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DISCOURS

PRONONCÉ A L'OUVERTURE DES CONFÉRENCES DE LA BIBLIOTHEQUE DES AVOCATS, LE 1er. DÉCEMBRE 1829,

PAR M. DUPIN AINÉ, BATONNIER DE L'ORDRE.

Tout droit blessé trouvera parmi nous des défenseurs,

MESSIEURS ET CHERS CONFRÈRES,

MON premier besoin, comme mon premier devoir, en ouvrant cette séance, est de renouveler ici l'expression de ma vive reconnaissance pour les anciens de l'Ordre qui m'out honoré de leurs suffrages en me nommant Bátonnier. Loin de le dissimuler, j'aime à le redire, cet honneur de famille déféré par mes égaux, par ceux au milieu desquels j'ai passé plus de la moitié de ma vie, n'a fait éprouver la joie la plus pure. J'y ai vu la plus belle récompense de mes travaux, le prix de mon attachement inaltérable aux maximes de notre profession, et le couronnement d'une carrière entièrement consacrée, comme le sera la vôtre, à l'étude du droit de tous et à la défense du droit de chacun. Puisse, Messieurs, mon élection trouver sa ratification auprès de vous, et devenir ainsi pour moi le gage le plus éclatant de l'estime et de l'amitié de tous mes confrères.

Messieurs, nous allons reprendre nos Conférences, et je dois en conserver le ton; celui de l'abandon, de la confiance et de la confraternité. J'ai à vous entretenir de notre profession, des études qu'elle exige, des devoirs qu'elle impose. Ce sujet a été maintes fois traité par des voix plus éloquentes que la mienne; mais je n'ai point à craindre d'en parler encore en présence d'un Ordre qui s'enrichit sans cesse par l'accession de nouvçaux membres auxquels le devoir du bâtonnier est surtout d'expliquer nos usages et de transmettre

nos traditions

:

devoir que mon honorable prédécésséur a su remplir avec tant d'assiduité et de dévouement.

Ce serait une erreur de croire que l'on sort des écoles de droit avec toutes les connaissances nécessaires à l'avocat. Sans doute, on y apprend tous les élémens de la science, et trop d'éloges ne sauraient être accordés aux savans professeurs qui en déduisent les préceptes dans leurs leçons, et qui les fixent dans leurs doctes écrits. Honneur surtout à ceux d'entre eux qui, s'affranchissant d'une marche trop routinière, savent quitter les gloses pour s'attacher aux textes, remonter aux sources, interroger l'histoire, user de critique, et emprunter à l'esprit du siècle une activité inconnue à leurs devanciers! Mais en rendant un juste hommage aux profondeurs de la théorie, on ne niera pas qu'il reste à l'homme des écoles à se rendre capable d'appliquer ses abstractions aux affaires de la société.

S'il veut être avocat, juge, arbitre, homme utile à ses concitoyens; s'il veut consulter, plaider, bien juger, tracer des conventions, diriger une procédure, faire valoir un droit; de nouveaux exercices lui sont nécessaires pour donner à ses premières études tout le développement pratique que comporte la profession d'avocat.

L'orateur romain, que j'essaie ici de traduire, distinguait, avec une sorte d'orgueil quelque peu aristocratique, deux espèces de jurisprudence : l'une, pleine d'humilité et de simplesse, à l'usage des moindres citoyens, villageoise pour ainsi dire, et qu'on pourrait appeler, dans le langage moderne, la jurisprudence de la petite propriété; l'autre, au contraire, élevée, sublime, applicable aux plus grands intérêts de la cité, et digne d'être cultivée par les plus nobles esprits; celle-ci, comme la nature elle-même, immense, universelle, dont il faut aller puiser les élémens, non dans l'édit du préteur, mais dans les intimités de la philosophie ; source féconde, qui, une fois découverte, nous laisse apercevoir sans peine l'origine de toutes les lois et le fondement de tous les droits (1).

(1) Una, humilis, simplex, et ut ita dicam, villicana, ad viliorem

C'est sans doute à cette jurisprudence qu'il faut appliquer la définition qu'en ont tracée les jurisconsultes romains, lorsque, pour en donner la plus haute idée, ils l'ont appelée avec une sorte d'emphase, divinarum atque humanarum. rerum notitia, justi atque injusti scientia: vaste science, en effet, qui s'applique à tout ce que les lois ont pour objet de régler; à tous les droits, à tous les devoirs, à toutes les obligations; à tout ce qui, sur la terre, peut s'appeler juste ou injuste.

