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de juger, ni par des délégués amovibles, ni par lui-même. Il est donc vrai que s'il légitime la puissance lorsqu'il administre, il usurpe sa puissance lorsqu'il juge. Plus il administre, plus il explique son droit; plus il veut juger, plus il se suscite à luimême d'embarras! Son intérêt s'accorde donc toujours avec son devoir, et sa faiblesse commence où son pouvoir s'exagère. Le droit seul est fort, parce que le droit est réglé.

D'un autre côté, le peuple, dont la liberté civile est largement établie, s'attache avec plus de vigueur et de tendresse, au pays, aux institutions, au roi. Il regrette moins l'exercice des libertés politiques dont la plupart des citoyens sont privés, parmi nos immenses populations.

Il faut que le dernier de ces citoyens sache que la loi veille, avec des yeux de mère sur son humble foyer; il faut qu'il sache que s'il est opprimé, les cent voix de la presse s'élèveront pour le défendre; il faut qu'il sache que, si pauvre et isolé il lutte avec le gouvernement, il trouvera jusqu'au sein du palais de son roi, des juges indépendans dans des juges inamovibles.

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SECTION XI.

ÉTUDE DU DROIT COMMERCIAL.

(M. PARDESSUS,)

LES besoins du commerce ont amené les usages et les transactions qui lui sont propres ; la nécessité de fixer ces usages et d'assurer l'exécution de ces engagemens a produit la législation commerciale. Aussi l'histoire qui nous entretient des anciens peuples adonnés au commerce, de leurs immenses relations et de leur puissance, ne vante pas moins la perfection et la sagesse de leurs lois (1).

(1) Voyage du jeune Anacharsis, chap. Lv.

Mais elle n'en a point conservé les monumens. Il ne nous reste rien des règles qui présidaient aux opérations commerciales des Phéniciens et des Carthaginois. Le temps a détruit les lois de cette antique Marseille, qui florissait quand Rome n'existait pas encore, et qui, après que Rome eut vaincu l'univers, offrait à l'étude de ses jurisconsultes des institutions que Cicéron vantait devant le peuple et le sénat (1).

Les lois rhodiennes qu'Auguste, maître du monde, avait proclamées les maîtresses de la mer (2), ne sont plus connues que par quelques extraits des commentaires dont elles avaient été l'objet, heureusement conservés dans le Digeste. Per-sonne ne croit maintenant à l'authenticité du recueil publié par Simon Scardius, en 1561, et par Leunclavius, en 1596. Le corps de droit rédigé par Justinien ne contient pas de système complet des lois du commerce. On trouve sans doute dans les principes généraux applicables à tous les contrats, un certain nombre de règles dont la jurisprudence commerciale peut faire un grand usage: mais les titres spéciaux, tels que ceux de Exercitoria et Institoria actione; ad Legem Rhodiam de jactu; de Nautico fœnore; Nauta, Caupones, etc., contiennent seulement un petit nombre de principes pour déterminer l'étendue des obligations qu'un maître trop fier pour s'abaisser à commercer contractait par ses esclaves ou ses préposés. D'autres titres du Code offrent un petit nombre de règlemens, bien moins relatifs au commerce en lui-même, qu'à des opérations nécessitées par les besoins et l'approvisionnement de la capitale du monde.

Les Basiliques ne contiennent rien de plus que la compilation de Justinien, que les empereurs grecs se sont bornés à abréger et à remettre en meilleur ordre. Elles offrent même beaucoup moins, parce que le livre LIII, qui traitait dų droit maritime, est perdu, et qu'on n'y peut suppléer qu'à l'aide d'extraits contenus dans le Synopsis major.

Depuis l'invasion de l'empire par les peuples barbares, leş

(1) Cicero, pro Flacco, chap. vi.

(2) Dig, ad leg. Rhod. de jactu, lib. 1x,

lois ripuaires, celles des Bourguignons et des rois de France jusqu'au douzieme siècle, si l'on en excepte un titre fort curieux du Code des Visigoths (le titre III du livre XI), quelques capitulaires de Charlemagne, qui parut comme une aurore boréale au milieu des plus épaisses ténèbres, attestent Fignorance des maîtres de l'Europe sur les véritables sources de la fortune publique et les avantages du commerce: abandonné à des étrangers, aux juifs, il fut long-temps confondu dans la haine qu'inspiraient les usures et les rapines de ces individus. Le douzième siècle fut l'époque de la plus importante révolution dans la législation commerciale.

Quelques républiques fondées pendant les ravages de l'Italie, dans les îles ou sur des bords inaccessibles aux barbares, avaient profité de leur position qui les rendait intermédiaires entre l'Orient et l'Occident, et le commerce leur avait procuré le plus haut degré de prospérité.

L'affranchissement des communes en France avait permis d'y ramener l'industrie, et de donner une protection plus active à celles des villes maritimes de la Provence et du Languedoc qui, s'étant procuré une sorte d'indépendance, avaient pu se livrer au commerce pendant la trop longue durée de l'anarchie féodale.

