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l'on y trouve la preuve de la négligence, de la légèreté ou de l'ignorance de ceux qui les ont dressés.

Je terminerai par cette remarque de Cicéron :

C'est que si l'étude des sciences, en apparence étrangères à la jurisprudence, fournit à l'orateur des argumens spéciaux, et ajoute ainsi à la force intrinsèque de sa discussion; à sòn tour quand il a pu, même avec le secours d'autrui, se bien pénétrer de ce qu'il doit dire, et en concevoir une idée bien nette, il trouve dans la puissance habituelle de son talent pour la parole, le moyen d'en parler plus habilement que ceux-là même qui possédent la science sans être orateurs (1).

SECTION XVI.

DES CONFÉRENCES.

(M. BONNET en 1786, et DUPIN jeune, en 1826.)

L'UTILITÉ des conférences se trouve recommandée dans un discours de rentrée, prononcé à la Bibliothèque, en 1786, par un avocat alors fort jeune (2), mais qui, dès cette époque, rendait ses productions remarquables par ce même goût qui n'a cessé de le distinguer dans tout le cours de sa brillante carrière.

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C'est, disait-il, pour prévenir les inconvéniens sans nombre de ces études solitaires qu'ont été inventées les conférences. Cette heureuse méthode, pour laquelle plusieurs esprits mettent en commun leurs travaux et leur science, fait évanouir presque toutes les difficultés. Par elle chaque

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(1).... His de rebus ipsis si sit ei dicendum, cùm cognoverit ab iis, qui tenent, quæ sint in quâque re; multò oratorem melius quam ipsos illos, quorum eæ sunt artes, esse dicturum. De Oratore, lib. i, n°. 15.

(2) M. Bonnet, avocat en 1786, défenseur de Moreau, ex-membre de la chambre des députés, et actuellement conseiller à la cour de cassation.

associé revient de chaque assemblée riche des réflexions et des connaissances de tous les autres qu'il a de même enrichis des siennes. Cet heureux échange tourne au profit de tous; car il n'en est pas des trésors de la science comme de ceux de la fortune; on les donne sans s'appauvrir, on les partage sans les diminuer. A la faveur de ces associations studieuses, tout prend une face plus riante; on a moins de fatigue et plus de plaisirs. Ce travail a un but fixe, un objet déterminé. L'émulation vient animer de son puissant aiguillon des efforts qui sans elle sont toujours tièdes et languissans.

» Mais si ce concours utile devait avoir pour témoins des hommes distingués par une science profonde et une longue expérience, qui voulussent bien se déclarer les protecteurs et les amis de la jeunesse ; si à leur tête se trouvait le chef même de l'ordre, qu'auraient rendu digne de ce titre un talent distingué autant que modeste, et des connaissances étendues, relevées par la plus aimable aménité de mœurs; alors que ne devrait-on pas attendre d'une jeunesse ardente qui sentirait le prix de ses juges, et tâcherait de s'en rendre digne? Pardon, messieurs, si je m'oublie jusqu'à louer en leur présence des hommes bien au-dessus de mes louanges. J'y ai été entraîné par mon sujet, et c'est moins un tribut d'éloges qu'un tribut de reconnaissance que je viens leur offrir au nom de la brillante jeunesse qui m'entend, et dont je désirerais être un plus digne organe, mais dont je suis du moins à coup sûr en cet instant un fidèle interprète.

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Qu'il me soit permis encore, puisque je parle ici des conférences, de dire un mot de celles auxquelles on donne l'apparence même d'un tribunal, où sous des noms supposés et à l'aide d'une cause feinte, deux jeunes défenseurs viennent, dans les formes même de l'audience et avec le ton qui lui convient, s'exercer à la partie la plus importante de l'éloquence, l'action. C'est là qu'on perd cette timidité qui altère souvent les meilleures choses et étouffe les plus beaux mouvemens, cette gêne et cette contrainte ennemies nées du naturel et des grâces; là des critiques familières et réciproques indiquent à chacun la partie faible de son talent ou les dé

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fauts qui l'obscurcissent, et lui épargnent ces leçons données par un public mécontent; leçons terribles qui ne se manifestent que par des revers et ne corrigent que par des chutes c'est là qu'on oublie les fictions dont on est environné, pour se livrer avec ardeur à un exercice après lequel on aspire : c'est là enfin que chacun peut traiter à son gré les plus grandes causes ou les plus petites; des questions de droit, ou de fait, ou de procédure; s'exercer dans tous les genres; prendre tous les tons, s'instruire à adapter à chaque sujet des mots et des discours convenables; prendre une expérience anticipée des mouvemens de l'audience, et souvent apprendre quel est le genre de son talent.

