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vernement avait pu avoir une politique et s'était dès lors trompé sur sa véritable nature et sa vraie ligne de conduite.

M. de Lamartine voyait la preuve de cette erreur dans la tentative d'hérédité de la pairie, lorsqu'on alla chercher la force de la démocratie dans une institution aristocratique. Les lois de septembre, les fortifications, la loi de régence, la corruption électorale et le triomphe des intérêts privés l'avaient confirmé dans cette opinion. Quant à la politique extérieure, il approuvait le gouvernement d'avoir voulu la paix, mais le condamnait pour sa conduite timide qui le tenait dans l'isolement; il le condamnait pour n'être pas intervenu en Espagne, pour avoir abandonné Ancòne avant le temps, et sans avoir saisi un gage de paix dans une alliance continentale, pour s'être aliéné à la fois l'alliance russe et l'alliance anglaise; la faute commise en Espagne était comme la source de toutes les autres; c'est là que nous eussions dû puiser la force pour être fermes vis-à-vis du reste de l'Europe. Que fallait-il faire en présence d'une telle situation? Voici comment M. de Lamartine répondait :

Il y a une une chose à faire pour les hommes qui, comme moi, se différencient chaque jour davantage du système qui compromet le pays au dedans et les affaires au dehors; une seule chose: c'est de se ranger, se compter, s'isoler ; c'est de prendre sur le terrain des oppositions constitutionnelles une position forte où nous puissions recueillir un à un tous les principes successivement violés ou artificieusement dérobés au pays, tous ses griefs, tous ses intérêts, toutes ses diguités compromises; c'est de rassembler en faisceau tous les instincts généreux, progressifs, moraux de la nation, afin qu'au jour où ce système sera arrivé à son excès, à sa perle, soit par la défaillance absolue de l'esprit public au dedans, soit par l'interdit politique où il se laisse placer par l'Europe au dehors, le pays vienne rechercher les principes de sa révolution, sa gloire, son esprit public, son salut dans l'asile où nous les aurons conservés intacts, et les retrouve dans une opposition loyale et ferme, au lieu d'aller, au moment des crises, les-chercher dans les factions! (Bravos prolongés aux extrémités.)

B

Voilà, messieurs, ce qu'il y a à faire, et je le fais! (Très-bien! très-bien!

à gauche.-Murmures au centre.)

» Vos murmures ne m'apprennent... (Nouveaux murmures.)

⚫ Vos murmures ne m'enseignent que ce que je sais d'avance, c'est que cette opposition, notre dernier salut, sera faible en nombre, méconnue d'abord; que la faveur immédiate de la Chambre et même du pays ne lui viendront pas tout d'un coup. (Rires el murmures.)

⚫ Était-elle donc plus nombreuse et plus populaire, en commençant, cette opposition des quinze ans, objet des mêmes dédains? cette opposition des dix sept voix contre la majorité de la restauration? Oui, de dix-sept voix qui osèrent dire: La nation est derrière nous! Eh bien! la nation ne leur donna-t-elle pas raison un jour, et le pays ne fut-il pas sauvé par eux? (Bravos à gauche.)

Eh bien, il en sera de même, sachez-le bien. Non, il ne sera pas donné de prévaloir longtemps contre l'organisation et le développement de la démocratie moderne à ce système qui usurpe légalement, qui empiète timidement, mais toujours, et qui dépouille le pays pièce à pièce de ce qu'il devait conserver des conquêtes de dix ans et de cinquante ans ! (Murmures au centre.)

Non, ce n'est pas pour si peu que nous avons donné au monde européen, politique, social, religieux, une secousse telle, qu'il n'y a pas un empire qui n'en ait croulé ou tremblé (Bravos!), pas une fibre humaine dans tout l'univers qui n'y ait participé par le bien, par le mal, par la joie, par la terreur, par la haine ou par le fanatisme! (Applaudissements aux extrémités.)

» Et c'est en présence de ce torrent d'événements qui a déraciné les intérêts, les institutions les plus solidifiées dans le sol, que vous croyez pouvoir arrêter tout cela, arrêter les idées du temps, qui veulent leur place, devant le seul intérêt dynastique trop étroitement assis, devant quelques intérêts groupés autour d'une monarchie récemment fondée? Vous osez nier la force invincible de l'idée démocratique un pied sur ses débris?

