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>> devoir; mais que la république se contente du tribut que

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je lui ai payé dans cette accusation; qu'il me soit permis » désormais de défendre les bons citoyens plutôt que de me » voir réduit à poursuivre les méchans (1).

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Ces sentimens honorent le caractère de Cicéron. Qu'ils soient aussi les nôtres. Mais quand nous croirons devoir intervenir dans un procès criminel, et nous joindre à l'accusation, que ce soit avec modération, sans emportement, sans aigreur, sans colère. C'est une sorte de fonction publique que nous remplissons alors. Que notre langage soit grave; parlons à la raison de nos juges, et non à leurs passions; déduisons nos preuves avec fermeté, mais sans sophismes et sans piéges; obtenons une condamnation par l'évidence des faits et non par la chaleur des mots; et que notre victoire ne puisse jamais nous laisser ni remords, ni regrets.

J'aurais bien des choses à ajouter si je voulais épuiser ces graves sujets que je ne fais qu'effleurer. Mais ici finit le cercle que je m'étais tracé; je m'arrête; trop heureux si ces réflexions peuvent être de quelque utilité aux jeunes confrères qui entreront dans une carrière où la gloire les attend, où je les suivrai de tous mes vœux, où nul n'applaudira avec plus de joie que moi à leurs talens et à leurs vertus.

(1) In Verrem, act. 2, lib. 5.

SECTION XIV.

DE LA LIBRE DÉFENSE DES ACCUSÉS.

(M. DUPIN aîné.)

Provident humano generi CAUSARUM PATRONI, qui gloriosæ vocis confisi munimine, laborantium spem, vitam et posteros defendunt.

L. 14, Cod. de Advocat. divers. judic.

UN avocat n'a pas seulement à défendre les intérêts pécuniaires de ses cliens dans les procès purement civils; il doit aussi se préparer à défendre la liberté, l'honneur, la vie des accusés en matière criminelle.

Cette tâche difficile peut lui être imposée ou par le choix des parties elles-mêmes qui réclameront son ministère, ou par celui de la justice qui le désignera d'office pour remplir cette noble fonction.

Il doit donc se mettre de bonne heure au fait de l'instruction criminelle et des lois pénales.

Cette étude n'est pas moins importante que celle du droit civil; on pourrait même dire qu'elle l'est davantage, à ne considérer que la gravité des intérêts et la sévérité des conséquences.

Mais autant la conscience de l'avocat doit être effrayéé de l'importance des devoirs que lui impose la défense des accusés en matière eriminelle, autant sa raison doit l'armer de courage pour les remplir dans toute leur étendue.

Il doit, avant tout, se bien pénétrer de cette idée, que la défense des accusés, sans cesser d'être respectueuse, doit essentiellement être libre; que tout ce qui la gêne empêche qu'elle ne soit complète, et par-là même compromet le sort de son client.

Rarement, sans doute, quelquefois pourtant, il s'élève dans

le cours d'un débat une sorte de lutte entre l'avocat et les magistrats qui soutiennent ou dirigent l'accusation : celui là, revendiquant le droit de parler; ceux-ci lui imposant l'obligation de se taire, ou de ne parler que comme il leur plaît. L'autorité est toujours d'un côté, mais la raison peut quelquefois être de l'autre. Qui cependant tiendra la balance, entre l'avocat qui réclame et le juge qui décide? Il est à cet égard des principes qui règlent la conduite du magistrat et ceile du défenseur.

J'avais entrepris, il y a déjà plusieurs années, de rassembler quelques idées sur ce sujet important, dans un écrit auquel j'ai donné pour titre. De la libre défense des accusés (1).

En le composant, j'avais principalement pour objet de réfuter l'erreur d'hommes passionnés qui avaient eu l'imprudence d'avancer, «que des avocats ne pouvaient pas défen>>dre les accusés de crimes d'état, sans se rendre, pour ainsi » dire, leurs complices!

La réfutation fut assez bien accueillie du public, qui, en effet, avait plus à perdre qu'à gagner à une doctrine qui tendait à intimider ses défenseurs.

C'est ce même écrit que j'adresse aujourd'hui à mes confrères, après l'avoir relu et y avoir fait quelques additions.

