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Cet art ne s'apprend point, ne s'apprendra jamais', quel que soit le temps que l'on passe chez un avoué, en copiant des actes de procédure; puisqu'on ne peut acquérir par ce travail ce qu'il faut savoir pour n'agir qu'avec discernement, pour ne rien faire sans en connaître le but et l'utilité.

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Que l'on soit bien pénétré des principes et des règles de la science de la procédure, et l'on sera sûr d'exprimer, en bons termes, dans les actes prescrits par la loi, tout ce qu'il faut dire, de n'y rien omettre la lecture des modèles, des protocoles, ne doit venir qu'ensuite pour rectifier la rédaction, s'il en est besoin; prendre pour guide dans ses rédactions les ouvrages de style, ce serait vous exposer à écrire dans le style barbare des anciens praticiens, dont le ridicule a été si amèrement signalé par M. Berriat-Saint-Prix, dans l'utile recueil de la Thémis; par le célèbre auteur du Cours du droit civil français, M. Toullier; et, avant eux, par Voltaire, dans son Dictionnaire philosophique (1).

J'ai d'autant plus de confiance dans ces dernières observations, que M. Dupin nous apprend dans une dissertation sur l'illustre Pothier, en tête de l'édition qu'il a donnée des œuvres de ce grand maître : « que le vénérable Delacroix-Frainville, l'un des doyens et des modèles du barreau français, » a long-temps conservé, mais n'a pu retrouver une lettre de Pothier, en réponse à celle qu'il lui avait écrite pour lui de>> mander s'il croyait qu'il fût indispensable à un jeune homme d'entrer chez un procureur pour y apprendre la procé>> dure; Pothier, après avoir discuté la question, à sa manière, » sous tous ses rapports, dit M. de Lacroix, et in utroque foro, s'était prononcé pour la négative, préférant la théorie » à ce genre de pratique.

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C'est en effet, je ne puis trop le répéter, en considérant la procédure sous ce triple rapport, des théories générales, de la doctrine et de la pratique, qu'elle devient une partie essentielle

actuel de certaines choses; tritura fori, qui apprend comment on doit appliquer au barreau les règles et les formalités de la procédure.

(1) Voyez Lois de la procédure, tome 1er., page XL de l'introduction.

de la science du juriconsulte, tant est grande son influence sur le sort des affaires. Faisons donc tous nos efforts, pour acquérir, quelle que soit la branche de législation à laquelle nous veuillons nous appliquer, les notions émanées de la raison et du droit naturel, ces idées mères et fécondes d'où dérivent, comme autant de corollaires, la division des cas particuliers; car, si les bornes de la prudence humaine ne lui permettent pas de les prévoir tous, l'observation et l'expérience démontrent qu'il ne s'en présentera point qui ne puissent se rattacher aux principes par des anneaux ou des conséquences plus ou moins rapprochées, plus ou moins faciles à saisir à l'aide de la science que nous avons acquise..... Agréez, etc.

SECTION XIII.

SUR L'ÉTUDE ET L'APPLICATION DU DROIT CRIMINEL.

(M. DUPIN jeune.)

Erue eos qui ducuntur ad mortem et qui trahuntur ad interitum liberare ne cesses.

PROV. XXIV. 2.

C'EST une belle et noble mission que celle de défendre l'état, les droits, la fortune des citoyens; mais il est plus saint encore, et plus élevé, le patronage qui couvre de son égide leur honneur, feur liberté, leur vie menacées. C'est là

le ministère de l'avocat brille dans son éclat et sa puisque sance, que la gravité des résultats donne plus de prix au triomphe, que la grandeur du service rendu assure plus de droits à la reconnaissance. Le glaive des lois écarté d'une tête innocente; un homme que la prévention poursuivait arraché à l'infamie; un citoyen rendu à la société, un père à sa fa

mille; quels succès! quel témoignage à se rendre pour une conscience généreuse! quel titre à sa propre estime et à celle des autres !

Sans doute l'attention publique peut s'attacher quelque fois à ces graves questions de droit civil qui touchent une foule d'intérêts matériels; il arrive encore que la curiosité soit excitée dans certaines causes par des faits ou romanesques ou scandaleux; on applaudit aux efforts heureux faits pour empêcher qu'une injuste spoliation ne se consomme. Mais qu'il est froid et passager l'intérêt qui s'attache à ces luttes! qu'elle est pâle et décolorée la gloire qu'elles donnent!

Voyez au contraire un de ces drames dont la douloureuse action se développe aux pieds de la justice criminelle, et dans lesquels un malheureux dispute sa vie aux sévères organes des lois; avec quel empressement des spectateurs de tout rang, de tout sexe, de tout âge vont assister à ces scènes animées où l'on n'a point à s'attendrir sur de feintes douleurs, mais sur des angoisses trop réelles! Avec quelle avidité l'on en recueille les moindres détails dans les feuilles qui les divulguent! Comme le public s'émeut, se passionne! Qu'il est impatient d'entendre la voix éloquente qui doit écarter les ténèbres de la prévention, dissiper les craintes de la société alarmée, et prouver que le membre qu'on voudrait arracher de son sein n'est pas indigne d'y conserver une place! Surtout si l'accusation a la couleur de la persécution; si la défense est obligée de lutter contre un pouvoir oppresseur ou contre des ennemis puissans, et de braver leurs ressentimens et leur colère, que de vœux entourent l'orateur! que de sympathie il rencontre de toutes parts! S'il est assez heureux pour vaincre, chacun s'associe à son triomphe, et s'il a le malheur d'échouer, on ne lui sait pas moins gré des généreux efforts qu'il a faits.

