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des adversaires du droit de visite et, la discussion paraissant épuisée, on allait passer au vote, lorsque l'opposition, qui ne se croyait pas suffisamment éclairée sur la pensée du ministère, demanda positivement dans quelles limites il adhéraitau paragraphe de l'adresse. MM. Odilon Barrot et Berryer prirent la parole pour amener le ministre des affaires étrangères à s'expliquer d'une manière catégorique. M. Guizot répondit par la lecture de son dernier discours; etcomme on ne trouvait pas la situation suffisamment éclaircie, comme certains membres prétendaient attacher au paragraphe une idée d'opposition, tandis que le ministère ne l'envisageait que comme un vœu de l'opinion en face duquel il était résolu de garder sa liberté et sa responsabilité, M. Duchâtel provoqua l'opposition à ajouter au paragraphe de la commission une phrase qui exprimât de la défiance dans ce cabinet; mais, après un débat confus, on s'en tint aux paroles du projet d'adresse, et le paragraphe fut adopté à la presque unanimité.

Dès le commencement de la discussion sur l'Espagne, M. Guizot monta à la tribune pour dire à la Chambre que, dans les circonstances actuelles, au milieu d'une négociation difficile et pendante, il ne pouvait accepter le débat sur les affaires de ce pays. La Chambre insista peu ; elle ne s'arrêta plus que sur la question des traités de commerce, et tout ce qui fut dit sur ce point ne s'écarta pas des idées de protection et de prohibition qui avaient si vivement, l'année précédente, occupé l'opinion publique.

Les derniers paragraphes de l'adresse furent adoptés après de simples observations, et l'ensemble fut mis à l'épreuve du scrutin secret: il se trouva dans l'urne 278 boules blanches contre 101 noires.

CHAPITRE II.

Matières politiques. Discussion des fonds secrets - Adoption. Proposition Duvergier de Hauranne sur le vote par voie de division. — Rejet de la prise en considération. - Proposition de Sade sur les incompatibilités. - Rejet de la prise en considération.-Proposition Odilon-Barrot pour une définition meilleure de l'attentat.-Refus d'autorisation. - Proposition Larochejacquelein sur les députés engagés dans des spéculations industrielles. Interpellations diverses.

Fonds secrets (Chambre des Députés). — Déjà mise en question dans les débats de l'adresse, l'existence du cabinet du 29 octobre allait encore se trouver menacée. La Chambre était mise en demeure de se prononcer sur un projet de loi portant demande d'un crédit supplémentaire pour complément des dépenses secrètes de l'exercice 1843. L'opposition trouvait une arme dans ce vote de confiance ou de défiance et toutes ses forces se réunirent pour donner au ministère, par une réduction de l'allocation proposée, un témoignage de sa désapprobation. Comme d'habitude, il s'agissait donc beaucoup moins d'une mesure d'économie que d'une question ministérielle.

Le premier engagement eut lieu à l'occasion du vote pour la nomination des commissaires. Sur 410 votants, 193 voix opposantes nommèrent MM. Odilon-Barrot, Lacrosse, Lamartine et Ganneron; 217 voix de l'opinion conservatrice nommèrent le maréchal Sébastiani, MM. François Delessert, Raguet-Lépine, Viger et Couture.

La majorité acquise aux conservateurs, au sein de la Commission, conclut à l'adoption du projet, déclara que la

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ministère avait sa confiance et approuva sa conduite dans ladirection des affaires du pays.

Après le rapport de M. Viger, la discussion générale s'ouvrit le 1er mars.

Dès les premiers mots, la question fut franchement posée par un des orateurs de l'extrême gauche les moins habitués aux réticences politiques. « Il s'agit ici, dit M. Ledru-Rollin, personne ne peut en douter, d'une crise ministérielle. Si le cabinet est renversé, celui qui lui succédera sera le vingttroisième depuis 1830. » Le député radical attaquait ensuite ea abrupto, dans son présent et dans son passé, le ministère, objet avoué de ses récriminations constantes. Selon M. Ledru-Rollin, la liberté de la France avait été sapée et compromise dans ses quatre bases principales. Le jury: car on en avait fait un instrument passionné de la politique du système; car, sur douze cents jurés, onze cents appartenaient aux conservateurs les plus avérés, et deux cent vingt fonctionnaires publics ou employés attachés au château étaient presque tous portés sur les listes sans leurs qualités officielles, pour donner plus facilement le change au pays; car, enfin, on connaissait la partialité révoltante qui présidait à la confection de ces listes. La presse : car, malgré les promesses de juillet, nous avons eu les lois de septembre, la jurisprudence sur les imprimeurs, la poursuite devant les tribunaux civils de la diffamation contre les fonctionnaires publics, la loi des annonces judiciaires et enfin «< cette fameuse doctrine de la complicité indirecte et morale qui sera la honte de ce temps. » Les élections: car les faits de corruption, si souvent dévoilés ont paru, cette année, tellement graves à la Chambre que, pour la première fois, elle a créé un précédent parlementaire et ordonné une enquête. La garde nationale, enfin: car, après avoir flatté cette grande et patriotique institution, on a fini par craindre ses manifestations légitimes; on l'a suspendue, désarmée, désorganisée presque partout, au mépris de la loi.

