorte de communication entre une génération et celle qui la remplace. Les générations, en se succédant, se mêlent, s'entrelacent et se confondent. Un législateur isolerait ses institutions de tout ce qui peut les naturaliser sur la terre, s'il n'observait avec soin les rapports naturels qui lient toujours, plus ou moins, le présent au passé, et l'avenir au présent, et qui font qu'un peuple, à moins qu'il ne soit exterminé, ou qu'il ne tombe dans une dégradation pire que l'anéantissement, ne cesse jamais, jusqu'à un certain point, de se ressembler à lui-même. Nous avons trop aimé, dans nos temps modernes, les changements et les réformes: si, en matière d'institutions et de lois, les siècles d'ignorance sont le théâtre des abus, les siècles de philosophie et de lumières ne sont que trop souvent le théâtre des excès.

35. Le mariage, le gouvernement des familles, l'état des enfants, les tutelles, les questions de domicile, les droits des absents, la différente nature des biens, les divers moyens d'acquérir, de conserver ou d'accroître sa fortune; les succes

sions, les contrats, sont les principaux objets | plus ou moins, à tous les actes de leur vie; le d'un code civil. Nous devons exposer les prin- sentiment est à côté de l'appétit, le droit succipes qui ont motivé nos projets de loi sur ces cède à l'instinct, et tout s'épure ou s'ennoblit. objets importants, et indiquer les rapports que ces projets peuvent avoir avec le bien général, avec les mœurs publiques, avec le bonheur des particuliers, et avec l'état présent de toutes choses.

56. Ce n'est que dans ces derniers temps que l'on a eu des idées précises sur le mariage. Le mélange des institutions civiles et des institutions religieuses avait obscurci les premières notions. Quelques théologiens ne voyaient dans le mariage que le sacrement; la plupart des jurisconsultes n'y voyaient que le contrat civil. Quelques auteurs faisaient du mariage une espèce d'acte mixte, qui renferme à la fois et un contrat civil et un contrat ecclésiastique. La loi naturelle n'était comptée pour rien dans le premier et le plus grand acte de la nature.

Les idées confuses que l'on avait sur l'essence et sur les caractères de l'union conjugale, produisaient des embarras journaliers dans la législation et dans la jurisprudence. Il y avait toujours conflit entre le sacerdoce et l'empire, quand il s'agissait de faire des lois ou de prononcer des jugements sur cette importante matière. On ignorait ce que c'est que le mariage en soi, ce que les lois civiles ont ajouté aux lois naturelles, ce que les lois religieuses ont ajouté aux lois civiles, et jusqu'où peut s'étendre l'autorité de ces diverses espèces de lois.

37. Toutes ces incertitudes se sont évanouies, tous ces embarras se sont dissipés, à mesure que l'on est remonté à la véritable origine du mariage, dont la date est celle mème de la création. Nous nous sommes convaincus que le mariage, qui existait avant l'établissement du christianisme, qui a précédé toute loi positive, et qui dérive de la constitution même de notre être, n'est ni un acte civil, ni un acte religieux, mais un acte naturel qui a fixé l'attention des législateurs, et que la religion a sanctifié.

58. Les jurisconsultes romains, en parlant du mariage, ont souvent confondu l'ordre physique de la nature, qui est commun à tous les êtres animés, avec le droit naturel, qui régit particulièrement les hommes, et qui est fondé sur les rapports que des êtres intelligents et libres ont avec leurs semblables. De là on a mis en question s'il y avait quelque caractère de moralité dans le mariage considéré dans l'ordre purement naturel.

On conçoit que les ètres dépourvus d'intelligence, qui ne cèdent qu'à un mouvement ou à un penchant aveugle, n'ont entre eux que des rencontres fortuites, ou des rapprochements périodiques, dénués de toute moralité. Mais, chez les hommes, la raison se mêle toujours,

Sans doute, le désir général qui porte un sexe vers l'autre, appartient uniquement à l'ordre physique de la nature; mais le choix, la préférence, l'amour, qui détermine ce désir, et le fixe sur un seul objet, ou qui, du moins, lui donne sur l'objet préféré un plus grand degré d'énergie; les égards mutuels, les devoirs et les obligations réciproques qui naissent de l'union une fois formée, et qui s'établissent entre des êtres raisonnables et sensibles, tout cela appartient au droit naturel. Dès lors ce n'est plus une simple rencontre que nous apercevons, c'est un véritable contrat.

39. L'amour ou le sentiment de préférence qui forme ce contrat, nous donne la solution de tous les problèmes proposés sur la pluralité des femmes ou des hommes dans le mariage; car tel est l'empire de l'amour, qu'à l'exception de l'objet aimé, un sexe n'est plus rien pour l'autre. La préférence que l'on accorde, on veut l'obtenir; l'engagement doit être réciproque. Bénissons la nature, qui, en nous donnant des penchants irrésistibles, a placé dans notre propre cœur la règle et le frein de ces penchants. On a pu dire que, sous certains climats et dans certaines circonstances, la polygamie est une chose moins révoltante que dans d'autres circonstances et sous d'autres climats. Mais, dans tous les pays, elle est inconciliable avec l'essence d'un engagement par lequel on se donne tout, le corps et le cœur. Nous avons donc posé la maxime que le mariage ne peut être que l'engagement de deux individus, et que, tant qu'un premier mariage subsiste, il n'est pas permis d'en contracter un second.

Le rapprochement de deux sexes que la nature n'a faits si différents que pour les unir, a bientôt des effets sensibles. La femme devient mère : un nouvel instinct se développe, de nouveaux sentiments, de nouveaux devoirs fortifient les premiers. La fécondité de la femme ne tarde pas à se manifester encore. La nature étend insensiblement la durée de l'union conjugale, en cimentant chaque année cette union par des jouissances nouvelles et par de nouvelles obligations. Elle met à profit chaque situation, chaque événement, pour en faire sortir un nouvel ordre de plaisirs et de vertus.

