Page images
PDF
EPUB

yeux de M. d'Alton, ni sérieux, ni digne de la France, et il ne se pouvait pas plus trouver de ministère pour l'entreprendre que de majorité pour appuyer un pareil ministère.

Après M. d'Alton Shée, M. Charles Dupin énuméra plutôt les inconvénients du droit de visite qu'il ne combattit le principe; mais il exprima hautement l'espoir que les démonstrations de l'opinion publique, qui avaient fait abandonner la convention de 1841, feraient également abandonner celles qui l'avaient précédée.

Dans cette même discussion, d'autres membres, par exemple M. de Boissy et M. de Dreux-Brezé, avaient parlé sur des questions plus générales, l'Orient et l'Espagne au point de vue de l'opposition. M. de Brezé avait renouvelé les accusations si souvent faites au gouvernement, par les partis extrêmes, de manquer de force et de dignité à l'extérieur; c'était, comme de coutume, tout le système, tout l'ensemble de la politique de la France depuis 1830, que le champion de la légitimité enveloppait dans sa réprobation, et plus d'une fois, on peut le dire, il l'avait fait avec plus de bonheur. L'idée saillante de son discours était son opinion sur la question des alliances; il pensait que la France ne peut prospérer sans avoir et sans cultiver, comme par le passé, des alliances fixes et naturelles. On sait qu'une autre opinion tend aujourd'hui à s'établir: c'est qu'au point de vue théorique, dans l'état normal des choses, il n'y a point d'autre politique que celle de l'isolement et que les alliances ne peuvent être qu'accidentelles et temporaires. La situation où s'est trouvée la France en 1840 a éveillé les attentions sur ce point, et le ministère a trouvé quelque temps convenable de pratiquer cette politique.

Le chef moral du cabinet, M. Guizot, vint s'en faire de nouveau l'organe à la tribune. Il commença par répondre aux reproches généraux adressés par M. de Brezé à notre politique extérieure; il le fit d'une façon générale et en rappelant simplement à l'honorable pair un souvenir, celui de la restau

ration sur lequel, au reste, il ne s'arrêtait pas. « Il n'est pas de mon goût, disait le ministre, il n'est pas de l'intérêt public de répondre par des récriminations, d'opposer parti à parti, gouvernement à gouvernement, époque à époque » : et comme M. de Brezé répliquait qu'il acceptait la comparaison; «< Vous acceptez! reprit M. Guizot. En vérité, messieurs, si je voulais...; mais vous avez tous répondu vousmêmes! » Après cet incident, qui donna lieu au ministre de montrer toute la confiance qu'il avait dans la force du gouvernement dont il était ici le représentant, il aborda les questions spéciales dans lesquelles il avait eu à se mêler depuis la convention de juillet 1841. En Egypte, notre situation était peut-être meilleure qu'elle n'avait jamais été le pacha, suivant les conseils de la France, s'était renfermé dans l'administration intérieure du pays, maintenant assuré à sa race; il avait repris ses bons et fidèles rapports avec la Porte et, autant qu'on le pouvait alors espérer, l'unité politique du monde musulman était rétablie. En outre, notre commerce avec l'Egypte avait pris un développement jusque-là sans exemple, et, parmi les étrangers, aucuns n'étaient mieux traités par l'administration égyptienne que nos nationaux. Dernièrement, une question s'était élevée pour les droits de transit du commerce européen à travers l'Egypte; un avantage avait été fait à un autre peuple; le gouvernement français avait réclamé, et cet avantage lui avait été à l'instant accordé. Enfin, nos établissements religieux dans ce pays prenaient beaucoup d'extension. Les lazaristes, les sœurs de charité, ces corporations bienfaisantes par lesquelles, disait avec raison. M. Guizot, notre influence s'exerce partout, s'établissaient dans ce moment en Eygypte. Pouvait-on appeler cela affaiblissement et décadence de la France en Egypte?

Les avantages que nous avions obtenus en Syrie n'étaient pas moins grands; non-seulement nous avions repris nos habitudes séculaires de protection constante et secourable, mais

encore nous les avions étendues. Tous les établissements religieux de la Syrie avaient reçu de nouveaux secours; des bourses avaient été fondées dans le seul collége où les enfants des chrétiens de Syrie viennent se faire élever; un consul avait été envoyé à Jérusalem. Quant aux craintes qui s'étaient élevées sur la fondation d'un évêché anglican dans cette ville, le Cabinet s'en était préoccupé, mais elles n'avaient rien de sérieux. Peut-être, au contraire, y avait-il lieu d'espérer que la présence d'un évêque anglican à Jérusalem ne serait qu'un lien qui resserrerait les catholiques, qui les ressererait entre eux et autour de la France. C'était l'opinion même des chefs des chrétiens en Syrie. Enfin, de concert avec l'Europe, parce que cela ne se pouvait faire autrement, la France avait obtenu, sur ce même point, des avantages plus généraux : elle avait obtenu de la Porte le rappel des troupes albanaises qui dévoraient la Syrie, celui du gouverneur turc et la réduction des contributions. Elle avait obtenu, bien qu'avec peine, que leur ancienne administration fût rendue aux chrétiens de Syrie.