S'il y a deux espèces de jurisprudence, il y a aussi deux classes de légistes : les uns n'aspirent qu'à se rendre capables de la direction ou de la défense des intérêts privés ; d'autres veulent réaliser, dans toute son étendue, l'idée qu'on se fait du véritable jurisconsulte. Pour ceux-ci, de nouvelles études, des études plus relevées et plus complètes sont indispensables. Si tel est le but que vous voulez atteindre, ne vous contentez pas d'être licenciés en droit étudiez encore la philosophie, l'histoire et la haute littérature; vous le pouvez facilement aujourd'hui que ces cours sont professés, près de vous, par des hommes aussi honorables par l'élévation de leur caractère, que distingués par l'éminence de leur talent (1).

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Etudiez la philosophie; non cette scholastique obscure et futile qui, se comprenant à peine elle-même, ne peut que bien difficilement se communiquer à ses adeptes; mais cette philosophie morale et pratique (2) qu'anime et que rehausse le sentiment religieux, qui est fondée sur la nature et l'orga

usum plebis comparata : altera verò, excelsa, digna quæ à maximis ingeniis coleretur; nempè, ut ipsa natura, universalis, ingens : que non à prætoris edicto, sed ex intimâ philosophià haurienda esset; et undè, semel explicatâ, fons legum et juris inveniri facilè posset..... Et ailleurs :. Quid enim est tantùm quantum jus civitatis? Quid autem tam exiguum, quàm est munus hoc eorum, qui consuluntur, quanquam est populo necessarium? De legibus, lib. I.

(1) MM. Villemain, Guizot, et Cousin adjoint de M. Royer-Collar 1. (2)............. Justitiæ sacerdotes..... veram philosophiam, non simulatam affectantes. Loi Ire., ff. De justitiá et jure.

nisation de l'homme, sa dignité propre, la connaissance éclairée de ses droits, et la conscience intime de ses devoirs, envers Dieu, envers la patrie, envers les autres hommes; cette philosophie que nous irions chercher encore à l'école de Platon et de Socrate, ou dans les offices de Cicéron, si elle n'avait pas trouvé son complément et sa sanction dans un livre plus parfait.

La littérature que je désire voir cultiver à l'avocat n'est point cette littérature bizarre et forcée qui, méprisant tous les modèles et dédaignant toutes les règles, se morfond à rechercher des effets extraordinaires, sous prétexte d'atteindre à de nouvelles beautés qu'elle est encore à produire! mais j'entends parler de cette littérature forte et raisonnable qui a pour base le naturel et le vrai, et qui, appliquée à l'art oratoire, se fonde sur l'imitation libre des grands écrivains que le suffrage des siècles éclairés a recommandés à notre juste admiration. C'est là et dans l'étude de la nature que vous irez chercher les grandes pensées, les belles images, les généreuses inspirations, et cette connaissance du cœur hu→ main indispensable pour en déduire toutes les combinaisons et tous les mouvemens qui peuvent assurer le triomphe de la justice et de la vérité.

L'histoire, en tout temps et surtout à l'époque où nous nous trouvons, doit être l'objet des méditations de l'homme qui veut être orateur et publiciste. Voyez Cicéron : au Forum comme au Sénat, jamais il n'est plus fort, plus entraînant, plus beau, que lorsque s'interrompant tout à coup au milieu d'une discussion, d'une preuve, il appelle en témoignage la vie ou les maximes de quelqu'un de ces grands hommes qui avaient fait la gloire de Rome aux plus beaux jours de sa prospérité! Et Démosthène, fut-il jamais plus éloquent, plus sublime que dans sa harangue de la couronne, lorsqu'ayant à se justifier du reproche que lui adressait Eschine d'avoir conseillé des guerres fécondes en désastres, il adjura les mânes des guerriers morts à Marathon, à Salamine, à Platée, et leur demanda si la Grèce n'avait eu de couronnes que pour les victorieux, et si elle n'en avait pas aussi décerné à la va

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