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mon aisné, nous nous ferons conseillers comme les autres : et puisqu'on ravale si bas nos charges, il nous faudra mettre au nombre de ceux qui font les arrests. Tout beau, mon fils, dis-ie, tout beau pensez vous que cecy puisse durer longuement? Et que feront messieurs les conseillers en leurs estats, s'il n'y a des advocats et des procureurs qui leurs taillent de la besongne? Il est impossible que les choses en puissent demeurer là. M. le procureur general a envoyé vers le Roy pour l'en advertir, afin d'y pourvoir. - Vous dites vray, dit M. Pasquier, et croy que vous en aurez bien-tost des nouvelles. Mais cependant et en attendant les lettres du Roy, à quoy passerez vous le temps; car vous estes maintenant de loisir, la plaidoirie ne vous estant pas seulement interdite, mais aussi les escritures, les consultations, et toutes les autres fonctions d'advocat? A revoir nos livres, dit M. Pithou, et estudier plusque iamais. Ie le dis pour ces ieunes gens, et ceux de leur âge, lesquels estans venus un peu cruds au barreau, doivent faire fonds et provision d'estude, pour s'en servir cy-apres. Nous en sommes maintenant trop desbauchez, dit mon fils; et desja beaucoup de mes compagnons sont resolus de les quitter : aussi bien l'honneur en est-il du tout banny. N'est-ce pas une honte, qu'il faille que nous soions contraints de faire comme les sergens, qui sont tenus de mettre au bas de leurs exploicts ce qu'ils reçoivent des parties, pour le salaire qui leur est taxé par les ordonnances? Car encores que le nostre ne soit point borné, ains remis à nostre discretion, si est il honteux non seulement de l'escrire, mais aussi de le dire. Et quand nostre taxe viendrait de la pure liberalité de la partie, si serions nous tousiours subiects à la censure ou mal-veillance d'un rapporteur, qui ayant fait mander l'un de nous en sa chambre pour rendre un ou deux escus qu'on luy auroit donné de plus qu'il n'estimera nostre labeur, sera bien aise de nous faire condamner à les rendre, et par là nous faire recevoir une si grande honte, que l'aymerois mieux n'estre iamais entré au palais, que cela me fust advenu. Et d'ailleurs, où est l'honneur que i̇’ay entendu de vous, mon père, avoir esté autresfois au palais, et

la faveur que messieurs les présidens portoient aux ieunes advocats de vostre temps, les escoutant doucement, supportans et excusans leurs fautes, et leur donnans courage de mieux faire au lieu que maintenant il semble à quelques-uns, que nous soions d'autre bois ou estoffe qu'eux, et quasi des gens de néant, nous interrompans et rabroüans à tout bout de champ, nous faisans par fois des demandes qui ne sont nullement à propos; et non seulement à nous autres ieunes gens qui le pourrions quelquesfois avoir merité, mais bien souvent aux anciens, et à ceux qui entendent si bien leurs causes, que l'on voit par la fin et la conclusion, que ceux qui leur avoient fait ces interrogatoires et interruptions, avoient eux-mesmes tort, et non les advocats plaidans, qui se trouvoient n'avoir rien dit, qui ne fut pertinent et necessaire à leur cause. Non, mon père, non : il ne faut plus esperer que la dignité qui a esté jadis en l'ordre des advocats y demeure, au moins tant que ce beau reglement durera. Car quant à ce qu'on le veut fonder sur un article de l'ordonnance de Blois (1), l'on sçait que cet article y ayant esté couché sans la requisition des estats, il ne fut jamais observé.

Ce n'est pas cela, mon fils (et dont vous avez par adventure occasion de vous plaindre), qui a fait ravaler nostre Ordre, où il se voit maintenant. Il y a long-temps qu'il commence à descheoir du rang auquel i'ai autresfois oüy dire à M. l'advocat Du Mesnil, vostre oncle, qu'il estoit; et luymesme s'en plaignoit desja de son temps, nous disant que quand il vint au palais, toutes les affaires des princes et seigneurs du royaume passoient par les mains des advocats, iusqu'à estre et prendre qualité de chancelliers de leurs maisons, nous nommant feu M. Brinon, président à Rouen, lequel estant simple advocat estoit chancellier d'Alençon; M. de Mesme, chef du conseil de Navarre et d'Albret, qui depuis fut lieutenant civil et maistre des requestes, pere et grand pere de ceux que nous avons veus et voyons à present; et auparavant eux M. Pierre l'Orfevre, chancellier d'Orléans, du

