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bornes légitimes. Lorsque les faits plaidés sont nécessaires au soutien de la cause, ils ne sont pas diffamatoires, et il ne peut appartenir qu'au tribunal saisi de juger de la nécessité de leur articulation. D'ailleurs la licence de l'avocat est un trouble que le juge doit réprimer immédiatement (art. 89 et 90 du Code de proc. civ., art. 16 de la présente ordonnance); de sorte que lorsqu'une affaire a été jugée sans que les parties ni leurs défenseurs aient été rappelés à l'ordre par le tribunal, c'est une sorte de présomption légale que ni les parties ni les défenseurs ne se sont portés à aucun excès répréhensible. Cette présomption fondée sur la considération que, s'il en avait été autrement, il faudrait accuser les juges, témoins de l'excès, de n'avoir pas fait leur devoir en le réprimant, a nécessairement toute la force de chose jugée ; et il importe d'autant plus de lui conserver ce caractère, que décider autrement ce serait ériger le tribunal de police correctionnelle en censeur de la conduite des tribunaux supérieurs et de la cour de cassation elle-même.

C'est ce qu'ont jugé un grand nombre d'arrêts, tant sous l'ancienne que sous la nouvelle jurisprudence (1).

Ces principes sont passés dans l'article 23 de la loi du 17 mai 1819, qui doit être combiné avec notre article, et qui en est la limitation nécessaire :

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« Ne donneront lieu à aucune action en diffamation ou injure, les discours prononcés ou les écrits produits devant » les tribunaux; pourront, néanmoins, les juges saisis de la » cause, en statuant sur le fond, prononcer la suppression » des écrits injurieux ou diffamatoires, et condamner qui il » appartiendra en des dommages- intérêts.

» Les juges pourront aussi, dans le même cas, faire des injonctions aux avocats et officiers ministériels, ou même » les suspendre de leurs fonctions.

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$ 6.

(1) Voyez Denisart, verb. Avocat, no. 23. — Répert., verb. Injure, Cassat., 5 messidor an X. 14 messidor an XII. — 13 prai19 mai, 19 août 1806.—9 février 1809. - 5 août 1815. Journal du Palais, tome XLIV, page 37, etc.

rial an XIII.

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Cour d'Orléans.

» La durée de cette suspension ne pourra excéder six mois; >> en cas de récidive, elle sera d'un an au moins et de cinq ans » au plus.

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Pourront, toutefois, les faits diffamatoires étrangers à la » cause donner ouverture, soit à l'action publique, soit à » l'action civile des parties, lorsqu'elle leur aura été réser» vée par les tribunaux, et, dans tous les cas, à l'action civile » des tiers. >>

Cet article est relatif aussi aux actions que le ministère public pourrait intenter à un avocat, à raison de ses écrits ou de ses discours dans une contestation judiciaire. S'il s'agit de faits relatifs à la cause, il doit se pourvoir devant les juges saisis du fond; s'il s'agit de faits étrangers, il doit se faire donner des réserves. Il y a ici les mêmes motifs qu'en ce qui regarde les parties présentes dans la cause.

Lors de la discussion de la loi du 25 mars 1822, qui punit la diffamation ou l'injure dirigée contre un témoin à raison de sa déposition, il fut pareillement bien entendu que cette disposition n'était pas applicable à l'avocat qui discute le témoignage ou la personne d'un témoin produit en justice. A cet égard encore, c'est l'article 23 de la loi du 17 mai 1819 qui fait la règle. Ainsi s'exprimait à la séance de la chambre des députés, du 29 janvier 1822, M. Jacquinot de Pampelune, commissaire du roi. M. de Serre ajoutait : « On peut tout dire contre la déposition d'un témoin; on peut alléguer contre sa personne même tous les faits qui peuvent établir qu'il est suborné ou indigne, car il est malheureusement impossible que tous les témoins mandés devant la justice soient irréprochables : c'est là le moment de l'épreuve. Le juge a le pouvoir nécessaire pour modérer cette épreuve, cette torture, pour empêcher qu'elle n'aille jusqu'à l'outrage, inutile pour la défense de l'accusé (1). Ce qui a été dit à l'audience ne peut, après l'audience, donner lieu à aucune poursuite. »>

(1) Sur l'étendue du pouvoir du juge à cet égard. Voyez l'arrêt de cassation du 18 septembre 1824. Dalloz, Jurisprudence générale, au mot Défense.

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CHAPITRE IX.

ENTRAVES AU LIBRE EXERCICE DE LA PROFESSION D'AVOCAT.

§ 1.-UN grand privilége attaché à la profession de l'homme » de loi, c'est cette liberté qu'il a de l'exercer quand il lui plaît et où il lui plaît.... l'avocat a le globe pour terri

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>> toire. >>

Sous l'ancien régime, lorsqu'un avocat voulait aller plaider hors du ressort du Parlement auquel il était attaché, il lui suffisait d'un simple certificat du bâtonnier de son ordre, qu'on appelait exeat. Il n'y a pas d'exemple que jamais l'exeat ait été refusé; il ne pouvait pas l'être, puisque ce n'était autre chose l'attestation de l'identité de la personne et de la réalité du titre sous lequel elle se présentait. Cette forme même prouve que, pour exercer son ministère partout le royaume, l'avocat n'avait à justifier que de sa qualité.

que

Voilà les anciens principes.