L'éducation des enfants exige, pendant une longue suite d'années, les soins communs des auteurs de leurs jours. Les hommes existent longtemps avant de savoir vivre; comme, vers la fin de leur carrière, souvent ils cessent de vivre avant de cesser d'exister. Il faut protéger le berceau de l'enfance contre les maladies et les besoins qui l'assiégent. Dans un âge plus avancé,

l'esprit a besoin de culture. Il importe de veiller sur les premiers développements du cœur, de réprimer ou de diriger les premières saillies des passions, de protéger les efforts d'une raison naissante, contre toutes les espèces de séductions qui l'environnent; d'épier la nature pour n'en pas contrarier les opérations, afin d'achever avec elle le grand ouvrage auquel elle daigne nous associer.

magistrats, partout où le maintien de la liberté demande que les magistrats ne soient que des pères.

43. Quand on connait l'essence, les caractères et la fin du mariage, on découvre sans peine quels sont les empèchements qui, par leur propre force, rendent une personne incapable de le contracter, et quels sont, parmi ces empêchements, ceux qui dérivent de la loi positive, et Pendant tout ce temps, le mari, la femme, ceux qui sont établis par la nature elle-même. les enfants, réunis sous le même toit et par les Dans ceux établis par la nature, on doit ranger plus chers intérêts, contractent l'habitude des le défaut d'âge. En général, le mariage est permis plus douces affections. Les deux époux sentent à tous ceux qui peuvent remplir le vœu de son le besoin de s'aimer, et la nécessité de s'aimer institution. Il n'y a d'exception naturelle à cette toujours. On voit naître et s'affermir les plus règle de droit naturel que pour les personnes doux sentiments qui soient connus des hommes, parentes jusqu'à certains degrés. Le mariage doit l'amour conjugal et l'amour paternel. être prohibé entre tous les ascendants et descenLa vieillesse, s'il est permis de le dire, n'ar-dants en ligne directe: nous n'avons pas besoin rive jamais pour des époux fidèles et vertueux. d'en donner les raisons; elles ont frappé tous Au milieu des infirmités de cet âge, le fardeau les législateurs. Le mariage doit encore être d'une vie languissante est adouci par les souve- prohibé entre frères et sœurs, parce que la fanirs les plus touchants, et par les soins si néces-mille est le sanctuaire des mœurs, et que les saires de la jeune famille dans laquelle on se voit renaître, et qui semble nous arrêter sur les bords du tombeau.

Tel est le mariage, considéré en lui-même et dans ses effets naturels, indépendamment de toute loi positive. Il nous offre l'idée fondamentale d'un contrat proprement dit, et d'un contrat perpétuel par sa destination.

40. Comme ce contrat, d'après les observations que nous venons de présenter, soumet les époux, l'un envers l'autre, à des obligations respectives, comme il les soumet à des obligations communes envers ceux auxquels ils ont donné l'être, les lois de tous les peuples policés ont cru devoir établir des formes qui puissent faire reconnaître ceux qui sont tenus à ces obligations. Nous avons déterminé ces formes.

mœurs seraient menacées par tous les préliminaires d'amour, de désir et de séduction, qui précèdent et préparent le mariage. Quand la prohibition est étendue à des degrés plus éloignés, ce ne peut être que par des vues politiques.

Le défaut de liberté, le rapt, l'erreur sur la personne, sont pareillement des empêchements naturels, parce qu'ils excluent l'idée d'un véritable consentement. L'intervention des pères, des tuteurs, n'est qu'une condition prescrite par la loi positive. Le défaut de cette intervention n'opère qu'une nullité civile. Le législateur peut, par des vues d'ordre public, établir tels empêchements qu'il juge convenables; mais ces empê chements ne sont alors que de pur droit positif.

44. En pesant les empêchements apposés au mariage, les formes et les conditions requises pour sa validité, nous avons marqué les cas où il est plus expédient de réparer le mal que de le

41. La publicité, la solennité des mariages, peuvent seules prévenir ces conjonctions vagues et illicites qui sont si peu favorables à la propa-punir, et nous avons distingué les occurrences gation de l'espèce.

42. Les lois civiles doivent interposer leur autorité entre les époux, entre les pères et les enfants; elles doivent régler le gouvernement de la famille. Nous avons cherché dans les indications de la nature le plan de ce gouvernement. L'autorité maritale est fondée sur la nécessité de donner, dans une société de deux individus, la voix pondérative à l'un des associés, et sur la prééminence du sexe auquel cet avantage est attribué. L'autorité des pères est motivée par leur tendresse, par leur expérience, par la maturité de leur raison, et par la faiblesse de celle de leurs enfants. Cette autorité est une sorte de magistrature à laquelle il importe, surtout dans les États libres, de donner une certaine étendue. Oui, on a besoin que les pères soient de vrais

dans lesquelles les nullités peuvent être couvertes par la conduite des parties ou par le seul laps du temps, d'avec celles où l'abus appelle toujours la vindicte des lois.

45. Il résulte de ce que nous avons dit, que le mariage est un contrat perpétuel par sa destination. Des lois récentes autorisent le divorce; faut-il maintenir ces lois?

46. En admettant le divorce, le législateur n'entend point contrarier le dogme religieux de l'indissolubilité, ni décider un point de conscience. Il suppose seulement que les passions les plus violentes, celles qui ont fait et qui font encore tant de ravages dans le monde, peuvent détruire l'harmonie qui doit régner entre deux époux; il suppose que les excès peuvent être assez graves pour rendre à ces époux leur vie

« PreviousContinue »