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qui annoncent les mêmes talens que leurs prédécesseurs, et qui font vœu de pratiquer les mêmes vertus.

Le droit de n'être jugé que par ses confrères, est d'ailleurs le seul privilége de notre ordre que je connaisse. On cite, il est vrai, des arrêts qui nous ont accordé certaines prérogatives, certaines préséances sur différens officiers de justice : ces objets ne méritent pas d'occuper une personne de sens. D'autres arrêts ont déclaré que les avocats domiciliés en province ne pouvaient pas être assujettis à la collecte des impositions: c'est un privilége (1), sans doute; mais ce qui me paraît le plus digne d'attention dans ces arrêts, ce sont les éloges que de grands magistrats ont, à cette occasion, donnés à notre ordre (2). Le parlement de Rennes vient de rendre un arrêt de ce genre; il est du 13 mars 1775, et défend, à peine de 50 livres d'amende contre les délibérans, « de nommer au>> cun avocat exerçant la profession noblement, sans mélange » d'aucune autre profession dérogeante, à la collecte des impositions, ni, sans leur consentement, aux fonctions de » marguillers comptables. » Le discours de M. l'avocat général Duparc-Porée, qui a précédé la prononciation de cet arrêt, contient les réflexions les plus flatteuses pour l'ordre des avocats. M. Duparc-Porée emploie les expressions de M. d'Aguesseau, que j'ai transcrites au commencement de cette lettre, pour relever la dignité de notre ordre ; il exprime l'étendue de nos devoirs en peu de mots, lorsqu'il dit que « tous nos jours doivent être marqués par les services que nous rendons >> aux citoyens et à la patrie; que nos occupations doivent >> être un exercice continuel de droiture, de probité, de justice et de religion. »

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(1) Les avocats avaient autrefois quelques priviléges qu'il faut bien se garder de regretter aujourd'hui. Ces priviléges ou exemptions étaient utiles jadis, sous une forme de gouvernement qui admettait des distinction de caste, et où l'on attachait beaucoup de défaveur à l'acquit des charges de l'état. Actuellement chacun doit se féliciter d'être rentré sous l'empire du droit commun qui proclame l'égalité devant la loi. (2) Voyez les arrêts de la cour des aides, du 8 juillet 1672, et du 11 juillet 1760.

Mais je reviens, monsieur, au privilége (1) de n'être jugé que par nos confrères, sur tout ce qui a trait à l'exercice de notre profession. Dans l'impossibilité où la faiblesse humaine nous met de nous croire impeccables, c'est une consolation d'avoir ses confrères pour juges souverains. Telle était l'ancienne police de la France, que chaque citoyen y était jugé par ses pairs. Les droits de l'ordre des avocats sur leurs membres ont été assurés depuis peu par des arrêts solennels : on a développé, dans le même temps, les principes sur lesquels portent les jugemens d'un ordre auquel on reprochait de n'avoir ni lois ni règlemens (2). Il n'est pas besoin d'avoir des statuts écrits, lorsque l'on fait profession de ne suivre d'autres lois que les principes innés de l'honneur.

Je m'arrête ici, monsieur, et je crois en avoir assez dit pour donner à M. votre fils une idée de la profession que vous désirez qu'il embrasse. Sa manière de penser, que vous m'avez fait connaître, doit le rendre sensible aux avantages qu'elle promet. De longues études, des détails fastidieux, des discussions épineuses, auxquels on est obligé de se livrer, et pour se rendre capable de la profession d'avocat, et pour l'exercer, ont leur désagrément sans doute; mais ces peines me paraissent compensées, compensées bien abondamment, par l'obligation d'être vertueux. Notre profession en impose la nécessité.

J'ai l'honneur d'être, etc,

(1) Je n'appelle pas privilége,mais droit, d'être jugé par ses pairs. (2) Voyez l'écrit intitulé la Censure, petite brochure in-8°., publiée à l'occasion des plaintes de Linguet contre l'Ordre des avocats. J'avais d'abord eu l'idée de faire réimprimer cette pièce; mais, en la relisant, j'ai reconnu que, fondée principalement sur le droit qu'avait alors l'Ordre entier de s'assembler en corps pour prononcer en dernier ressort, comme un grand jury, sur la conduite de ses membres, elle ne s'appliquait plus à un état de choses où l'Ordre n'a pas même la nomination de son conseil de discipline, et où les décisions de ce conseil sont portées par appel devant la juridiction ordinaire.

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SECTION II.

SUR LES ÉTUDES EN GÉNÉRAL QUI SONT NÉCESSAIRES A LA PROFESSION D'AVOCAT; L'ORDRE DE S'Y LIVRER; LE PLAN D'UNE CONFÉRENCE; ET LA MANIÈRE DE SE FORMER UNE BIBLIOTHÉQUE.

(Seconde lettre de CAMUS.)

Vous me marquez, monsieur, que ma dernière lettre a achevé de vous déterminer à engager M. votre fils à la profession d'avocat, et qu'elle l'a décidé lui-même à l'embrasser; vous voulez maintenant que je lui indique les études auxquelles il doit se livrer.

Si vous voulez bien vous rappeler, monsieur, l'idée que je vous ai donnée de l'avocat, en le définissant un homme de bien qui aide les autres de ses conseils et de son éloquence, qui les conduit par des avis sages, et qui les défend par ses écrits et par ses discours, vous concevrez facilement que le plan d'étude, capable de former un tel homme, est trèsvaste. Je me propose d'abord de jeter un coup d'œil rapide et général sur les connaissances nécessaires à l'avocat, d'indiquer à M. votre fils quelques vues sur l'ordre que l'on peut mettre dans l'acquisition de ces connaissances, sur la manière d'abréger ses études, et de se les rendre plus utiles par des conférences; enfin, de dire un mot sur le soin qu'un jeune avocat doit avoir de se composer une bibliothéque.