Quant au pouvoir, continuait l'orateur, ce pouvoir qu'on voudrait fort et indépendant, il est devenu, dans les mains du ministère, l'instrument subalterne des caprices égoïstes de quelques privilégiés: de là, à l'extérieur, cette politique d'abaissement et de honteuse modestie.

Puis, dressant le bilan de toutes les ambitions qui aspirent à succéder au ministère du 29 octobre, M. Ledru-Rollin examinait les actes politiques de MM. Molé et Thiers et concluait en disant que ses attaques n'étaient pas dirigées contre une personne, mais contre un système, et que le parti démocratique ne voyait pas de nécessité à changer les hommes, si les principes devaient leur survivre.

M. le comte Agénor de Gasparin, qui répondit à l'orateur radical, pensa qu'il était heureux pour le parti conservateur que la question fût enfin si nettement posée. Il fallait trancher cette question une fois pour toutes, afin que le ministère ne vît pas son existance discutée à propos de toutes les lois. Or, pour que le débat fût loyal, il fallait poser la question, non pas sur le projet de loi lui-même, nécessaire aux yeux de la plupart des membres, mais sur un amendement. Quant aux accusations formulées contre le parti conservateur, l'orateur s'étonnait que le parti accusateur fut tout justement celui-là même qui n'avait rien su faire et que les événements avaient constamment désavoué, que le parti toujours accusé, toujours interrogé sur ses faits et actes, était ce parti qui a fondé, qui a consolidé par son courage, par sa persévérance, tout ce qui subsiste en France. A quoi bon renverser un ministère pour lui substituer des essais malheureux, des folies gouvernementales comme celles dont la France a souffert, il n'y a pas longtemps encore? M. de Gasparin terminait en énumérant ses motifs d'adhésion à la politique du ministère. D'abord ce ministère avait un programme; au dehors, la paix avec dignité; au dedans, la tranquillité maintenue et une énergique résistance aux propositions de réforme élec

torale et parlementaire. En second lieu, ce ministère avait duré et, dans cette fixité, était, selon l'orateur, la condition de toute force réelle. Enfin, l'administration du 29 octobre avait abordé, en 1840, une situation difficile et ingrate, et le cabinet qui avait été bon pour le moment du péril, devait être meilleur encore, le péril une fois écarté par ses soins.

M. Joly vint ensuite renouveler les accusations déjà portées par M. Ledru-Rollin. Ce n'était pas seulement au ministère actuel qu'il fallait faire le procès, c'était à tous les ministères, c'était à la politique qui a régné depuis l'établissement du gouvernement de juillet, politique dont celle du 29 octobre n'est qu'un complément nécessaire. Ici l'orateur radical traçait un tableau de la pensée immuable qui se développe depuis treize ans dans l'histoire de nos relations extérieures et de l'administration intérieure du royaume, et il en concluait que le ministère actuel ne dirige pas, mais obéit; ne gouverne pas la majorité, mais la subit. « Ainsi donc, disait en terminant M. Joly, le gouvernement parlementaire et constitutionnel n'existe pas; car le principe de ce gouvernement est que le cabinet soit bien l'expression de la majorité ». Sur les ruines de vingtdeux ministères, le système était resté debout. A chaque crise, il y avait eu malaise dans le pays, perturbation dans les intérêts, alarmes pour le commerce; et, cependant, aux yeux de l'honorable député, le ministère était devenu si impossible qu'il croyait devoir tout faire pour le renverser.

Jusqu'alors la lutte n'avait eu lieu qu'entre le parti des conservateurs et l'extrême gauche; mais là n'était pas son véritable terrain, et M. Desmousseaux de Givré vint la rétablir dans ses véritables termes, non plus seulement par une défense du ministère attaqué, non plus par des représailles contre la gauche radicale, mais par une accusation en forme des héritiers présomptifs du cabinet. Dans une spirituelle et piquante improvisation, l'orateur traça l'his

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