(1) C'est. l'art. 161, 1apporté ci-devant,

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temps du roy Charles VI; M. lean de la Riviere, chancelier du duc de Bretagne, et M. Nicolas Raulin, chancellier de Bourgongne, tous advocats en parlement, et plusieurs autres dont il avoit oüy parler à M. le president Raimond, son oncle et le vostre, disant que les advocats, conseillers des maisons des princes conduisoient et manioient toutes leurs affaires non seulement du palais, mais aussi celles qu'ils avoient au conseil du Roy et ailleurs, tant dedans que dehors le royaume. Mais les officiers du Roy se sont depuis emparez de cet employ, et s'en entremettent maintenant plus que iamais. Ce qui commençant desia en quelques uns du vivant de feu monsieur vostre oncle fut cause de luy faire adjouster à l'ordonnance les défenses aux conseillers et officiers du Roy, de s'entremettre des affaires des seigneurs (1), laquelle ordonnance neantmoins ne sera iamais gardée, tant que les offices seront venaux, et qu'ils en seront dispensez, comme ils le sont incontinent qu'ils en font la moindre requeste au Roy, ou à ceux qui ont du credit auprés de Sa Maiesté. Car auparavant l'estat d'advocat estoit la pepiniere des dignitez, et le chemin de parvenir aux offices de conseillers, advocats du Roy, presidens et autres. C'est cela, mon fils, qui est la cause du ravalement de l'honneur des advocats, n'y ayant maintenant seigneur qui n'aie un president, un maistre des requestes, ou un conseiller pour chef de son conseil, lequel quelquesfois n'y entendant rien s'il n'a premierement esté advocat, ou n'en voulant pas prendre la peine, est contraint d'employer sous soy un advocat qui se soumettant à luy pour quelque petit salaire, gages ou pensions qu'il lui fait ordonner, fait comme ceux qui se vendent ad pretium participandum : car il est luy mesme cause de ce que l'honneur de son Ordre est ainsi desrobé, et transporté ailleurs. Ie connois un de messieurs les maistres des requestes, et des meilleurs de son quartier, lequel m'a dit tout franchement qu'il avoit eu volonté de continuer l'exercice de la charge d'advocat, mais que voyant le peu de compte que l'on en faisait au prix des officiers du Roy, il s'estoit jetté aux offices,

(1) Orléans, art. 44; Moulins, art. 19; Blois, art. 112 et 269.

et par ce moyen fait chef du conseil de la maison d'un grand, au lieu que s'il fust demeuré en la salle du palais il y eut esté

des derniers.

Cela est vray, dit M. Pasquier, et ce mal a principalement commencé en mes iours, et vous en pourray dire autant qu'homme de ma robbe. Car estant venu au palais des l'an 1549, messieurs maistres Christophle de Thou et Pierre Seguier defuncts y tenoient les premiers rangs d'advocats, dont ils furent bien tost apres advancez aux estats, mesmément feu M. Seguier en celuy d'advocat du Roy, et puis tous deux faits presidens par l'erection du semestre (1). Et pour monstrer que la dignité d'advocat du Roy ne donnoit aucun advantage pardessus c'elle d'advocat du commun, c'est que M. de Thou fut receu president avant M. Seguier, qui estoit deslors advocat du Roy, et depuis il fut premier president par le decez de feu M. le president le Maistre. Mais pour revenir à ce que vous disiez tantost, il est certain que les principales affaires du palais passoient par les bouches et les plumes de ces deux, pendant qu'ils estoient advocats, et principalement de M. Seguier qui estoit du conseil de madame de Ferrare, de M. de Nevers, de feu M. le connestable de Montmorency, du seigneur de Nantouillet, prevost de Paris, fils de M. le chancellier du Prat, et de plusieurs autres; des affaires desquels ils ne put s'exempter du tout pour estre officier; mais fut comme contraint de prendre dispense de Sa Majesté pour demeurer du conseil de madame de Ferrare, fille de France, et à son exemple de M. de Nevers et de M. le connestable. Ce fut donc M. le president Seguier, qui le premier de ma connoissance continua d'estre du conseil des princes et seigneurs, desquels il avoit esté advocat. Et comme nous sommes au royaume des conséquences, et que souvent les mauvais exemples procedent de bons commencemens, ceux qui sont venus depuis ont voulu faire le semblable, mais non avec pareille suffisance, honneur, ny retenuë; car il n'en faisoit point de monstre, et ne s'employoit qu'aux affaires d'importance,

(1), En l'an 1554.

comme en quelques arbitrages, contracts de mariage, grandes acquisitions, et partages de maisons, et non aux affaires ordinaires ny aux procez, et sans que les advocats s'y trouvassent, comme l'on fait maintenant, que les princes et seigneurs ont estimé ne pouvoir estre dignement servis en leurs affaires, s'ils n'ont en leur conseil quelque president, maistre des requestes ou conseiller. — C'est donc pour cela, dit mon aisné, qu'il faut essaier de l'estre. Mais les advocats, dit M. Pasquier, ont esté et sont mal advisez de se ranger en telles assemblées, et se doivent prendre à eux-mêmes et non à d'autres, si le principal honneur de leurs charges leur a esté par ce moyen soustrait; car s'ils ne s'y trouvoient point, on n'y pourroit quasi rien faire sans eux. Voila donc ce qui a principalement fait descheoir l'honneur de l'estat d'advocat ; et c'est aussi l'une des causes qui a fait tant rechercher et encherir les offices; ioint que maintenant on évoque du parlement une grande partie des causes qui luy appartiennent, au lieu qu'on les y renvoyoit de toutes parts, qui est un autre discours lequel seroit trop long pour cette heure. Je suis fort aise, dis-je à M. Pasquier, d'avoir entendu ce propos, et vous en remercie, tant pour moy qui ay entendu des choses que ie ne sçavois pas, que pour cette ieunesse, que ie voy toute desbauchée par ce nouvel arrest. Mais puisque nous en sommes venus si avant, nous voudriez vous faire ce bien, vous qui avez esté si long-temps et avec tant d'honneur au barreau, et si soigneux de rechercher les antiquitez et singularitez de nostre France, de prendre la peine de nous dire ce que vous avez pû entendre et connoistre de l'ordre des advocats du parlement? l'entends de leur premiere institution et progrez, de l'honneur et dignité de leurs charges, et particulièrement nous dire leurs noms, et remarquer ceux qui ont paru et tenu quelque rang entre eux, et chacun d'eux en leur temps : non que ie veuille vous prier de parler de ceux qui sont vivans, ny pareillement de vous; estimant l'un aucunement importun, et l'autre un peu trop curieux, et par adventure perilleux et sujet à envie; en iugeant peutestre autrement d'eux qu'ils ne voudroient, ou que d'autres

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