Heureux si ces réflexions, inspirées par la nature du sujet, et aussi par le malheur des temps où elles furent tracées, peuvent contribuer à affermir chacun de nous dans la noble pensée que le premier comme le plus saint de nos devoirs est de travailler sans relâche à la défense des accusés! car c'est la Sagesse même qui nous dit dans ses sublimes conseils : Allez au secours de vos semblables; arrachez-les au péril dont ils sont menacés, et disputez, tant que vous le pourrez, à la mort, ceux qu'on s'efforce d'y conduire. Erue eos qui

(1) Paris, octobre 1815, chez Arthus-Bertrand, un mois avant le jugement du maréchal Ney, réimprimé en 1818 chez Warée, in-8°., et en 1824, chez le même, 1 vol. in-18.

ducuntur ad mortem, et qui trahuntur ad interitum liberare ne cesses. PROVERBES, XXIV, 11.

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On nous représente la justice comme une divinité tutélaire, dont le temple toujours ouvert et de facile accès offre en tout temps un refuge assuré au pauvre contre le riche, au faible contre le fort, à l'opprimé contre l'oppresseur.

Les magistrats sont les ministres de ce temple. Notre imagination se les figure avec complaisance revêtus d'une espèce de sacerdoce, tant est pieuse l'idée que nous nous faisons de la sainteté de leurs fonctions!

Prêtres de la justice, ils veillent à l'accomplissement de ses lois; ils attirent les hommes vers son culte, par le respect dont ils font profession pour elle; ils marchent dans ses voies avec une constance inébranlable; rien ne peut se comparer à la régularité qu'ils apportent dans l'observation de ses rites et de ses solennités.

Toutes ces fictions reposent sur un fond vrai. De même qu'on ne pourrait, sans affaiblir la religion dans l'esprit des peuples, l'isoler de la pompe extérieure et des augustes cérémonies qui rehaussent son culte à leurs yeux; de même aussi l'on ne pourrait pas, sans blesser la justice, la séparer des formes qui lui sont propres, et sans lesquelles l'opinion publique ne la conçoit plus.

Ces formes, qui, dans les matières civiles ordinaires, sont simplement conservatrices, deviennent sacramentelles en matière criminelle, lorsqu'il s'agit, non plus seulement de la fortune, mais de l'honneur, mais de la vie des citoyens.

§ II. Ne pas juger sans entendre.

Il est surtout une règle dont on ne peut s'écarter, sans fouler aux pieds toutes les lois de la justice: elle consiste à entendre avant que de juger (1).

(1) Reum enim non audiri, latrocinium est, non judicium. AMMIEN MARCELLIN.

Il est de principe, en effet, que Personne ne peut étre condamné, qu'au préalable il n'ait été entendu (1),

De ce principe naît pour le juge l'obligation d'écouter l'accusé, et de lui laisser toute la latitude désirable pour qu'il puisse se défendre tant verbalement que par écrit.

Car il est encore une maxime, devenue triviale à force d'être répandue; savoir que la Défense est de droit naturel. C'est la loi des animaux vivans sous le terrible empire de la force; c'est la loi des hommes réunis en société ; ce serait la loi des dieux immortels, si l'on pouvait en concevoir plus d'un seul,

Cette loi est vraie dans l'ordre physique; vim vi repellere licet, il est permis de repousser la force par la force. Le meurtre lui-même cesse d'être un crime dans la personne qui ne l'a commis qu'à son corps défendant (2).

Elle est vraie dans l'ordre moral; et celui qui gémit sous le poids d'une accusation a le droit de parer le coup qui le menace, en se défendant par les moyens que son intelligence lui suggère, c'est-à-dire par le raisonnement et par la parole, qui ne nous ont été donnés par la bonté divine que pour apprendre, enseigner, discuter, communiquer entre nous, resserrer les noeuds de la société civile, et faire régner la justice parmi les hommes (3).

Cette loi de la défense naturelle ne comporte pas d'excep

1

(1) Nul ne peut être jugé qu'après avoir été entendu ou légalement appelé. » (Constitution de l'an III, art. 11.) - Une constitution de Clotaire, de l'an 560, renferme une semblable disposition. Aussi voyons-nous que tous les jugemens commencent par ces mots: parties ouïes, ou autres équivalens.

(2) « Il n'y a ni crime, ni délit, lorsque l'homicide, les blessures » et coups étaient commandés par la nécessité actuelle de la légitime défense de soi-même ou d'autrui. » Code d'instruction criminelle, art. 328.

(3) Societatis humanæ vinculum est ratio et oratio; quæ docendo, discendo, communicando, disceptando, judicando conciliat inter se homines, conjungitque naturali quâdam societate. Neque ullâ re longiùs absumus à naturâ ferarum. Cic., de Officiis, lib. 1, cap. 16.

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