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pour faire effacer de ce décret plusieurs dispositions dont leur délicatesse n'avait pas cessé d'être blessée. On parut s'empresser de vouloir les satisfaire. Un rapport au roi, œuvre › du garde des sceaux Peyronnet, flétrissait le décret de 1810, en rappelant ce qu'il avait d'offensant pour les avocats (Voy. ci-devant, pag. 133). Dans le préambule même de l'ordonnance du 20 novembre 1822, on lisait : « Que S. M. ayant résolu de prendre en considération les réclamations qui ont été formées contre les dispositions du décret du 14 décembre 1810, et voulant rendre aux avocats la plénitude du droit de discipline, qui jadis élevait au plus haut degré l'honneur de cette profession, et perpétuait dans son sein l'invariable tradition de ses prérogatives et de ses devoirs..... » Mais en réalité, et en pénétrant au fond de la chose, d'autres motifs (1) donnèrent lieu à l'ordonnance du 20 novembre 1822. Malgré l'emphase du rapport et les promesses du préambule, l'ordonnance, bien loin de rendre aux avocats la liberté de leur ancienne discipline, maintient les gênes offensantes imposées par le décret de 1810, qui ne permettait pas à un avocat d'aller plaider hors du ressort sans la permission du ministre de la justice, et soumet les décisions du conseil à des appels et à des infirmations inconnues même sous le décret de 1810. Enfin, sur le point capital, sur le droit de l'Ordre entier, l'ordonnance de 1822, loin de rétablir les avocats dans la plénitude de leur ancien droit électoral, tel qu'ils l'avaient exercé de toute antiquité, leur ôte même le droit d'élire de simples candidats, que le décret de 1810 leur avait accordé. C'était peu de chose en apparence que ce droit! Mais on pensa que c'était encore trop, parce que si le droit de présenter une candidature concédé aux avocats ne leur procurait pas la satisfaction d'élire ceux qu'ils auraient préféré, il leur offrait du moins la consolation d'éconduire ceux qui ne leur convenaient pas du tout.

Cette ordonnance a donc, comme le décret lui-même, ex

(1) Voyez Isambert, Recueil des lois et ordonnances du royaume, volume de 1822, page 343.

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eité, à son apparition, de vives réclamations; les uns ont protesté, comme le fit Mo. Coffinières, dans une requête adressée au conseil de l'Ordre. D'autres publièrent divers écrits. M. Legouix fit une brochure intitulée : Mes idées sur l'Ordre des avocats, par un licencié qui n'a pas encore prété serment. (In-8°. de 61 pages. )

Le barreau de Paris n'a pas réclamé seul; d'autres voix se sont jointes à la sienne. L'opinion du barreau de Rouen a trouvé un docte interprète dans M. A. Daviel, alors fort jeune avocat, qui a publié sur l'ordonnance de 1822 un commentaire remarquable, qu'il a revu depuis, et qu'on trouvera à la fin de ce volume.

En 1828, une attaque plus directe fut dirigée contre l'ordonnance. M. de Peyronnet, son auteur, venait de quitter le ministère, et le barreau pensa que le moment était venų de réclamer auprès de son successeur.

Dans une requête adressée à M. le comte Portalis, les avocats, au nombre de cent vingt-trois, ont exposé leurs griefs contre l'ordonnance, et conclu en ces termes :

«Dans ces circonstances, le barreau s'adresse à vous, monseigneur, pour obtenir de votre bienveillante justice le redressement de ces nombreux griefs, et des institutions qui soient en harmonie avec les principes de la loi, avec les principes de la défense. Confiant en vos lumières, il n'entreprendra point de spécifier dans leurs détails les vices du règlement de 1822, non plus que les mesurcs propres à les faire disparaître; il appellera seulement votre attention sur quatre points principaux :

1o. L'élection directe de son conseil. Cette demande ne paraît susceptible d'aucune difficulté. C'est à l'Ordre à régler lui-même sa discipline intérieure, et c'est à l'élection à manifester les vœux de l'Ordre; elle seule, d'ailleurs, peut donner la sanction nécessaire à une autorité toute morale, toute d'opinion; elle est le mode adopté pour la formation des conseils dans toutes les compagnies; les avocats de cassation, avoués, les notaires, les commissaires priseurs élisent leur conseil; les boulangers même, et... les loueurs de voitures

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nomment leurs syndics et leurs délégués. Les avocats seuls, dont un ministre a si hautement proclamé les titres à l'indépendance, seront-ils hors du droit commun? seront-ils, matière de discipline, soustraits seuls à leurs juges naturels ? 2o. La faculté de plaider hors du ressort : cette faculté n'est pas seulement dans l'intérêt de l'avocat, elle est surtout dans l'intérêt des citoyens, dont les lois doivent favoriser la libre défense, loin d'y mettre des obstacles. Pourquoi ces entraves multipliées? Pourquoi priver le client du patron que sa confiance aurait choisi, si, attaqué par de redoutables influences, il a besoin de trouver dans son défenseur, non une fermeté commune, mais un grand caractère; si le barreau dont il est entouré ne lui offre point le genre de talent qui conviendrait à sa cause; si, craignant d'être inégalement défendu dans un autre barreau où dominera un talent unique, il veut chercher au dehors un poids qui rétablisse la balance; si une renommée lointaine, si une intime amitié détermine sa confiance, si enfin, placé sur le banc des accusés, il voit sa vie dépendre peut-être du choix qu'il va faire, de quel droit lui refuseriez-vous le défenseur qu'il désire, le secours qu'il appelle? De quel droit vous placeriez-vous entre lui et ses juges, et restreindriez-vous arbitrairement pour lui les garanties de la défense?