» Je sais qu'il est facile de jeter du ridicule sur ces exercices; mais je sais encore mieux qu'il faut chasser cette mauvaise honte qu'on peut avoir de s'échauffer ainsi pour des fictions, et de se livrer à des imitations que quelques-uns regardent comme des puérilités; je sais encore mieux que c'est après s'être livré à de pareilles imitations qu'on apporte, la première fois qu'on paraît au barreau, une liberté dans l'action, un ton, une aisance qui étonnent. Les inflexions de voix que demande la plaidoirie; la chaleur qu'elle exige; les tournures qui lui sont familières ; les gestes qui doivent l'accompagner; le ton assuré qui seul fait impression; la variation d'accens qui prévient la monotonie; la facilité d'une discussion d'abondance, la vigueur et la présence d'esprit nécessaires pour la réplique; toutes ces qualités de l'orateur, indépendantes de sa science et sans lesquelles sa science ne sert à rien, comment les acquérir si ce n'est à l'aide de ces fictions prétendues puériles? Gardez-vous donc, ô vous qui voudrez atteindre de bonne heure à la perfection de l'art oratoire, gardez-vous de rougir de vos heureuses imitations et de vos utiles essais! C'est en élevant la voix seul sur les bords de la mer, c'est en récitant ses discours aux vagues écumantes que le prince des orateurs grecs s'instruisit à allumer dans le cœur des Athéniens l'enthousiasme de la liberté, et à faire trembler, du haut de la tribune aux harangues, le redoutable Macédonien. »`

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DE M. DUPIN JEUNE,

Au nom de la commission chargée, en 1826, de présenter un plan de travail pour uue conférence d'avocats (1).

DANS un premier exposé, on vous a proposé l'organisation d'une conférence d'avocats, destinée à chercher les moyens de suppléer à l'insuffisance des enseignemens étroits auxquels sont réduites nos écoles de droit, de faire acquérir au barreau une instruction plus élevée, plus complète, plus en rapport avec nos institutions, et de donner à notre profession tout l'éclat dont elle peut briller.

Accueillant, avec l'intérêt et la faveur qu'elle méritait, une idée dont la réalisation peut avoir des résultats si avantageux, vous avez chargé une commission de vous présenter le plan des travaux auxquels nous devons nous livrer, et le mode qu'il serait convenable d'admettre pour nos communications.

Votre commission a obéi à ce vou, et je viens vous soumettre le fruit de sa délibération.

Indépendamment des études générales, indispensables à toutes les professions libérales, chacune d'elles exige des études spéciales, des connaissances techniques; mais ces études et ces connaissances ne sont point tellement invariables, que les temps et les circonstances n'y apportent des modifications importantes et de notables changemens.

Loin d'être à l'abri de ces vicissitudes, la profession d'avocat subit peut-être, plus qu'aucune autre, l'influence des révolutions qui changent ou renouvellent la face des em

(1) En 1826, plusieurs de nos confrères désirant se former en conférence sur le plan que j'avais indiqué, nommèrent une commission chargée de tracer le cadre de nos travaux. Cette commission, composée de MM. Berville, Renouard, Quenault et Dupin jeune, après s'être réunie plusieurs fois, chargea ce dernier de rédiger le RAPPORT que l'on va lire. (Ce rapport a paru pour la première fois dans la Gazette des Tribunaux, des 19 et 24 janvier 1826.)

pires. Ce ne sont pas seulement les variations de la législation, l'établissement des institutions nouvelles, que les membres de cette profession sont obligés d'étudier, et sur lesquels ils doivent porter leurs méditations; tous les intérêts de la société viennent aboutir au palais, toutes les passions s'y reflètent, toutes les positions s'y dessinent. L'avocat doit donc suivre tous les mouvemens du corps social, et connaître à fond l'état du pays dans lequel il vit; il faut qu'il puisse répondre à tous les besoins de son époque; offrir à tous les intérêts légitimes qu'on attaque ou qu'on menace, une protection tutélaire; arracher leur masque à tous ceux qui, sous couleur de justice, ou sous prétexte du bien public, veulent servir leurs passions, leur ambition ou leurs intérêts parti

culiers.

Aussi, lorsqu'on parcourt notre histoire judiciaire, on voit, à toutes les époques, grandir ou se resserrer, suivant les nécessités du moment, le cercle des études du jurisconsulte ou de l'orateur du barreau.

Bornés d'abord aux lois des Barbares et à ces coutumes incertaines sorties du chaos des onzième et douzième siècles, ils virent apparaître au milieu du siècle suivant le beau monument des Pandectes, comme un phare élevé au milieu des ténèbres. Il fallut défendre contre la jalousie de Rome moderne cette conquête faite sur le temps destructeur, et braver les décrétales d'Honorius pour jouir de la législation de Justinien. Ges belles lois, de qui toutes les nations reçoivent, suivant l'expression de d'Aguesseau, des réponses d'une éternelle vérité, devinrent désormais le fondement du droit civil, et la base nécessaire des bonnes études judiciaires.

Peu de temps après, commença la lutte déplorable du sacerdoce et de l'empire, qui devait soulever tant d'orages, et déverser tant de malheurs sur le monde chrétien. Les jurisconsultes français ne se retranchèrent point dans une neutralité pusillanime. Seuls alors ils possédaient les connaissances nécessaires pour éclaircir la question et pour la discuter méthodiquement. Ils s'attachèrent donc à déterminer la nature des deux pouvoirs, à poser la barrière qui les sépare; ils dé

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