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Le commandant de la citadelle reçut l'ordre de ne faire feu sur l'émeute que lorque les insurgés l'auraient euxmêmes mis dans la nécessité de se défendre. Le systême employé fut le systême de blocus: on essaya de réduire les insurgés par l'isolement et la famine, et comme cette tactique réussissait, on jugea bon de l'appliquer également à Sarragosse.

Les élections commençaient au milieu de ces désordres et n'en paraissaient pas moins devoir être favorables au ministère, pour le sénat comme pour le congrès. Le cabinet vit par là que l'émeute n'avaitpoint d'appui dans la nation; cependant il crut nécessaire de s'adresser directement aux populations, de renouveler devant elles sa profession de foi, et de faire un nouvel appel à leur bon sens et à leur patriotisme.

Ce qu'il avait à défendre vis-à-vis des insurgés, c'était sa modération même, son esprit de conciliation, les tendances qui l'avaient porté à accepter l'alliance, et, jusqu'à un certain point, les vues des modérés.

Il dit dans son manifeste que cette pensée d'union, accueillie dès le commencement avec la sympathie et l'enthousiasme que l'on devait attendre de la noblesse du caractère espagnol, n'était pas une concession du pouvoir; elle avait été un acte de justice, puisque rien de ce qui est exclusif ne saurait être juste; elle avait été, de plus, un acte politique, car une nation ne peut s'élever que par les efforts réunis de tous ses enfants. Mais surtout elle avait été un acte nécessaire. En effet, durant le rapide et continuel demembrement par lequel avaient passé tous les partis politiques, au milieu d'oscillations et de vicissitudes continuelles, aucun d'eux n'était ni assez nombreux ni assez fort pour dominer et diriger seul une situation. Le parti qui l'eût fait, ajoutaient les ministres, eût attiré sur lui des réactions. et des révoltes fréquentes, et n'eût jamais acquis la consistance et la stabilité que le pouvoir réclame, comme pre

mière condition pour faire le bonheur de la société. Ils protestaient, d'ailleurs, que s'ils avaient cru devoir appeler tous les espagnols à participer aux emplois, ils s'étaient gardés, dans la distribution des fonctions, d'accorder la prépondérance à aucun parti.

Le manifeste abordait ensuite un autre grief de l'émeute, le refus du cabinet de convoquer une junte centrale. La pensée qui avait dicté ce refus, c'est que, si quelques uns désiraient avec les meilleures intentions la convocation de cette junte et la considéraient comme un point d'appui avantageux dans la situation, d'autres l'auraient voulue comme fin et non comme moyen. Ils auraient voulu ainsi trancher des questions qui devaient être traitées avec lenteur et solennité; ils auraient voulu faire servir ce moyen à imposer par anticipation des engagements qui auraient pesé d'une manière décisive sur les destinées futures de la nation. Le manifeste essayait ensuite de montrer les inconvénients immédiats et pratiques de la création de ce pouvoir exceptionnel et irrégulier dont le premier eût été d'éloigner la convocation des cortès et, par là, de perpétuer l'incertitude de la situation. N'eût-ce pas été aussi mettre imprudemment aux prises les opinions, les intérêts contraires et entretenir, réveiller l'agitation dans le pays?

Les ministres ajoutaient à ces considérations d'un grand poids une autre considération également importante; à savoir, qu'obéissant aux principes de la majorité qui est le fondement du gouvernement représentatif, ils avaient, avant de décider la question de la junte centrale, accueilli et pesé les observations que différentes provinces leur avaient adressées. Peu de provinces s'étaient montrées favorables au projet de junte centrale, beaucoup l'avaient combattu. Le gouvernement n'avait donc fait qu'obéir au vœu de la majorité.

Les autres griefs des insurgés étaient moins sérieux : c'était la création d'une municipalité et d'une députation pro

vinciale provisoire pour Madrid; c'était le changement de personne, qui avait eu lieu dans la fonction de tuteur de la reine. Des reproches encore moins fondés venaient s'y joindre le reproche de tendances rétrogrades, de complaisance vis-à-vis de l'étranger, de projets mystérieux pour le mariage de la reine. Le ministère y répondit en protestant de la loyauté de ses intentions, du patriotisme de son dévouement à la constitution de 1837 et à la cause de la liberté (Voy. aux documents historiques).

Cependant les élections s'achevaient malgré les entraves qu'y apportait une insurrection insensée, et n'en étaient pas moins dans l'esprit du nouveau gouvernement.