· Les croisades, qui ne firent que du ma! si on les considère dans le but qui les avait fait entreprendre, furent l'occasion d'un bien dont on ne s'était pas douté. Les communications de province à province ne furent plus considérées comme des entreprises périlleuses, les voyages lointains cessèrent d'effrayer; mais, au lieu d'aller combattre dans des pays où il y avait tout à perdre, on apprit à commercer avec ceux qui offraient beaucoup à gagner.

Les navigateurs des rives de l'Océan rivalisèrent d'activité et d'industrie avec ceux des bords de la Méditerranée. Les usages maritimes, connus sous le nom de rôles d'Oléron, passèrent de la France dans l'Angleterre, la Flandre, la Hollande et jusqu'au nord de la mer Baltique. Le consulat de la mer devint la règle de toutes les négociations sur la Méditerranée. Le commerce intérieur, en acquérant des débou

chés, prit une nouvelle vie; des corporations de marchands. s'établirent et jetèrent les premiers fondemens de l'industrie, des règlemens émanés des rois de la troisième race, ou rédigés sous leurs auspices, fixèrent les usages du commerce intérieur et de la navigation des fleuves qui traversent la France (19.

Louis IX, que la religion a placé dans ses temples, et que l'histoire compte parmi les guerriers intrépides et les plus sages législateurs, assura l'exécution de ces lois par une plus parfaite distribution de la justice; publia lui-même quelques statuts sur la police des corporations, et posa dans ses immortels Établissemens des règles sur la fidélité et la validité des engagemens, que nous observons encore (2).

Ses successeurs, après que la Champagne eut été réunie à la couronne, recueillirent les usages qui depuis deux siècles assuraient la police des fameuses foires établies dans cette province, et rendirent des ordonnances qui ont été les premières sources de notre droit commercial (3).

Enfin la lettre de change fut inventée et le contrat d'assurance introduit; le commerce, affranchi de ses entraves, ne connut plus de bornes que celles du monde habitable, et la législation suivit cette marche des esprits.

L'Europe prit une face nouvelle, et toutes les villes commerçantes, depuis le golfe Adriatique jusqu'à la mer Glaciale, eurent leurs ordonnances sur le change, leurs règlemens sur la navigation et les assurances.

Puisées dans une source commune, ces lois ne différaient entre elles que sur des points de peu d'importance. Cependant l'inconvénient de ces différences se faisait sentir, et l'uniformité était appelée de toutes parts. C'était à la France qu'il était réservé de produire des hommes capables de fondre ensemble ces précieux matériaux et d'offrir au monde le premier Code commercial.

(1) Priviléges accordés par Louis VII, en 1170, aux marchands associés pour le commerce par eau de la ville de Paris.

(2) Chap. CILVI et CILVII.

(3) Ordonnances de Philippe le Bel, 1302, 1311.

Deux règnes pendant lesquels le gouvernement, d'accord avec l'esprit de la nation, avait tout fait pour le commerce, venaient de préparer la gloire du siècle de ce monarque qui la postérité a confirmé le titre de Grand. Ce ne fut pas assez pour lui d'avoir, par la création de compagnies puissantes, offert aux individus des exemples à suivre, et dirigé l'industrie vers les manufactures; il sentit l'importance d'établir des règles pour l'exercice des droits, et l'accomplissement des obligations. Dans le cours d'un petit nombre d'années parurent les ordonnances de 1673 et 1681, publiées sous l'influence du génie de Colbert, résultat heureux de l'étude des jurisconsultes les plus célèbres, et de l'expérience des commerçans les plus habiles.

L'Europe les accueillit par un consentement unanime, bien glorieux pour la sagesse d'un roi contre lequel on venait de la voir liguée tout entière. De nos jours encore, elles forment le droit commun des peuples commerçans, et dictent des arrêts jusque dans les cours de justice de notre plus ancienne rivale.

Il était naturel d'assurer la conservation d'un si bel ouvrage par un enseignement public dans les Facultés de droit qui venaient d'être rétablies. La mort de Colbert et les malheurs qui mirent Louis XIV à de si rudes épreuves vers la fin de son règne, s'y opposèrent. L'étude des lois commerciales fut abandonnée au hasard : les interprétations d'une jurisprudence arbitraire en étouffèrent le texte, en dénaturèrent l'esprit ; et les jurisconsultes, les magistrats furent peu jaloux de maintenir la pureté d'une doctrine qu'ils n'avaient point appris à respecter dans les écoles.

La nécessité d'une réforme se fit sentir. Louis XVI, qui avait montré dans l'édit de 1776 et l'ordonnance de 1781 sur les consulats quelle importance il mettait à rendre à la France son ancienne prospérité commerciale, chargea de ce travail une commission qui s'en occupait encore en 1789. On connaît tous les malheurs qui tombèrent sur la France à cette époque, et quels obstacles ils apportaient à la confection d'un code qui exigeait tant de sagesse.

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