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arrivés qu'à grande peine au dernier rang des suffrages, on y remarque avec surprise qu'on en a exclu, entre autres membres distingués de l'Ordre, d'anciens bâtonniers que toutes les convenances, leur âge (l'un est presque octogénaire), leur réputation sans tache, leurs excellentes opinions, et l'honneur qu'ils ont constamment fait à leur profession par leur conduite, leurs talens et les vertus qui caractérisent le véritable avocat, désignaient à la conscience, au bon sens et à la droiture d'intentions des électeurs ; considérant d'ailleurs

que, pour l'honneur de l'élection même, si elle doit rester définitive, il importe de la purger de tout caractère douteux qui pourrait donner lieu à des jugemens indiscrets; — considérant aussi que l'arrivée des vacances, en séparant l'Ordre et en dispersant les avocats en général loin de Paris, forme obstacle à ce que l'enquête soit complétée à temps, pour que le conseil de discipline puisse être nommé avant les premiers mois de la présente année judiciaire, et que pendant ce temps. l'Ordre ne doit pas être privé d'administration;

» Arrête ce qui suit :

» Art. 1oг. MM. Gossin et Deglos sont délégués pour procéder à une enquête administrative de tous les faits qui se sont passés relativement à l'élection qui a eu lieu le 19 du présent mois, pour la candidature du conseil de discipline de l'Ordre des avocats de Paris.

» 2. Aussitôt après la clôture de ladite enquête, elle sera remise sous les yeux du procureur général, pour aviser par lui, soit à la nomination du conseil de discipline, soit, si c'en est le cas, à telle autre mesure qui devra être déterminée par le résultat de ladite enquête.

» 3. Jusqu'à ladite nomination, le conseil de discipline actuel et M. le bâtonnier continueront provisoirement leurs fonctions. » 4. Le présent arrêté sera soumis à l'approbation de sou excellence monseigneur le garde des sceaux.

» 5. Une expédition du présent arrêté sera adressée à M. le bâtonnier de l'Ordre des avocats.

» Fait au parquet de la cour royale de Paris, le 24 août 1822 » Signé BELLART.

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Approuvé par son excellence monseigneur le garde des sceaux, le 9 septembre 1822. »

Ainsi fut paralysée une élection dont le procureur général n'était pas juge. De l'enquête administrative si illégalement ordonnée, il n'en fut plus question. Mais, à grande hâte et d'urgence, on travailla à la réforme d'un règlement reconnu défectueux, puisqu'il avait permis à un Ordre indépendant de choisir pour son administration intérieure des hommes investis de la considération et de la confiance de leurs confrères, mais peu agréables à M. le procureur général.

Le 20 novembre 1822 parut cette ordonnance qui, dans dans son magnifique préambule, est présentée comme le fruit des profondes méditations de M. de Peyronnet et de juris consultes pleins de savoir et d'expérience, et qui n'est effectivement que la queue du coup d'état de M. Bellart.

Quand on connaît les circonstances dans lesquelles elle a été rédigée, il est facile d'en comprendre le but et la portée. Faite en haine d'un acte d'indépendance, comment eût-elle restitué à l'Ordre des avocats ses légitimes franchises? Il est vrai que le rapport qui la précède annonce les intentions les plus bienveillantes et les plus libérales; mais, comme disait le judicieux Coquille, on a fait une infinité d'édits avec des propos spécieux, beaucoup de langage et rien de vérité; comme si tous les Français étaient des bêtes, et qu'avec le simple sens commun il ne fût aisé de découvrir que le contraire du contenu en ces édits est véritable. Jamais peut-être le contraste de ees faux semblans préambulaires et des dispositions effectives n'a été plus frappant que dans l'ordonnance du 20 novembre 1822, de sorte que le rapport est la plus vive critique de l'ordonnance et la meilleure pièce justificative qu'on puisse présenter pour demander la réformation de ce règlement.

Là sont hautement proclamées les deux conditions à suivre pour replacer l'Ordre des avocats sur ses bases naturelles : Anéantir ces précautions excessives introduites par un gouvernement oppressif, pour rendre enfin au barreau ces prérogatives dont l'expérience a depuis long-temps fait sentir

la nécessité, et relever l'empire des vieux usages. Il ne reste donc plus qu'à comparer les dispositions de l'ordonnance à celles du décret, et à rappeler les anciennes traditions de l'Ordre; et si nous rencontrons dans l'ordonnance les mêmes et peut-être de plus dures entraves que dans le décret; si nous y trouvons dénaturées ou remplacées par des dispositions d'un effet tout contraire les traditions du barreau, il sera démontré que le nouveau règlement ne remplit nullement les conditions dont la nécessité est officiellement reconnue, et que, dès lors, c'est à bon droit les avocats en demandent l'abrogation.

C'est le but du présent écrit.

que

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CHAPITRE II.

DE L'ORDRE DES AVOCATS SUIVANT L'ORDONNANCE.

