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J'APPRENDS avec une vraie satisfaction, monsieur, les succès de M. votre fils: vous êtes récompensé du soin que vous avez apporté à son éducation. Je suis sensiblement touché de ce que vous me dites de son caractère, de ses mœurs, de ses sentimens d'honneur et de probité. On ne saurait annoncer des dispositions plus heureuses pour la profession à laquelle vous le destinez. Vous me demandez, monsieur, mon sentiment sur cette profession : vous ne craignez donc pas qu'une sorte d'amour-propre m'aveugle sur mon état, et m'engage à ne vous le montrer que sous des apparences séduisantes, mais trompeuses?

Je ne vous dissimulerai pas, monsieur, que lorsque j'entends M. le chancelier d'Aguesseau appeler l'ordre des avocats un ordre aussi ancien que la magistrature, aussi noble que la vertu, aussi nécessaire que la justice (1), mon amour-propre est flatté de ce que je suis compté au nombre de ses membres : peu s'en faut que je ne mette ma profession au-dessus des autres; mais bientôt la raison et l'expérience me rappellent à

(1) OEuvres de M. d'Aguesseau, Discours sur l'indépendance de l'avocat, tome I , page 3.

une manière de penser plus sage : je vois qu'ici, comme à tous les autres états de ce monde, il faut appliquer le mot d'Horace : Nihil est ab omni parte beatum. Je me restreins donc alors à penser que la profession d'avocat a des avantages assez considérables pour attirer à elle des personnes qui ont des talens, du patriotisme et de l'élévation dans l'esprit.

Voulez-vous inspirer le goût de cette profession à M. votre fils? Commencez par lui en exposer la dignité. Sans archives, sans registres, nous avons cependant nos titres. Ces titres sont les discours des magistrats célèbres qui ont relevé souvent, avec les expressions les plus magnifiques, la beauté de notre profession (1). Ce sont des arrêts solennels qui attestent la haute estime que les premiers magistrats ont pour un état si voisin du leur (2). Des exemples fameux, puisés dans l'histoire, ajouteraient, s'il était besoin, aux preuves de la considération dont la profession d'avocat a été honorée. Rymer nous a conservé un traité du 1er juin 1546, par lequel le roi de France et le roi d'Angleterre nomment quatre jurisconsultes arbitres d'une question importante qui s'élevait entre eux, et promettent de s'en rapporter à leur décision (3).

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Mais de tout ce que j'appelle nos titres, je n'en connais point de plus ample ni de plus beau que le Dialogue des Avocats, par Loisel (4). Il est imprimé dans le recueil de ses opuscules : c'est un écrit assez court, qui occupera agréablement M. votre fils, en même temps qu'il l'instruira de sa dignité future, et qu'il lui montrera des exemples à suivre. Pasquier, si connu par ses Recherches sur la France, est le principal interlocuteur du dialogue. Loisel, qui était fort lié avec lui, a mis dans sa bouche l'histoire du barreau de Paris,

(1) Voyez les harangues faites aux rentrées des cours, et, en particulier celles de M. d'Aguesseau.

(2) Voyez les arrêts du 22 avril 1761, et du 2 avril 1762.

(3) Actes de Rymer, tome XV. Il s'agissait d'une somme de 512,022 écus que le Roi d'Angleterre prétendait lui être due par le Roi. (4) C'est ce qui m'a déterminé à le faire réimprimer.

depuis que le parlement a été sédentaire dans cette ville, jusqu'au commencement du dix - septième siècle. Une multitude d'anecdotes intéressantes y sont recueillies. Elles ne sont pas moins précieuses à l'Ordre des avocats, dont elles établissent la grandeur, qu'elles le sont aux maisons anciennes de la robe, dont elles montrent l'origine dans les avocats célèbres de ces époques reculées. Il n'en est presque aucune aux chefs desquelles l'exercice de la profession d'avocat n'ait servi de degré pour monter aux premièrees dignités : les alliances entre ces maisons et des avocats en réputation sont fréquentes.

à mon

Mais c'est assez vous entretenir de ce qui a été dit sur la noblesse de la profession d'avocat : la vraie manière de montrer combien une profession est recommandable, est, avis, de développer les qualités qu'elle exige, les devoirs qu'elle impose. L'élévation de ces qualités, la sublimité de ces devoirs, sont, selon mon sentiment, la juste mesure de la considération qui lui est due. Pour que ma proposition soit exacte, il faut que je commence par vous rendre compte, monsieur, de l'idée que me présente le nom d'avocat.

L'état d'un homme qui ne se serait livré à l'étude des lois que dans la basse espérance de multiplier ses richesses aux dépens des victimes infortunées de la chicane, l'état de celui qui n'aurait cultivé l'art oratoire que pour vendre à plus haut prix l'usage de talens souvent dangereux et perfides, sont, l'un et l'autre, deux états diamétralement opposés à celui d'un avocat. L'exercice de la profession d'avocat doit mener à l'honneur plutôt qu'à la fortune; et dans l'ordre des idées que je me suis faites sur cette profession, un premier titre pour mériter, à celui qui l'embrasse, la considération des gens sensés, c'est de voir qu'il dédaigne les professions lucratives, la plupart moins pénibles et moins laborieuses, pour se dévouer à des fonctions qui ne promettent guère que de l'honneur, après un dur travail, à ceux qui les exercent avec le plus de succès.