Le décret de 1810 y avait dérogé en astreignant les avocats en cour royale qui voudraient aller plaider hors du ressort de la cour, et les avocats près d'un tribunal de première instance qui voudraient aller plaider hors du département de leur tribunal, à se munir d'une permission du ministre de la justice.

Au lieu d'abolir ces entraves si contraires aux principes constitutifs de notre ordre, l'ordonnance les a resserrés; elle a renchéri sur les précautions reconnues excessives du décret ; car les avocats attachés à une cour royale ne peuvent plus plaider hors du ressort de cette cour qu'après avoir obtenu l'avis favorable du conseil de discipline, l'agrément du premier président et enfin l'autorisation du garde des sceaux.

Cette triple précaution est injuste, injurieuse, inutile, im

(1) Répertoire, au mot Avocat.

:

politique injuste, car elle porte atteinte au droit naturel de la défense; injurieuse, puiqu'elle met les avocats dans une sorte de prévention de licence; inutile, puisque l'ordre public n'est jamais sans garantie devant les magistrats; enfin elle est impolitique, car la défense des justiciables dépendra du bon plaisir d'un ministre, et c'est le gouvernement qui en portera toute la responsabilité.

Les avocats près des tribunaux de première instance sont dans une condition pire encore, puisqu'ils ne peuvent pas même réclamer la permission du ministre pour plaider hors de leur département, ou devant la cour d'où relève leur tribunal.

De telles dispositions ne sont pas seulement offensantes pour les avocats; elles sont funestes à tous les citoyens, car c'est dans l'intérêt de tous qu'il importe que les avocats puissent librement porter partout le secours de leurs lumières et dé leur courage (1).

& Celui qui plaide tout son bien a grand intérest de confier » sa défense entre les mains d'un homme, de la diligence, capacité et affection duquel il s'asseure du tout. Un tel réglement le luy oste (2). »

>>

>>

En matière criminelle surtout, on ne devrait jamais refuser à un accusé la liberté de confier sa défense à un avocat de son choix. Après le sentiment de son innocence, sa confiance dans son défenseur fait seule sa sécurité. Si vous lui imposez un avocat étranger, inconnu, au lieu de l'avocat de son pays dont le zèle et les talens lui sont éprouvés, sa fermeté s'ébranle, sa sécurité l'abandonne : ce n'est qu'en tremblant qu'il voit arriver le jour de l'audience; cet instant fatal le trouve dans cette pénible inquiétude, et alors comment apportera-t-il au débat la tranquillité d'esprit indispensable dans une position si nouvelle et si difficile.

Dans les accusations politiques, le droit illimité de choisir

(1) Voyez les Observations sur la législation criminelle, de M. Dupin, pages 80 et 81.

(2) Bouchel, Remontrances, déjà citées.

un conseil est plus nécessaire encore. Il faut que le caractère du défenseur soit bien connu de l'accusé. Quelles transes mortelles pour lui si sa cause est remise aux mains d'un avocat du parti contraire! Peut-être ne craindra-t-il pas de voir compromettre traîtreusement sa vie et sa liberté : mais il a de plus à soutenir un intérêt qu'un homme préoccupé d'opinions différentes ou opposées ne pourra jamais convenablement défentre : c'est l'intérêt de son honneur. Charlotte Corday ne redoutait pas la mort; elle redoutait une défense indigne de son caractère (1). Elle n'aurait pas échappé à cette humiliation si le tribunal révolutionnaire lui eût imposé d'office un défenseur patriote (2).

(1) Voyez au Moniteur, sa lettre à Chauveau-Lagarde.

(2) François Marillac, célèbre avocat dont parle Loysel, dans son Dialogue, fut accusé d'avoir trahi Anne Dubourg en plaidant pour lui, parce que dans son discours il déclara retracter au nom de son client les opinions religieuses que celui-ci avait soutenues avec une courageuse constance. Bayle (au mot Marillac, note (c)) reprend cette imputation de trahison, consignée par Laplanche, en son Histoire de François II: Il n'y eut, dit-il, dans sa conduite, qu'un mensonge officieux destiné à sauver la vie à son client. Mais reste à savoir si un avocat peut se permettre d'office un mensonge qui dégrade l'accusé dans son caractère politique et dans son honneur. Voici d'ailleurs le récit de l'historien: « On ordonna qu'Anne Dubourg aurait conseil, » ce qui auparavant lui avait été dénié, de sorte que le cardinal se » trouva fort confus. L'avocat Marillac lui fut baillé, lequel mit toute » sa peine à le faire dédire, lui alléguant que sans cela il ne pourrait » lui éviter la mort. Ce que n'ayant pu faire, il l'amena à cette » nécessité qu'il le laissât plaider sans l'interrompre, puis il dirait après » ce que bon lui semblerait. Étant donc venus devant les juges, l'a» vocat discuta le mérite de la cause. ... En quoi non-seulement appa

raissaient des causes d'abus très-évidentes; mais aussi la nullité des » sentences et arrêt, en sorte qu'il fallait nécessairement recommen» cer tout le procès, casser et annuler toutes ces procédures, vu » que nulle forme de justice n'y avait été gardée. Mais au lieu de » conclure en son appel, il acquiesça, recourant à la miséricorde du > roi et de la cour: confessant sa partie avoir grièvement offensé Dieu » et Sainte-Mère-Église, irrité le roi et s'être montré inobedient à » son évêque, auquel et à la Sainte-Église romaine il désirait être réconcilié. Sur quoi, Dubourg, qui était présent, se voulant oppo

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