AVANT la révolution, tous les avocats inscrits au tableau composaient l'ordre des avocats, s'assemblant, sur la convocation du chef de l'ordre, pour délibérer sur tous les intérêts communs. Le premier de ces intérêts était l'élection annuelle du bâtonnier, qui s'opérait directement à la majorité des suffrages, sans être subordonnée à l'agrément du premier président ou du procureur général. Le bâtonnier n'avait besoin de prendre l'autorisation de personne pour convoquer ses confrères, toutes les fois qu'il croyait nécessaire de soumettre un objet quelconque à leur délibération.

Le tableau était arrêté chaque année par l'ordre ou par ses commissaires (1), et déposé au greffe par le bâtonnier : les magistrats n'y avaient aucun droit de regard.

Lorsqu'il s'agissait d'infliger quelque peine de discipline,

(1) Au parlement de Rouen, le bâtonnier nommait chaque année six commissaires pour la révision du tableau, ils faisaient leur rapport en assemblée générale, et c'était l'Ordre entier qui statuait sur toutes les difficultés.

tous les anciens de l'Ordre étaient convoqués. En Normandie, les jeunes même étaient admis à délibérer; c'est-à-dire, que l'inscription sur le tableau, après le stage terminé, était la seule condition requise pour prendre part aux délibérations. A Paris, le grand nombre des avocats rendant la solennité d'une assemblée générale gênante dans une infinité de cas, on avait, en 1662, pris le parti de diviser le tableau par bancs, et chaque banc nommait deux députés qui, réunis au bâtonnier en exercice et aux anciens qui avaient été revêtus de ce titre, réglaient le courant des affaires, soit qu'il s'agît de l'admission au stage, de l'inscription au tableau, ou de prononcer des peines de discipline.

Mais les parties intéressées pouvaient toujours appeler à l'ordre entier des décisions prises par les députés des bancs. Le bâtonnier était obligé de convoquer l'ordre toutes les fois qu'il y avait réclamation contre les décisions de la députation, et ces décisions ne devenaient définitives qu'autant qu'elles avaient été approuvées dans une assemblée générale.

En 1777, Ducastel, depuis si célèbre au barreau de Normandie, voulait se faire recevoir avocat à Paris; mais comme il avait plaidé, après la suppression des parlemens, devant le conseil supérieur de Bayeux, cette circonstance lui fit éprouver un refus de la part de la députation : il réclama l'assemblée générale de l'Ordre.

De même lorsqu'il s'agissait des peines de discipline. Témoin Linguet, qui, ayant été rayé du tableau par la députation, en appela d'abord à l'Ordre, et puis, l'Ordre ayant confirmé la radiation, au parlement.

Telle était, sous l'ancien régime, l'organisation intérieure de l'ordre des avocats.

L'ordonnance de 1822 a rétabli la division des avocats en bancs ou colonnes, mais, sauf cette répartition matérielle, il n'existe aucune analogie entre les dispositions de l'ordonnance et les anciens usages du barreau de Paris, puisque les chefs de colonne ne sont plus les députés de l'Ordre renouvelé chaque année par voie d'élection, mais des commissaires qui se recrutent eux-mêmes.

D'après l'ordonnance, la première répartition en colonnes a été faite par les conseils de discipline en exercice au mois de novembre 1822 (et à Paris, par un conseil de discipline indûment prorogé dans ses fonctions par l'arrêté de M. Bellart du 24 août 1822), c'est-à-dire, qu'en même temps que le rapport s'indigne contre le décret qui avait attribué aux chefs des cours et tribunaux la première formation des tableaux, elle n'en a pas moins attribué le droit de former les colonnes aux élus des parquets.

En voyant tant préconisée dans l'arrêté de M. Bellart, et dans le rapport, « cette désignation si naturelle et si respectable qui, sous l'empire des vieux usages résultait de l'ancienneté, » on devait s'attendre à voir les avocats classés sur les colonnes d'après leur ordre de réception : mais, dans cette répartition, tout a été laissé à l'arbitraire.

Il n'est pas de puissance plus impartiale que le temps: il pourrait livrer les premiers rangs des colonnes à des hommes. qu'on n'y veut pas voir. Aussi l'ordre de réception ne sera pas suivi. Aucune règle n'est tracée pour la répartition : elle aura lieu suivant le bon plaisir des bâtonniers et des conseils de discipline nommés par les procureurs généreaux. Or, comme ce qui s'est passé en 1822, à l'occasion des élections du barreau de Paris, prouve assez dans quel esprit certains procureurs généraux faisaient choix des bâtonniers et des membres du conseil, la répartition faite d'après l'ordonnance a dû différer de bien peu de celle qu'auraient pu faire les procureurs généraux, d'autant plus que les membres des conseils alors en exercice, ne pouvant se déclarer eux-mêmes indignes d'occuper la tête des colonnes, étaient dans une sorte de nécessité de s'y placer. Les résultats de cette première répartition ont donc dû se trouver aussi conformes aux vues du pouvoir qu'en 1810, à la première formation des tableaux.

Ce n'était pas encore assez : il serait possible que les décès, les promotions et les retraites, dégarnissant les sommités des colonnes, vinssent déranger les calculs de la première répartition, et que l'on vît ainsi parvenir dans le conseil de l'ordre des membres importuns aux mains desquels on ne

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