Qu'est-ce donc, monsieur, que j'entends par un avocat? Un homme de bien, capable de conseiller et défendre ses

concitoyens. Caton définissait l'orateur, un homme de bien qui sait parler : Vir probus dicendi peritus. J'ajoute au talent de parler, celui de conseiller. En même temps que l'avocat parle et écrit comme un orateur, je veux qu'il pense et raisonne comme un jurisconsulte; mais j'établis ma définition sur la même base sur laquelle Caton fonde la sienne : la qualité d'homme de bien en est toujours la première partie. L'importance des affaires dont on dépose le secret entre les mains de l'avocat ; la confiance qu'il lui est nécessaire de mériter; la certitude qu'il doit inspirer, qu'en s'adressant à lui on sera toujours fidèlement conseillé, jamais trompé, encore moins trahi, exigent qu'il joigne les qualités du cœur à celles de l'esprit. Une probité scrupuleuse, une décence toujours soutenue, parce qu'elle n'est que la conséquence des principes profondément imprimés dans l'âme, sout ici des qualités essentielles.

C'est cet homme, tel que je viens de vous le décrire, qui paraît à mes yeux infiniment estimable. Il est beau, sans doute, de voir Démosthènes arracher le masque aux pensionnaires de Philippe; échauffer les Athéniens et les animer à la défense de la patrie; se défendre, lui et son ami, des calomnies d'un envieux et d'un traître : Cicéron ouvrir sa carrière par la défense d'un innocent accusé de parricide; dénoncer à la justice un gouverneur coupable d'avoir dépouillé les provinces confiées à sa vigilance et à ses soins; poursuivre tantôt Catilina, tantôt Marc-Antoine: mais, dans tout ceci, c'est l'orateur seulement que vous apercevez. Voici ce qu'il faut y ajouter pour rendre complète l'idée d'un véritable avocat.

Se sacrifier, soi et toutes ses facultés, au bien des autres; se dévouer à de longues études, pour fixer les doutes que le grand nombre de nos lois multiplie; devenir orateur pour faire triompher l'innocence opprimée; regarder le bonheur de tendre une main secourable au pauvre, comme une récompense préférable à la reconnaissance la plus expressive des grands et des riches; défendre ceux-ci par devoir, ceuxlà par intérêt tels sont les traits qui caractérisent l'avocat. Toutes les personnes qui s'adressent à lui sont écoutées

indistinctement; mais il ne défend pas les causes de tous sans distinction. Son cabinet est un tribunal privé; il y juge les causes avant de se charger de les défendre. Ce serait faire un usage criminel de ses talens, que de les employer à pallier l'injustice; en manquant à son devoir, on s'exposerait à perdre sa réputation. Celui-là même qui entreprend de réussir par des voies criminelles sait quelle distance il y a entre lui et la probité; il méprise quiconque s'éloigne de la probité pour se rapprocher de l'injustice. Si l'avocat se trompe dans ce jugement particulier qu'il prononce sur les prétentions de son client, que son erreur ne soit pas une suite de l'éblouissement que cause aux yeux vulgaires l'éclat, ou de la dignité, ou du rang, ou des richesses; qu'elle soit l'effet de la compassion qu'avaient excitée dans son cœur les larmes d'un malheureux : en s'annonçant comme opprimé, il faisait oublier qu'il pouvait être coupable.

L'examen des demandes du nouveau client lui est-il favorable? ses intérêts deviennent, dès ce moment, plus chers à son avocat qu'ils ne le sont au client lui-même. En lui déclarant que ce qu'il demande est conforme à la raison et aux lois, on s'est rendu, en quelque manière, garant du succès. D'ailleurs, la passion dominante de l'avocat étant l'amour de ce qui est juste, droit et honnête, comment pourrait-il ne pas réunir tous ses efforts pour faire triompher ce qu'il regarde comme juste, droit et honnête?

Le zèle avec lequel l'avocat se livre à la défense d'une cause dont il s'est chargé deviendrait bientôt stérile; son courage pour attaquer de front l'injustice, lorsqu'elle marche à découvert; son adresse pour dévoiler des passions qui, honteuses d'elles mêmes, s'enveloppent des apparences de la vertu, seraient inutiles, s'il n'avait pas la liberté entière de parler. En Lorraine, une ordonnance expresse assure aux avocats, sous la protection du souverain, une liberté absolue d'employer leur ministère, soit en plaidant, soit en écrivant, soit en consultant contre toute personne de quelque rang, qualité, naissance ou dignité qu'elle soit. L'ordonnance ajoute que, si aucune partie puissante ou autres, venaient,

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