» Ah! détrompez-vous. Sans doute, ces captations, ces faveurs personnelles, ces timidités du pays qu'on fomente au dedans, ont leur force; mais c'est une force d'un jour, une force précaire, avec laquelle on ne fonde pas pour longtemps. Que fonde-t-on de grand avec de petits moyens?

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Non, république, constitution, monarchie, alliance, on ne fonde tout cela qu'avec des pensées collectives, avec des pensées désintéressées et nationales! Et c'est ainsi qu'on est réellement conservateurs! Vous croyez l'être, je le suis plus que vous! Vous voulez bâtir avec des matériaux décomposés, avec des éléments morts, et non avec des idées qui ont la vie et qui auront l'avenir! Ce que l'on bâtit ainsi résiste plus et subsiste mieux.

Et ne vous y trompez pas, messieurs, Dieu a donné aux véritables hommes d'État, aux fondateurs d'idées ou d'institutions et de trônes, oui, Dieu leur a donné une passion de plus qu'au reste de leurs semblables. C'est la passion de l'idée du temps, de l'œuvre de la nation; c'est le fanatisme du bien public; c'est le besoin, la soif de se dévouer, sans arrière-pensée, sans

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salaire, sans gloire même, à l'œuvre de sauver, de régénérer un peuple! et les plus conservateurs, les plus puissants, les comprennent le mieux ces idées, s'y donnent, s'y absorbent, s'y incorporent le mieux et semblent saisis du fanatisme, du dévouement à une grande et sainte cause de l'humanité ou de leur pays, auxquelles ils ont attaché leur nom.

Eh bien, messieurs, ces hommes, il y en a encore beaucoup dans notre pays. Derrière cette France qui semble s'assoupir un moment, derrière cet esprit public qui semble se perdre, et qui, s'il ne vous suit pas, du moins vous laisse passer en silence sans vous résister, mais sans confiance; derrière cet esprit public qui s'amortit un instant, il y a une autre France et un autre esprit public; il y a une autre génération d'idées qui ne s'endort pas, qui ne vieillit pas avec ceux qui vieillissent, qui ne se repent pas avec ceux qui se repentent, qui ne se trahit pas avec ceux qui se trahissent eux-mêmes, et qui, un jour, sera toute entière avec nous.

⚫ Pourquoi lui ferait-on toujours peur de cette opposition loyale qui veut nos institutions et leur raffermissement, qui s'est séparée des factions, ici et au dehors, de cette opposition, qui a la noble ambition, non pas de créer des difficultés au gouvernement, non pas de fomenter des anarchies, de préparer des collisions européennes, mais, au contraire, d'affermir le gouvernement, de corroborer, par la force de l'esprit public, les institutions qui pourraient s'énerver entre vos mains, et enfin qui a la noble ambition de venir gouverper elle-même? car, ne vous y trompez pas, il y a une ambition plus haute que celle des personnes : c'est celle des idées. L'ambition 'qu'on a pour soi se flétrit et se trompe; l'ambition qu'on a pour assurer la sécurité et la grandeur du pays, elle change de nom, elle s'appelle dévouement; et c'est la nôtre? (Très-bien!)

Eh bien, cette opposition, vous la verrez en France, comme vous la yoyez dans un pays voisin. Est-ce qu'en Angleterre, dont on citait tout à l'heure les torys, on pourrait vous citer une opposition de cette nature, qui ne travaillât pas à rassurer complétement le pays dans ses jours de crise et de désespoir? Est-ce que l'Angleterre se trouble? est-ce que les fonds publics baissent? est-ce que la crainte de la guerre saisit la Grande-Bretagne, quand les whigs sont près d'entrer au pouvoir? Pas le moins du monde. L'Angleterre sait ce que la France apprendra à son tour; c'est que les whigs ne font pas la révolution, c'est qu'ils portent avec eux les mêmes intérêts conservateurs, les mêmes garanties d'ordre, de paix, de ferme administration que les torys; et voilà pourquoi le sol ne tremble pas sous eux! Eh bien! nous voulons être les whigs de la révolution de juillet! (Exclamations au centre.)

