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tre eux; ce puissant encouragement qu'il accordait aux plus jeunes, versant pour eux tous les trésors de son immense érudition, avec une sûreté de mémoire et une précision dans les dates qu'il a conservées jusqu'au dernier moment; tant d'avantages que les plus habiles trouvaient dans le commerce aimable de cet homme supérieur, nous ramènent, à titre de réciprocité, à vous rappeler tout le respect que nous devons à nos magistrats.

Un de nos plus vieux auteurs français, Jean Desmares, qui écrivait en 1372, et qui nous a laissé, sous le titre de Décisions, une suite d'adages et d'aphorismes du Palais, a mis au nombre de ses maximes, que li advocats doivent acquérir et garder l'amour du judge. En effet, tous gagnent dans cet heureux retour d'égards, de bienveillance mutuelle et de sentimens affectueux; les hommes s'en trouvent bien, et les affaires aussi. Cette intimité réciproque existait surtout autrefois entre les avocats et messieurs les gens du roi. Ceux-ci s'honoraient d'être portés en tête de notre tableau, et le barreau conservera long-temps le souvenir de cet avocat général (1), qui prétendait obligeamment ne s'appeler ainsi que parce qu'il était, disait-il, le général des avocats.

Cet accord si désirable, que nous nous efforcerons toujours de soigneusement entretenir entre la magistrature et le barreau; ce respect profond dont nous faisons si hautement profession pour elle, n'ont jamais empêché les avocats de faire valoir leurs prérogatives et de soutenir leurs droits avec vigueur quand ils les ont cru violés ou méconnus. Témoin l'émotion qui saisit l'Ordre tout entier à l'apparition d'un article de l'ordonnance de Blois qui blessait leur délicatesse, et qui donna lieu au Dialogue des avocats, de Loysel; témoin encore la juste plainte que le bâtonnier, assisté d'une députation des anciens, alla porter au président de Thou, pour une insulte que ce magistrat s'était permise à l'audience contre Mo. Charles Dumoulin, et dont ce grand magistrat n'hésita point à leur faire ré

(1) Antoine L. Séguier, père de M. le premier président.

paration (1). Enfin, jusque dans ces derniers temps, nous trouvons la preuve que l'ordre des avocats a toujours su réclamer coutre ce qui lui faisait grief, sans s'écarter en rien de la vénération dont il demeure inviolablement pénétré pour les magistrats. C'est ainsi que le parlement savait quelquefois résister au trône même, sans cesser de demeurer dans les bornes du respect et de la fidélité.

Mes chers confrères, aimons notre état, c'est le moyen le plus assuré d'y réussir et de s'y trouver heureux. Efforçonsnous d'honorer notre profession, et pour cela ne craignons pas de nous en former une trop haute idée. Jamais nous ne dirons rien d'elle qui puisse égaler ce qu'en ont dit avant nous les plus illustres magistrats, d'Aguesseau surtout. Ce sentiment ne peut pas nous être imputé à vanité ; car il n'engendre pour nous que des obligations. Exalter cette noble profession, c'est dire que nous ne pouvons que bien difficilcment atteindre à tout ce qu'elle impose de devoirs et de sacrifices, à tout ce qu'elle exige de capacité, d'application et de dévouement. Du reste, si le barreau moderne reste inférieur à l'ancien, ce sera notre faute; car les grandes occasions de bien faire et de bien dire ne nous aurons pas manqué!........ De nos jours, en effet, l'état d'avocat a acquis plus d'importance encore par le développement de nos institutions, par l'établissement du gouvernement représentatif, la publicité des débats judiciaires soutenue de la liberté de la presse, et cette tribune nationale dont le labeur, en variant seulement les formes de la discussion et du langage, n'est pour nous qu'une

(1) Dumoulin plaidait d'une manière peu agréable, au point que le premier président de Thou, fatigué de Pentendre lui dit un jour: Tuisez-vous, Me. Dumoulin, vous êtes un ignorant. L'ordre des avocats ressentit vivement cette injure, et il fut arrêté que le bâtonnier, avec une députation des anciens, irait s'en plaindre à M. le premier président. Admis à son audience, le bâtonnier lui dit avec toute la gravité du temps: Læsisti hominem doctiorem quàm unquàm eris. « Cela

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» est vrai, dit avec autant de franchise que de modestie M. de Thou, j'ai eu tort; je ne connaissais pas tout le mérite de M. Charles

. Dumoulin.

continuation de la profession d'avocat, puisqu'elle nous offre seulement une cause de plus à défendre, et la plus belle de celle du pays!

toutes,

Un gouvernement constitutionnel est éminemment le gouvernement du droit. Le mot légitimité dans toute sa puissance n'a pas d'autre sens. L'ordre légal peut être raillé par les factieux; il sera toujours ce qu'il y a de plus saint et de plus respectable à nos yeux. Interprètes de la législation, nous saurons en garder le langage en invoquant son appui; amis de la règle, et par-là même ennemis irréconciliables de l'arbitraire, tout droit blessé trouvera parmi nous des défenseurs. Fidèles à notre serment envers le prince, envers le pays; organes indéfectibles de la justice et des lois, et surtout de cette loi fondamentale, gage suprême de notre avenir, et à laquelle nous avons, comme au roi lui-même et avec lui, juré d'obéir; le droit public comme le droit privé nous trouvera prêts à faire, en toute rencontre, le devoir de notre profession.