La défaite des esparteristes fut décisive, complète. Aucun des hommes connus par leur dévouement à la politique de l'ex-régent, Mendizabal, Marliani, Gomez Becerra, Rodil, aucun des chefs de ce parti tombé avec Espartero ne fut réélu ni pour le sénat ni pour le congrès. Le nombre fut pour les progressistes ralliés que suivaient de près les modérés. Nous avons vu comment aux dernières élections s'étaient comportés ces deux partis ; comment les progressistes coalisés avaient accepté le concours des modérés, et comment les modérés, par une conduite habile et non pas sans dignité, étaient, après une longue retraite, rentrés dans la politique active. Aux élections nouvelles les modérés atteignirent presque la même force numérique que les progressistes. Tous les noms célèbres du parti furent élus : Martinez de la Rosa, Narvaez, Pidal, Isturitz, Concha, Sartorius, Toreno, etc. C'est un fait digné d'être remarqué pour la connaissance des dispositions actuelles du pays comme pour l'intelligence des événements qui suivront. Déjà l'esprit du parti modéré prétend à une influence dans les affaires; il la recherche, il l'exerce. Déjà les partisans de la reine-mère songent à demander des réparations pour l'ancienne régente; ils savent ce que vaudrait pour eux son autorité, sa fermeté; leurs vœux se reportent vers

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son lieu d'exil. Ils travaillent sans bruit à tout ce qui peut rendre son retour nécessaire.

Les progressistes, portés en beaucoup de circonstances à penser comme les modérés, résolus comme eux à entourer le trône de toutes les garanties, de tous les respects et à repousser les folles réformes, ne peuvent déjà plus leur disputer le terrain que par la valeur personnelle des chefs du parti et par les connaissances administratives. Lopez, Cortina, Olozaga, Gonzalès-Bravo sont à la tête de cette fraction des chambres; mais que l'un de ces hommes, par une cause quelconque, vienne à lui faire défaut, la route sera ouverte aux modérés et ils finiront par arriver au pouvoir.

Tel était l'état des partis à la suite des élections.

L'ouverture des cortès eut lieu sans solennité et par commission (15 octobre). La présidence du sénat fut donnée à M. Onis, celle du congrès à M. Olozaga.

Comme le ministère l'avait précédemment annoncé, il proposa aux cortès un projet de loi ayant pour but de déclarer majeure la jeune reine, qui ne le devait être légalement qu'au 10 octobre 1844.

L'examen et la discussion de ce projet dans le congrès fut précédé d'un débat assez vif qui se produisit dans le sénat. Les moyens de répression employés par le gouverne ment contre Barcelone et Sarragosse en furent le motif. Dans la séance du 20 octobre, M. Campuzano adressa à ce sujet une interpellation aux ministres. L'honorable sénateur demandait que l'on cessât de bombarder Barcelone et que l'on mit un terme aux souffrances de Sarragosse. En effet, la persistance de l'insurrection avait nécessité récemment l'emploi de mesures extraordinaires. La Catalogne tout entière avait été mise en état de blocus; le fort Montjuich avait commencé le feu contre les émeutiers de Barcelone; Sarragosse était elle-même bloquée et l'Aragon était ensanglanté comme la Catalogne.

Le commandant de la citadelle reçut l'ordre de ne faire feu sur l'émeute que lorque les insurgés l'auraient euxmêmes mis dans la nécessité de se défendre. Le système employé fut le systême de blocus: on essaya de réduire les insurgés par l'isolement et la famine, et comme cette tactique réussissait, on jugea bon de l'appliquer également à Sarragosse.

Les élections commençaient au milieu de ces désordres et n'en paraissaient pas moins devoir être favorables au ministère, pour le sénat comme pour le congrès. Le cabinet vit par là que l'émeute n'avaitpoint d'appui dans la nation; cependant il crut nécessaire de s'adresser directement aux populations, de renouveler devant elles sa profession de foi, et de faire un nouvel appel à leur bon sens et à leur patriotisme.

Ce qu'il avait à défendre vis-à-vis des insurgés, c'était sa modération même, son esprit de conciliation, les tendances qui l'avaient porté à accepter l'alliance, et, jusqu'à un certain point, les vues des modérés.

Il dit dans son manifeste que cette pensée d'union, accueillie dès le commencement avec la sympathie et l'enthousiasme que l'on devait attendre de la noblesse du caractère espagnol, n'était pas une concession du pouvoir; elle avait été un acte de justice, puisque rien de ce qui est exclusif ne saurait être juste; elle avait été, de plus, un acte politique, car une nation ne peut s'élever que par les efforts réunis de tous ses enfants. Mais surtout elle avait été un acte nécessaire. En effet, durant le rapide et continuel demembrement par lequel avaient passé tous les partis politiques, au milieu d'oscillations et de vicissitudes conținuelles, aucun d'eux n'était ni assez nombreux ni assez fort pour dominer et diriger seul une situation. Le parti qui l'eût fait, ajoutaient les ministres, eût attiré sur lui des réactions et des révoltes fréquentes, et n'eût jamais acquis la consistance et la stabilité que le pouvoir réclame, comme pre

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