A Constantinople, la politique de la France avait consisté à reprendre la position et l'influence qui lui appartiennent; elle était rentrée dans l'état de choses régulier, protégeant, d'accord avec toutes les puissances, et plus particulièrement avec quelques-unes d'entre elles dont les intérêts sont les mêmes, l'indépendance de l'empire ottoman et la sûreté des populations chrétiennes dans le sein même de l'empire Ottoman. M. Guizot faisait nettement ressortir ce double devoir, ce double intérêt de la France qui est, dans ce coin du monde, de travailler avec toute son intelligence, toute son activité, à fortifier l'empire, à lui donner la consistance et l'esprit de nationalité, et à faire, en même temps, qu'il n'abuse point aveuglement du peu de force qui lui reste pour peser plus qu'il n'est juste sur ses sujets chrétiens; en un mot, à y ramener l'unité et l'ordre par le respect du droit. (Voy., pour plus de dé

tails, la discussion de l'adresse à la Chambre des députés). Le ministre des affaires étrangères ne parlait pas avec moins de calme et d'assurance de l'état de nos relations avec l'Espagne. Le Cabinet actuel, en arrivant au pouvoir les avait trouvées difficiles; ce que l'on appelait le parti français en Espagne avait été battu. Il n'y avait eu alors qu'une seule chose à faire; c'était de suivre une politique tranquille, de ne pas se mêler des affaires intérieures de l'Espagne, de ne pas chercher à nuire et de ne pas prétendre à diriger; c'est ce que le ministère avait fait. Il savait très-bien, dit M. Guizot, que la France ne peut pas être longtemps absente de l'Espagne, sans que l'Espagne s'en aperçoive et le regrette; il savait très-bien que l'Espagne a besoin du concours bienveillant de la France; mais il savait, en même temps, qu'il n'y a pas de peuple plus jaloux de l'influence étrangère que le peuple espagnol; il savait qu'il n'y a aucun peuple à qui l'étranger inspire plus vite méfiance et antipathie. En effet, de meilleures dispositions s'étaient manifestées et la France y avait répondu par l'envoi d'un ambassadeur. De nouvelles difficultés étaient survenues à ce sujet; mais un retour d'opinion s'était produit de nouveau, grâce à l'attitude ferme, modérée et patiente de la France, et le cri de vive les Français s'était mêlé au dernier mouvement de Barcelone. Le ministre en finissait avec la question d'Espagne, par ces paroles : « Nous ne nous servirons contre personne du progrès que nous pourrons faire en Espagne : nous nous en servirons pour la France et pour l'Espagne elle-même. »>

C'était là la partie pratique du discours de M. Guizot; il terminait par des considérations générales qui doivent ici trouver textuellement leur place:

• Messieurs, nous n'avons point, avec les autres États de l'occident en Europe, de questions proprement dites dont j'aie à exposer les résultats à la Chambre, comme je viens de le faire pour l'Égypte, la Syrie, Constantinople et l'Espagne. Nous sommes partout ailleurs dans cette situation qui est, je crois, la situation vraie, régulière, utile pour la France: point d'intimité

spéciale avec personne; une bonne intelligence et des relations franches avec tout le monde.

> Nous ne sommes pas les premiers à pratiquer cette politique; l'honorable préopinant pourrait savoir que c'est là le fond de la politique de l'Angleterre; elle a eu, par moment, comme il nous arrivera aussi d'en avoir, des alliances, des intimités plus étroites; mais sa recherche constante a été de les éviter, à moins d'en avoir un besoin absolu. De la bonne intelligence avec tout le monde, de bons rapports, et point d'intimité enchaînante. Nous croyons que cette politique convient également à la France, non-seulement aujourd'hui, mais dans tous les temps. Nous pouvons, dans des circonstances spéciales, accepter, rechercher même telle ou telle alliance; mais, dans l'état régulier, habituel de la politique européenne, aucun besoin semblable ne pèse sur nous.

D'ailleurs, messieurs, on oublie, on méconnaît les conditions auxquelles l'influence, la dignité, la grandeur s'acquiérent aujourd'hui pour les états. On se laisse diriger par des habitudes, des maximes aujourd'hui hors de saison. La France a vécu longtemps en Europe à l'état de météore, de méLéore enflammé, cherchant sa place dans le système général des États européens. Je le comprends, c'était naturel, elle y était obligée. La France avait à faire triompher un état social nouveau, un état politique nouveau; elle ne trouvait pas de place faite; il fallait bien qu'elle se la fit. On la lui contestait souvent avec injustice et inhabileté. Elle a fait sa place, elle a conquis son ordre social, son ordre politique. L'Europe les a acceptés l'un et l'autre.

Je prie la Chambre de bien arrêter son attention sur ce fait, car il est la clef de la politique du gouvernement du roi. La France nouvelle, son nouvel ordre social et son nouvel ordre politique sont acceptés sincèrement par l'Europe, acceptés avec tel ou tel regret, telle ou telle nuance de goût ou d'humeur. Peu nous importe! En politique, on ne prétend pas à tout ce qui plaît, on se contente de ce qui suffit. La sagesse éclairée de l'Europe suffit à la France.

Eh bien, messieurs, les faits étant tels, et je n'hésite pas à dire qu'ils sont els aujourd'hui, que doit faire la France ? Adopter une politique tranquille, prendre sa place d'astre fixe, à cours régulier et prévu, dans le système européen. A cette condition, à cette condition seule, la France recueillera les fruits de l'ordre social et de l'ordre politique qu'elle a conquis.

> Quand nous aurons ainsi clos l'ère de la politique révolutionnaire; quand nous serons ainsi bien décidément entrés dans l'ère de la politique normale et permanente; quand cette question, qui est la question générale en Europe, sera bien évidemment et bien effectivement résolue, alors vous verrez la France reprendre, dans les questions spéciales, toute son indépendance, toute son influence, toute son action.

» Elle a déjà commencé ; cela est déjà fait en parlie, pas encore complète

« PreviousContinue »