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simple pantalon de toile et en bonnet, portant sur ses épaules ou sur sa tête, selon qu'il nage plus ou moins légèrement, un gilet et un sarrau léger. On lui donne quelques pièces d'or ayant cours dans le pays, il met ses dépêches dans une double vessie, et les porte où l'on veut, quand il a passé la ligne ennemie. Au moyen de son or, il se pourvoit des effets indispensables d'habillement, et se met en route. Il importe à la sûreté des dépêches que cet émissaire sache la langue du pays qu'il doit traverser, et qu'il ne soit ni causeur ni porté au vin. Le moyen pour sortir de la place sera employé au-dessus de la ville pour y rentrer.

Il arrive quelquefois que l'assiégeant, après avoir établi son camp autour d'une ville, somme le gouverneur, lui donne de mauvaises nouvelles, et lui offre même de laisser passer un officier pour aller s'en assu rer. Le gouverneur peut profiter de cette offre pour envoyer à son prince, ou au général en chef de sa nation, tous les détails qu'il croit devoir lui donner, tant sur sa position que sur celle de l'ennemi,

Il est aussi des circonstances très graves, dans lesquelles le danger de porter des lettres est si grand pour les malheureux qu'on emploie, qu'on ne peut plus en trouver, à quelque prix que ce soit.

En Espagne, nos lettres passaient de justice en justice (municipalité en municipalité). Il y en avait bien quelques-unes de perdues, mais il en parvenait toujours, au moyen des duplicata (*): le plus difficile était de

(*) Voyez tome 11 de mes Mémoires, page 74.

les faire sortir des villes, parce que les bourgeois sont, en général, moins braves, moins habiles que les paysans pour ces sortes de commissions, et qu'ils se faisaient entre eux un tableau épouvantable des dangers qu'on y courait.

Il arrivait, il est vrai, quelquefois que les guerillas fendaient aux porteurs une oreille, comme traîtres, ou la leur coupaient entièrement, D'autres fois, ils les détenaient dans des cachots ou les fusillaient impitoyablement. Alors, quand on n'avait rien de pressant à écrire, on interrompait soi-même la correspondance pendant quelques jours; mais quand il fallait absolument qu'elle passât, on ne négligeait rien, et l'on usait de toute la latitude possible, jusqu'à promettre, dans certains cas, la grâce à des criminels déjà condamnés, si leurs femmes ou leurs parens rapportaient la preuve que la dépêche avait été remise à son adresse.

Pour expliquer comment on peut établir de nuit une correspondance entre deux places qui se voient, je n'ai besoin que de rapporter ce que j'ai fait moimême, et ce que je ferais encore en pareil cas.

Pendant le blocus de Thionville, en 1814, j'ai communiqué avec Metz par des feux, quand tout autre moyen m'a été interdit; je ferais la même chose en cas d'événemens graves, quand, gouverneur d'une place, j'aurais été trois jours sans pouvoir communiquer avec la place voisine.

Je ferais allumer trois feux, distans de deux mètres l'un de l'autre, pour annoncer que je n'ai rien de nouveau : ils seront allumés au premier coup de dix heures,

TOM. III.

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brûleront pendant vingt minutes, montre à la main, et seront éteints ensemble à dix heures vingt minutes précises.

Quatre feux annonceront qu'il y a du nouveau, mais rien d'inquiétant ;

Cinq feux, que l'ennemi a reçu des renforts;

Six feux, que nous avons eu une affaire heureuse. Dix feux allumés, à trois mètres de distance pendant toute la nuit, seront un signal de grande détresse.

Deux feux entretenus seulement toute la nuit annonceront que la détresse a cessé.

Pour que les signaux soient aperçus, je les fais faire avec des tourteaux goudronnés, dont je remplis des réchauds de 15 pouces de diamètre.

A Thionville les signaux se plaçaient sur un plan horizontal et sur les tours de la paroisse.

A Metz, on me répondait par un nombre égal de signaux, pour m'annoncer qu'on voyait les miens : ces signaux étaient placés sur la cathédrale.

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La population de l'Espagne a souffert de grandes variations :

Du temps des Romains, suivant l'opinion commune et le témoignage de tous les auteurs anciens, elle était de quarante millions d'individus. L'écrivain moderne, le plus modéré dans ses évaluations, pense qu'elle s'élevait au moins à vingt millions d'habitans. Cependant en 1808, suivant le recensement officiel, le nombre total des Espagnols de la Péninsule et des îles Canaries, n'était que de 10,541,221 (*).

Les recensemens faits à diverses époques présentent des résultats bien différens entre eux :

A la fin du xive siècle, on comptait. 21,700,800 individus.
A la fin du xve

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15,000,000

10,000,000

8,000,000

6,000,000

9,307,804

10,143,975

(*) Voyez tome 11 de ces Mémoires, pages xx et xxi.

On voit que la population a toujours été en diminuant jusqu'à l'avénement des princes de la maison de Bourbon, et que, depuis, elle a toujours augmenté. Ce résultat fait honneur à leur administration.

Plusieurs causes ont successivement contribué à la dépopulation de l'Espagne :

1o Les guerres continuelles des Romains et des Carthaginois, des généraux de Marius et de ceux de Sylla. 2° Les invasions des barbares du Nord.

3o La grande invasion des Maures, en 713. 4 Les guerres des chrétiens et des Maures, guerres civiles des chrétiens, celles des Musulmans.

les

5o La peste qui a ravagé l'Espagne à diverses époques, en 1341, 1348, 1483, 1488, 1501, 1506 et 1649, et la fièvre jaune.

6° La famine reparaissant souvent, malgré la fertilité des terres, dans un pays mal cultivé. En 1540, ce fléau enleva le onzième de la population.

7° L'expulsion des Juifs, en 1492. (Il en sortit plus de 800,000 à la fois).

8° L'expulsion des Maures, en 1614. (Dix millions d'individus quittèrent alors d'Espagne.)

9° La découverte de l'Amérique et les migrations multipliées qui en furent la suite (*).

10° Enfin des causes permanentes, telles que la multitude des couvens, les déprédations des corsaires Algériens. (Il y a eu long-temps plus de trente mille

(*) Voyez tome 11, page xxi.

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