» Relativement à l'avocat, le droit que nous réclamons est celui de toute profession libérale. L'officier ministériel est attaché à son ressort; là est la limite de ses fonctions, de son caractère et de ses pouvoirs : le médecin, l'artiste, l'homme de lettres, l'avocat, exercent librement leurs talens partout où l'emploi en est réclamé.

» Ne considérât-on la triple autorisation que comme une affaire de forme, il faudrait encore abolir une formalité qui humilie l'avocat, consume en démarches vaines un temps réclamé par de graves devoirs, fatigue et trouble le client, et entrave le cours de la justice.

» 3°. L'abrogation des dispositions exorbitantes qui donne. le droit d'appel au ministère public en matière de discipline, qui suppriment la publicité, et qui autorisent l'aggravation

de la peine même en l'absence de tout appel de la part publique.

» L'Ordre seul, encore une fois, est juge de ses propres convenances. Les délits qualifiés sont du ressort des tribunaux ; les fautes commises à l'audience sont réprimées par les juges tenant l'audience. Le pouvoir disciplinaire de l'Ordre n'est donc institué que dans l'intérêt de sa dignité, de sa pureté; dès lors c'est l'outrager, et l'outrager gratuitement, que de lui donner sur ce point d'autres censeurs que lui-même. 4. La suppression des restrictions injurieuses relatives aux avocats stagiaires, et portées dans l'article 34 de l'ordonnance.

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» Les stagiaires sont avocats, ils exercent sous la surveillance de leurs anciens. On les voit toujours pleins de zèle se dévouer incessamment à la défense gratuite des indigens et des accusés. Pourquoi donc les humilier par des précautions excessives que ne renfermait point le décret impérial, et qu'aucun abus n'a provoquées ?

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» Les soussignés osent se flatter, monseigneur, que votre grandeur, prenant en considération leurs justes demandes, voudra bien les mettre sous les yeux de S. M., ainsi que mesures qu'elles semblent appeler. Ils osent penser qu'en protégeant la défense, qu'en honorant le barreau, elle honorera en même temps son ministère (1). »

Sur cette requête, M. Portalis a répondu qu'il avait chargé ses bureaux de lui faire un rapport.... M. Bourdeau, qui lui succéda, avait promis formellement une ordonnance de réformation, conforme, avait-il dit, à un vœu qu'il partageait avec les signataires de la requête; mais rien n'a paru.............

(1) Voyez, dans la Gazette des tribunaux, du 4 décembre 1828, la requête suivie des cent vingt-trois signatures et de l'adhésion motivée de MM. Tripier et de Lacroix-Frainville, ce dernier ancien bâtonnier et doyen de l'Ordre.

Voyez aussi, dans la Revue encyclopédique de mars 1830, un article de M. Ch. Comte, sur l'état du barreau en France au commencement du XIX. siècle. Cet article contient des réflexions critiques sur la nature et l'exercice du pouvoir disciplinaire.

Quoi qu'il en soit, l'Ordre, tel qu'il est constitué, a conservé, autant qu'il était en lui, les honorables traditions de ses prédécesseurs. A aucune époque il n'a été plus nombreux. Le jeune barreau a rivalisé de zèle avec l'ancien : les causes politiques ont offert à son activité de nombreuses et brillantes occasions de se distinguer où il est entré avec ardeur.

L'étude du droit est en honneur; toutes les classes de citoyens en reconnaissent l'utilité; aux travaux de l'école succède la pratique des affaires : on compte plusieurs conférences où les jeunes avocats préludent aux combats sérieux de l'audience. L'émulation est dans tous les esprits, et le barreau moderne promet de n'être point inférieur à l'ancien.

CHAPITRE XXII.

BIBLIOTHEQUE DES AVOCATS.

La bibliothéque des avocats fut entraînée dans l'abolition de l'Ordre, et dispersée dans les dépôts du gouvernement. (Décret du 12 juillet 1793.) Elle existait depuis quatre-vingtdeux ans dans les hautes salles du palais de l'archevêché.

Les premiers fonds en avaient été fournis, en 1708, par M. de Riparfonds, célèbre avocat. (Journal de Verdun, 1708, page 69).

Ce fut vers la même époque que s'ouvrirent dans le local de cette bibliothéque les conférences de doctrine établies par le fondateur, et qui depuis devinrent célèbres par l'assiduité et l'émulation des jeunes avocats, et par la bienveillance des anciens, qui se faisaient un plaisir de les encourager par leur présence (1).

Elles avaient lieu le samedi; on y discutait oralement des questions de droit; on y lisait aussi quelques compositions sur

(1) Dans le cours de ce volume, il sera parlé plus amplement de ces conférences.

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