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CHAPITRE X.

DROITS ET DEVOIRS DES AVOCATS.

Au premier abord, on voit dans l'art. 45 de l'ordonnance une grande et notable réparation : « Le décret du 14 décembre 1810 est abrogé. » Mais l'article ajoute immédiatement : Les observés dans le barreau, relativement aux usages droits et aux devoirs des avocats dans l'exercice de leur profession sont maintenus. »

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Or, il y avait dans le décret un titre particulier : Des droits et des devoirs des avocats. C'est là que se trouvait la disposition qui interdisait à l'Ordre de se réunir sans l'agrément du procureur général, sous les peines portées contre les réunions et associations illicites. C'est dans ce titre qu'on lit que si tous ou quelques-uns des avocats d'un siége se coalisent pour déclarer, sous quelque prétexte que ce soit, qu'ils n'exerceront plus leur ministère, ils seront rayés du tableau et ne pourront plus y être rétablis. C'est enfin dans ce titre qu'on voit reproduit cet art. 111 de l'ordonnance de Blois, contre lequel les avocats avaient réclamé de tous temps : les avocats feront mention de leurs honoraires au bas de leurs consultations, mémoires et autres écritures : ils donneront un reçu de leurs honoraires pour leurs plaidoiries.

D'après l'esprit qui avait présidé à l'ordonnance il était à craindre sans doute qu'en se donnant ainsi le mérite apparent d'abroger le décret, on n'en maintînt effectivement ces odieuses dispositions comme usages observés dans le barreau relativement aux droits et aux devoirs des avocats. Le ministre avait fait sans doute cette réserve in petto, et certains membres des parquets ont bien su tirer parti depuis de ce rapprochement.

Mais un arrêt récent, rendu par la cour de Poitiers dans l'affaire du barreau de Melle, a dissipé les justes inquiétudes

que l'équivoque rédaction de l'ordonnance pouvait laisser au

barreau.

Il s'agissait de l'application de l'art. 34 du décret qui punit d'une interdiction absolue et sans retour les avocats qui, sous quelque prétexte que ce soit, se coaliseraient pour déclarer qu'ils n'entendent plus exercer leur ministère près d'un tribunal. Les avocats de Melle, exposés de la part du président aux avanies les plus imméritées, n'avaient trouvé d'autre moyen de s'en préserver que de cesser de paraître aux audiences, et ils avaient été condamnés, en vertu du décret par le tribunal faisant les fonctions de conseil de discipline. Sur leur appel, la cour de Poitiers décida que, d'après les circonstances de la cause, leur conduite était irréprochable et les déchargea de toutes poursuites.

La plupart des barreaux de France avaient délibéré dans cette affaire des consultations où chacun avait rapporté les exemples domestiques de semblables cessations d'exercice, toutes les fois que la dignité de la profession y semblait intéressée (1). C'est, en effet, dans ces traditions, et non dans

(1) L'histoire atteste que l'Ordre des avocats a souvent usé de ce droit pour faire cause commune avec la magistrature dans la défense des libertés publiques, désertant le palais lorsque le pouvoir absolu en avait chassé les véritables magistrats et n'y rentrant qu'à leur suite. Plus d'une fois les parlemens ont manifesté leur reconnaissance pour ces généreuses résolutions, et, chose remarquable, jamais les magistrats intrus n'essayèrent de les punir. (Exemples lors de l'exil des parlemens, en 1753, 1771 et 1788.) Les gens du roi ont aussi reçu de cette manière les preuves de l'attachement du barreau, etc. Talon ayant été exilé par Mazarin pour avoir résisté à l'enregistrement de quelqu'édit bursal, tous les avocats se retirèrent du palais, et, par la suspension des affaires, forcèrent le ministre à révoquer son ordre.

En dehors de ces coalitions politiques qui montrent quelle force tire la magistrature de son alliance avec le barreau, et lorsqu'il ne s'agissait que du maintien de leurs prérogatives, la retraite des avocats du palais a souvent été pour eux un moyen, reconnu légitime, d'obtenir le redressement de leurs griefs. (Exemples en 1602 relativement à l'ordonnance de Blois, sur le règlement des honoraires; en 1730 pour la suppression d'une consultation sur les libertés de l'Église

les dispositions du décret impérial de 1810 qu'il faut chercher les usages du barreau.

Voici un arrêt du parlement de Normandie, jusqu'alors inédit, que les avocats de Rouen ont cité dans leur consultation donnée dans la même affaire :

« Extrait du registre plumitif de la chambre des requêtes du palais du parlement de Rouen ce qui en suit : >> Du mercredi 17. jour de may 1730.

» Sont entrés à la chambre Me. Lechevallier, syndic des avocats, accompagné d'un grand nombre de ses confrères, pour ce prié par le greffier de la part de la cour.