L'éloquence est une partie essentielle à l'avocat ; il faut que dès sa jeunesse il l'étudie et s'y forme. Pour lui montrer le but et l'objet de son étude, j'emprunterai les expressions du sage abbé Fleury. « Je n'entends pas ici, par éloquence, ce qui fait faire ces harangues de cérémonie et autres discours » étudiés qui chatouillent l'oreille en passant, et ne font le plus souvent qu'amuser. J'entends l'art de persuader effecti»vement, soit que l'on parle en public ou en particulier;

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j'entends ce qui fait qu'un avocat gagne plus de causes qu'un

» autre, qu'un magistrat est le » tions de sa compagnie; en » homme se rend maître des choix des études, no. 31).

plus fort dans les délibéraun mot, ce qui fait qu'un esprits par la parole. » (Du

Comment acquérir ce talent précieux? Donner à sa parole ou à ses écrits cette douceur qui persuade, cette clarté qui ne laisse aucun doute dans l'esprit de l'auditeur, cette préci sion qui ne l'entretient jamais au delà du moment où son attention va cesser; cette adresse qui saisit le faible des objections pour les réduire en poudre; enfin, cette force qui subjugue, entraîne, et ne permet pas de résister? Peu de préceptes, beaucoup de modèles : tel est mon avis, monsieur. Je m'explique. Les règles de l'éloquence ne sont ni arbitraires ni factices; ceux qui les ont recueillies ont observé, dans les discours auxquels ils avaient vu produire les effets de l'éloquence, les principes qui avaient pu être la cause de ces effets; leurs réflexions ont formé ce que nous appelons l'art de la rhétorique. Il est nécessaire de connaître cet art, pour lire avec plus de fruit les mêmes ouvrages d'après lesquels les préceptes ont été rédigés; mais puisque ces ouvrages sont encore entre nos mains, ce sont eux surtout que nous devons lire et méditer. Ainsi le sculpteur apprend de ses maîtres les règles des proportions, et la manière de tenir le ciseau ; l'étude des modèles fameux et son génie le mènent à la perfection.

Dans le cours ordinaire des classes, on s'instruit de que!ques-uns des préceptes de l'éloquence, on apprend les termes de l'art; pour en faire une étude plus particulière, relisez le second volume du Traité des études, le Traité du sublime, et les deux traités de Cicéron, intitulés, l'un, De l'Orateur, l'autre, L'Orateur. Cicéron y traite des règles de l'éloquence en orateur parfait en même temps qu'il apprend à devenir éloquent, il inspire la passion de l'être, par les éloges sublimes qu'il fait de l'éloquence (1). Voulez-vous quelque chose

:

(1) Quid est tam potens tamque magnificum, quàm populi motus, judicum religiones, senatus gravitatem, unius oratione converti?

quí se rapproche davantage de nos mœurs et de notre temps, lisez la préface qu'un avocat estimable (M. Besnard) a mise à la tête de la collection des œuvres de M. Cochin (1). Joignez aux préceptes de l'éloquence ceux du raisonnement; remplissez-vous des principes de la Logique, connu sous le nom de Port-Royal (2).

Vous vous êtes mis en état de sentir les beautés de l'art oratoire, vous connaissez ses ressources, ses mouvemens, ses figures; lisez Démosthène, et après l'avoir lu, relisez-le encore. Comparez ce plaidoyer célèbre où il défend Ctésiphon contre Eschine, avec le discours où Eschine accuse Ctésiphon; suivez la marche des deux orateurs; appliquez-vous à découvrir ce qui constitue la supériorité de Démosthène sur Eschine. Méditez ensuite Cicéron; n'ignorez aucun de ses discours. Étudiez d'Aguesseau, mais que Cochin ne sorte jamais de dessous vos yeux. Je vous indiquerais d'autres orateurs; mais pourquoi, lorsque l'on tend à la perfection, ne pas s'attacher uniquement à ceux que nous croyons y être arrivés? La vie est bien courte pour l'employer à des études qui ne soient pas de la première utilité. Lemaître, Patru, Erard, Gillet, nous ont laissé des plaidoyers dont la lecture peut être utile, sans doute; mais lisez plutôt trois ou quatre fois Cochin (3).

Quid porrò tam regium, tam liberale, tam munificum, quàm opem ferre supplicibus, excitare afflictos, dare salutem, liberare periculis, retinere homines in civitate? Quid autem tam necessarium quàm tenere semper arma, quibus vel tectus ipse esse possis, vel provocare improbos, vel te ulcisci injurià lacessitus ? (De Oratore, lib. 1, no. 8.) (1) Cela ne suffit pas. Lisez aussi les Intitutions oratoires de M. Delamalle.

(2) Adde celle de Condillac. Elle est plus courte et plus philosophi que: Elle repose sur cette règle fondamentale: La liaison des idées.

(3) Trois ou quatre fois Cochin! Six volumes in-4°. C'est beaucoup à une époque surtout où il y a tant à lire. Cochin peut être le modèle d'une discussion sage. Ses compositions sont en général bien ordonnées et ramenées à un point unique et central autour duquel il groupe les moyens secondaires. Mais elles sont aussi sans couleur,

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