Aussi dans les républiques anciennes, où la voix du peuple donnait les fonctions et les dignités, les suffrages allaient chercher de préférence ceux qui s'étaient distingués dans la défense des accusés. Cicéron qui se montra toujours fidèle à ce devoir de l'orateur, et qui le remplit avec tant d'éclat, le recommande comme le plus puissant moyen de crédit et de

gloire (1). Il en cite d'illustres exemples, et celui de sa vie parle plus haut que tous les autres.

Long-temps cette noble carrière fut fermée parmi nous. Quand la brutalité féodale commettait la solution des procès au hasard des combats, exilée, comme la justice, l'éloquence ne pouvait que gémir et se taire.

En proscrivant les épreuves et les combats judiciaires, Saint-Louis rétablit l'imprescriptible droit de la défense. Mais l'empire de ses sages ordonnances, combattues d'ailleurs par la barbarie de son siècle, était renfermé dans la trop étroite enceinte de ses domaines; et lorsque l'autorité royale eut pris plus de développemens, lorsqu'on sentit la nécessité de remédier par des lois générales aux abus monstrueux qui s'étaient glissés dans l'administration de la justice, ce fut malheureusement le chancelier Poyet que François Ier. chargea d'un soin qui demandait des mains plus pures et plus amies de l'humanité. L'ordonnance de Villers-Cotterets, ouvrage de ce ministre, apportait une foule d'entraves à la défense; elle ouvrait en même temps la plus large voie à l'arbitraire et à l'oppression, en introduisant les procédures secrètes jusquelà inconnues en France. Aussi, pour ce fait, l'énergique Dumoulin qualifie Poyet d'impie, et s'écrie avec une indignation méritée : « Quelle dureté plus inique que celle d'en» lever même la défense à un accusé Mais, poursuit-il, la » justice divine l'a fait retomber sur la tête de son auteur. » En effet, l'ex-chancelier, traduit en jugement pour ses malversations, demanda vainement les moyens nécessaires pour combattre les nombreux témoignages qui lui étaient opposész il ne trouva point de pitié, celui qui avait été sans pitié pour les autres, et le juge instructeur lui fit entendre ces dures paroles: Subis la loi que tu as portée, patere legem quam ipse tuleris (2).

(1) Maximè autem et gloria paritur et gratia defensionibus, eò que major, si quandò accidit ut ei subveniatur qui potentis alicujus opibus circumyeniri, urgeri que videatur. De off., lib. 2, cap. 14.

(2) Un de nos historiens prétend qu'il répondit : « Ah! quand je

I.

Lors de la discussion de l'ordonnance de 1670, les plus grands, les plus vertueux magistrats de l'époque, le chancelier Séguier, le premier président de Lamoignon, les avocats généraux Bignon, Talon et plusieurs autres, luttèrent avec courage pour en faire retrancher un grand nombre de dispositions propres à désarmer un malheureux accusé, et à le livrer à l'impéritie ou aux passions de ses juges. Mais la cause de la liberté était peu accoutumée à triompher sous le règne de Louis XIV, et ces généreux efforts restèrent sans succès.

ainsi

La plupart des abus consacrés par l'ordonnance subsistèrent jusqu'à l'époque où l'assemblée constituante, sondant avec courage toutes les plaies du corps social, s'empressa d'y porter remède, et de replacer la législation sur les bases éternelles de la justice et de la raison. Elle commença, pour dire, ses immenses travaux par cet immortel décret du 9 octobre 1789, qui voulait que le flambeau de la publicité éclairât toutes les parties de l'instruction criminelle; que la contradiction en bannît la surprise et la fraude; que l'accusé fût libre dans le choix de ses défenseurs; que leurs conseils et leurs consolations pussent toujours descendre dans sa prison; qu'il leur fût permis d'assister à tous les actes de la procédure et d'en surveiller la régularité : enfin, si l'accusé négligeait d'invoquer cet utile appui, le juge, venant au secours de son incurie ou de son impuissance, devait lui nommer d'office un conseil gratuit.

En sanctionnant ces dispositions, avec lesquelles son cœur sympathisait certainement, Louis XVI exprima qu'il obéissait à la fois aux inspirations de sa sagesse et aux vœux de ses sujets.

Ainsi fut posé le grand principe de la défense libre et publique des accusés, principe sans lequel il ne peut y avoir ni jugement, ni condamnation légitimes; principe qui put être méconnu dans des temps de fureur et d'anarchie, mais qui ne

fis cette loi, je ne pensais pas me trouver où je suis. » J'ai peine à croire que ces paroles lui soient échappées; elles eussent été par trop naïves; mais certainement il dut se faire à lui-même cette réflexion.

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