Oui, et plus encore! nous voulons être les whigs de la démocratie moderne et des progrès de la liberté et de l'esprit humain dans tout l'univers. (A gauche. Très-bien! très-bien!)

Je sais que vous déclarez cela impossible. Savez-vous ce que cela veut dire? Cela veut dire que vous croyez que les développements d'institution sont des chimères! Non, ces hommes impossibles seront nécessaires un jour, et c'est pour cela que je dis en terminant ce long discours, c'est pour cela que je m'éloigne de jour en jour davantage du gouvernement, et que je me rapproche complétement des oppositions constitutionnelles, où je vais me ranger pour toujours! (Rires et bruyants murmures au centre.—A gauche, Très-bien! très-bien !)

L'avenir seul pourra dire où ces idées conduiront M. de Lamartine; si elles ne lui feront pas faire plus qu'il ne voulait faire; si elles n'ôteront pas à ses doctrines de leur solidité; si, dans l'intérêt même de la démocratie, sa tactique aura été bonne et s'il aura mieux profité à rallier et à discipliner la gauche qu'à rendre progressif le parti conservateur.

Le ministère ne devait pas rester complétement silencieux à la suite de pareilles attaques; mais il devait les repousser sans paraître les regarder comme bien importantes. C'est ce que fit le ministre de l'instruction publique, soit dessein, soit précipitation.

M. de Larochejacquelein, tout en s'attaquant à tous les points de la politique, se rapprocha cependant des questions qui occupaient plus particulièrement la Chambre; et après lui, M. de Gasparin ramena la discussion au droit de visite dont il se fit le défenseur, comme étant le seul moyen de réprimer le trafic de la traite, comme juste et parfaitement compatible avec le droit maritime et les intérêts de la France.

M. de Tocqueville développa l'opinion contraire, insista sur la nécessité de négocier pour l'abolition des traités et sur les difficultés qui ressortaient de la position du ministère vis-à-vis de l'Angleterre pour une négociation de cette

nature.

Un membre du parti conservateur, M. Saint-Marc-Girardin, se joignit aux adversaires du droit de visite et s'attacha à démontrer qu'il y avait deux moyens plus efficaces pour

la répression de la traite la surveillance des factoreries européennes sur la côte d'Afrique au point d'embarquement, et la fermeture des marchés d'esclaves au point d'arrivée. Le droit de visite lui paraissait ressembler à une police qui, au lieu de tâcher de saisir les voleurs au lieu du vol ou au lieu du recel, s'occuperait surtout de les arrêter en chemin. Ne serait-ce pas là une police qui vise plutôt à multiplier ses agents qu'à réprimer les voleurs?

Deux orateurs prirent encore la parole, MM. Ducos et Dugabé, pour combattre à la fois le droit de visite et le ministère, et la discussion générale fût close.

La Chambre passa à l'examen des paragraphes et les quatre premiers furent immédiatement adoptés. Un débat s'ouvrit sur le cinquième, relatif à l'intervention diplomatique du gouvernement en faveur des chrétiens de l'Orient.

Un député du Calvados, M. David, qui a longtemps résidé en Turquie comme consul général, rappela comment l'influence de la France s'était établie, dans cette contrée, par une protection constante et dévouée; comment elle avait diminué, sans se laisser oublier cependant, et comment les capitulations, et le respect de la tradition et des usages chez les Turcs, nous permettaient de la reprendre et de la fortifier. M. David était loin de trouver suffisantes les garanties qui avaient été récemment obtenues et la politique par laquelle elles avaient été obtenues. Dans la négociation, la France avait manqué d'initiative et les résultats de cette négociation avaient mal servi les intérêts des chrétiens de Syrie. Au lieu de leur rendre pour chefs, des princes de la maison de Schehab, si vénérée depuis un siècle et demi, on les avait assujettis à des primats qui allaient porter, dans leur administration, tous les abus, toutes les violences du régime des pachaliks. L'orateur l'expliquait ainsi : ces primats répondent sur leur tête au pacha de Saïda de la soumission des populations et du payement des tributs doublés ou triplés par les

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