C'est au sein de notre Ordre que doit se trouver le type de ce courage civil qui, dans les grandes épreuves de la vie sociale, rend l'homme capable des plus généreux efforts et des sacrifices les plus rigoureux pour obéir à sa conscience et rester fidèle à sa conviction. Ce genre de courage n'exige point la vigueur du corps, mais uniquement celle de l'âme : il s'appuie sur des doctrines arrêtées, et dont on s'est bien rendu compte; il lui faut une vue nette du droit à exercer ou du devoir à remplir; il exige la fermeté de la vertu, la constance du sage, qu'aucun revers ne peut ébranler.

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La profession d'avocat peut ainsi conduire à la gloire elle offre de quoi suffire à la plus noble ambition; mais elle veut du dévouement, du travail, de la persévérance; elle suppose dans ceux qui l'embrassent une active émulation.

Puisse, Messieurs, cette émulation se développer de plus en plus au milieu de vous, mais sans jamais altérer le sentiment de la confraternité ! C'est assez vous dire qu'il faut se garder de l'envie, elle rend plus malheureux encore ceux qui l'éprouvent que ceux qui en sont l'objet. L'envie dégrade

l'envieux; car il ne fonde son élévation que sur l'abaissement ou l'humiliation d'autrui; tandis que l'émulation, en laissant aux autres tout leur mérite, nous inspire seulement le louable désir de faire encore mieux.

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Eh pourquoi se décourager? Il n'y a parmi nous ni premier ni dernier, Aucun orateur ne réunit toutes les perfections; la qualité qui manque à l'un se retrouve chez son confrère tel est habile à plaider un ordre de questions, qui réussit moins bien dans un genre différent. Enfin le choix des causes sert encore, sous un autre point de vue, à rétablir l'équilibre des forces entre avocats d'ailleurs d'un mérite inégal; car je ne connais pas de bon avocat dans une mauvaise cause; et si l'on a su choisir la meilleure, il est bien difficile qu'on ne reste pas le plus fort.

Demeurez donc tous bien convaincus de la vérité de cette exhortation que Pasquier adresse aux fils de Loysel à la fin du Dialogue des avocats, et par laquelle je veux terminer aussi cette allocution :

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« Vous devez tous prendre courage de travailler, et estimer que, de quelque province que vous soyez, il y a place pour tous au barreau;—n'y ayant prince, seigneur, ni personnage de si grande étoffe et fortune qui n'ait af» faire du conseil et de l'assistance de l'avocat à ses plus importantes affaires : — et non-seulement pour la conserva>>tion de ses biens temporels, mais aussi de son honneur et quelquefois de sa propre personne. Vous exhortant sur

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» tout à servir de défense aux innocens, aux veuves et aux orphelins, contre l'oppression des puissans, selon le commandement de Dieu.

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Enfin, vous devez vous efforcer de conserver à notre » Ordre le rang et l'honneur que nos ancêtres lui ont acquis » par leur mérite et par leurs travaux, pour le rendre à

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ABRÉGÉE

DE L'ORDRE DES AVOCATS;

PAR M. BOUCHER D'ARGIS.

An

CHAPITRE PREMIER.

IDÉE GÉNÉRALE DE LA PROFESSION D'AVOCAT.

CICERON, le prince de l'éloquence romaine, et qui en a donné tout à la fois les règles et le modèle, définit l'orateur, un homme de bien, habile dans l'art de bien dire, et qui emploie la parfaite éloquence pour défendre les causes publiques ou privées (1).

La profession d'avocat embrasse aujourd'hui, non-seulement la même fonction qu'exerçaient à Rome les orateurs, mais aussi celle des jurisconsultes, dont l'emploi, chez les Romains, était séparé de celui des orateurs. Les avocats sont même, en plusieurs occasions, associés au ministère des juges, de sorte que leur profession est beaucoup plus étendue que celle des orateurs romains.

On peut donc définir l'avocat un homme de bien, versé dans la jurisprudence et dans l'art de bien dire ; qui concourt à l'administration de la justice, soit en aidant de ses conseils ceux qui ont recours à lui, soit en défendant en jugement leurs intérêts de vive voix ou par écrit, soit en décidant lui-même leurs différends, lorsque la connaissance lui en est attribuée.

La première qualité de l'avocat est d'être homme de bien; il doit faire profession de la plus exacte probité; l'honneur et

(1) Orator, vir bonus dicendi peritus, qui in causis publicis et pri· vatis, plenâ et perfectâ utitur eloquentiâ. Cic. de claris oratoribus.

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