» Peu de temps après est entré à la chambre, M. de Pontcarré le fils, premier président en survivance, et invité par messieurs de prendre séance dans le banc de messieurs les présidens, ce qu'il a fait.

» M. de Châlons, sous-doyen de la chambre, a dit, parlant aux syndics et avocats :

>> La cour me fait vous dire qu'elle vous a mandés pour sçavoir de vous-mêmes pourquoi vous avez cessé de suivre ses audiences depuis un certain temps, comme vous et vos prédecesseurs les ont toujours suivies de temps immémorial, ne sachant pas vous en avoir donné sujet. Vous pouvez même vous en expliquer avec confiance, la cour n'estant rem

gallicane.) Dans leur consultation pour le barreau de Melle, les avocats de Bordeaux citaient plusieurs précédens semblables de leur barreau. En 1754, le parlement de Bordeaux ayant fait un tarif pour les honoraires, les avocats quittèrent le palais et n'y revinrent que sur l'assurance que le règlement serait mis en oubli. En 1785, le président Dupaty ayant outragé un avocat, tous s'abstinrent désormais de reparaître à sa chambre, et il s'en plaignit sans succès à sa compagnie et au chancelier. En 1788, deux avocats ayant été exilés pour avoir fait certaines démarches relativement au parlement qui était lui-même en exil, tous leurs confrères cessèrent de se présenter au barreau. Le barreau de Bordeaux, pendant les cent jours de 1815, donna le même exemple, comme M. de Martignac lui en fit honneur à la tribune de la chambre, le 12 février 1822 ; mais, dans leur consultation de 1830, les avocats encore à Bordeaux n'ont pas jugé à propos de rappeler ce fait.

plie que de bonnes intentions pour votre collége et particulièrement pour ceux à qui j'en porte la parole, et elle se fera un vrai plaisir de vous en donner des marques en toute

occasion. >>

» A quoy le syndic des avocats a répondu : : « Nous avons l'honneur de représenter à la cour que, croyant n'avoir pas donné occasion à ce qui s'est passé lors du prononcé du 27 juillet 1728, cela nous aurait portés à cesser nos assiduités à ses audiences. Mais, puisque la cour nous fait l'honneur de nous parler dans les termes obligeans dont elle veut bien se servir, nous osons l'assurer que nous continuerons toujours de suivre ses audiences avec plaisir, et nous supplions la cour de vouloir bien ordonner que ladite sentence será regardée comme non avenue et que son ordonnance sera mise à la marge du plumitif à costé de ladite sentence. »

» Monsieur de Châlons ayant esté aux advis a prononcé : « La cour, ayant égard à la remontrance des syndic et » avocats et faisant droit sur icelle, a ordonné que la sen» tence du 28 juillet 1728 sera déclarée comme non-avenue » et que mention en sera faite à costé de ladite sentence. Signé, DE CHALONS, avec paraphe. Et plus bas est écrit: » Ce qui a été fait à l'instant. »

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Après quoy, M. de Pontcarré s'est retiré, et l'audience a esté appelée, le syndic et avocats présents, qui ont parké aux causes qui ont été appelées, comme il est porté sur le plumitif d'audience. Collationné, Baillehache. »

I.

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CHAPITRE XI.

RÉSUMÉ ET CONCLUSION.

Il ne faut plus espérer que la dignité et l'honneur qui a esté jadis en l'ordre des advocats y demeure, au moins tant que ce beau règlement durera.

(LOYSEL, Dialogue des Avocats.)

MAINTENANT, examinons d'un seul coup d'œil et sous un point de vue général ce que nous avons analysé en détail. Voyons les prérogatives que les anciens temps avaient accordées aux avocats, prérogatives que nos temps leur ont ôtées : comparons rapidement l'ordonnance avec les anciennes traditions et avec le décret de 1810; en un mot, dans cette ruine de l'ordre des avocats, dressons le bilan de ses franchises. Ser. Sous l'ancien droit, l'Ordre des avocats existait comme corps il s'assemblait sur la convocation libre du bâtonnier pour délibérer sur tous les intérêts communs.

Sous le décret, l'Ordre des avocats ne s'assemblait que de l'agrément du procureur géneral, pour l'élection de candidats au bâtonnat et au conseil de discipline; mais du moins le jour des élections il existait comme ordre.

Sous l'ordonnance, l'Ordre n'existe plus, il n'y a plus aucune délibération, aucune résolution en commun, tout est concentré aux mains des chefs de colonne.

§2.- Sous l'ancien droit, l'élection du bâtonnier se faisait en présence de l'Ordre assemblé : tous les anciens avaient droit d'y concourir. Les chefs de colonne étaient des député élus par l'Ordre en assemblée générale.

Sous le décret, l'Ordre n'élisait pas directement; il n'avait que le droit de désigner des candidats parmi lesquels le procureur général choisissait le bâtonnier et les membres du conseil ; mais l'unanimité dans les désignations pouvait amener nécessairement des choix conformes au vœu général.

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