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général Dubreton, ayant forcé le général anglais à faire, dans toutes les règles, le siége de cette bicoque, ce général crut pouvoir, avec une forte partie de son armée, faire un mouvement menaçant sur la capitale. Il passa les monts Guadarama et descendit dans les plaines de la Nouvelle-Castille où, à la première rencontre auprès de Majalahonda, sa cavalerie fut très maltraitée par la division de dragons aux ordres du général Treilhard.

une privation cruelle. L'eau potable manqua. Elle eut à supporter, sans abri, un mauvais temps et une pluic continuelle qui, détrempant le terrain des remparts, obligeait les soldats à combattre et à coucher dans la boue. Rien cependant, ni fatigue ni dangers, ne diminua leur constance; la garnison de Burgos eut la gloire d'arrêter les progrès de l'armée anglo-portugaise, et donna aux armées françaises, du Nord et du Portugal, le temps de se réunir, de se reformer et de reprendre

l'offensive.

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CHAPITRE XXX.

Retraite sur Valence.

Grand convoi.

Évacuation de

l'Andalousie. Prise de Chinchilla.

CE mouvement en forces de l'armée anglaise détermina le roi, après ce combat de cavalerie, et d'après les renseignemens les plus exacts, évacuer sa capitale et à se replier sur Valence. L'armée du Midi, commandée par M. le maréchal Soult, reçut aussi l'ordre de quitter l'Andalousie, et ne l'exécuta pas sans regrets.

On vit alors sortir de Madrid (le 12 août 1812), avec les troupes sous mes ordres, qui formèrent leur escorte jusqu'à Aranjuez, une quantité considérable de familles espagnoles et françaises. Le nombre de voitures, charrettes, fourgons, tartanes, qui arrivèrent avec moi dans le royaume de Valence, après que j'eus repris à Almanza, du général d'Armagnac appelé à un autre commandement, celui de ce grand convoi, montait à deux mille cinq cent trente-sept: celui des in

dividus étrangers à l'armée passait vingt mille, et d'après le recensement général, fait à Alberique par ordre de M. le maréchal Suchet, il s'en trouvait un pareil nombre en voitures, ou monté sur des ânes, des chevaux et des mulets.

Dans sa retraite sur Valence, cet immense convoi n'eut heureusement à suivre qu'une grande route large et magnifiquement construite. Les voitures, partagées en plusieurs divisions appuyées chacune de quelques troupes, marchaient constamment sur deux lignes de chaque côté de la route (*). La première division était composée d'une quarantaine de carrosses appartenant au roi, des équipages de ses ministres et des officiers de sa maison. Chaque division comprenait quatre ou cinq cents voitures, et telle était l'étendue de terrain occupée par la double file des chevaux de trait et des charrois, que la première division arrivait au lieu où le convoi devait passer la nuit à venir, alors que la dernière division sortait à peine de celui où il avait bivouaqué la nuit précédente. Le convoi ne fut inquiété dans son mouve

(*) Cet ordre de marche avait été adopté pour diminuer la longueur du convoi, et pour en faciliter la défense aux troupes chargées de l'escorte.

ment ni par les Anglais, ni par les guerillas ́espagnoles. Le pont d'Aranjuez, ayant été coupé, arrêta les troupes de l'armée anglo-portugaise, qui voulaient tenter la poursuite. L'escorte était composée des brigades de la garde du roi Joseph, marchant sur les flancs à une ou deux lieues de la route, des régimens espagnols et de plusieurs corps français : elle se montait à vingt et quelques mille hommes. Cette escorte eut beaucoup à souffrir de la chaleur et du manque d'eau (*). Nous voyagions au mois d'août sur le plateau de la Manche le plus élevé et le plus sec des Espagnes. Pendant une longue marche, du côté de Bonete, plusieurs soldats succombèrent à la soif qui les dévorait, on les vit se reposer

(*) Nous marchâmes pendant huit jours entiers, depuis la Provencia jusqu'à Fuente de la Higuera (quarante lieues de France), sans rencontrer aucun ruisseau. Le petit nombre de puits placés dans les villages de la route étaient bientôt à sec, par suite du grand nombre de chevaux et de bêtes de traits et de somme que nous conduisions avec nous. Il fallait quelquefois s'écarter à deux ou trois lieues de la route, pour aller dans quelques villages hors des communications, remplir d'eau les outres nécessaires aux hommes et aux chevaux. Un autre inconvénient résultait de l'excès de la chaleur : la poix qui garnit l'intérieur des peaux de bouc était devenue liquide et se mêlait à la boisson.

sur le bord du chemin, s'étendre sur le dos et périr dans les convulsions d'un rire effroyable, aux yeux de leurs camarades désespérés. Ce qui contribuait à augmenter la soif, c'était le nuage de poussière élevé par la marche du convoi : ce nuage, de quelques lieues de longueur, d'une demi lieue de largeur et d'une hauteur considérable, s'apercevait à plusieurs lieues de distance. Cette poussière impalpable et corrosive, pénétrait, malgré toutes les précautions, jusque dans les voitures les mieux fermées. Elle aveuglait les cavaliers et les fantassins, s'attachait au palais, desséchait la langue et, attaquant la poitrine, occasionnait une toux violente et douloureuse. Quand le convoi eut dépassé les frontières de la province de Tolede, et quand il arriva dans la province de Cuença et dans le royaume de Murcie, on trouva des vignes aux environs de la route; les soldats attirés par la saveur acide des grappes, qui apaisait momentanément leur soif, se précipitèrent avec avidité sur le raisin qui n'était pas encore mûr, et bientôt un grand nombre d'entre eux furent atteints par la dyssenterie.

Les plaines immenses de la Manche peu peuplées, privées d'eau et de verdure, ressemblent aux steppes de l'Ukraine ou des grands plateaux de la Tartarie; le convoi offrait aussi

TOM. III.

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