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HISTORIQUE UNIVERSEL

POUR 1843.

PREMIÈRE PARTIE.

HISTOIRE DE FRANCE.

CHAPITRE PREMIER.

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Discours du

Vote de

Situation politique. - Ouverture de la session législative. roi. Discussion de l'adresse dans la Chambre des pairs. l'adresse. - Discussion de l'adresse dans la Chambre des députés. - Vote de l'adresse.

On se rappelle que, placé par les élections dans une position précaire jusqu'au moment où un accident funeste vint nécessiter la loi de régence, le ministère s'était vu consolidé par le succès qui avait inauguré pour lui la nouvelle législature. L'opposition, affaiblie par la retraite d'une fraction nombreuse qu'entraînait un chef habile, mal assise sur le terrain dangereux qu'elle avait peut-être imprudemment choisi, n'avait pu trouver dans l'accession inattendue d'un nouvel et brillant auxiliaire une compensation suffisante à ses pertes. Le ministère avait gagné du temps, Ann. hist. pour 1843.

traversé sans péril des situations difficiles: désormais ce devait être pour lui un gage de durée que d'avoir vécu. Quelle que fût la valeur des accusations portées contre lui, bien qu'il fût en désaccord avec une partie de la Chambre et du pays sur quelques questions vitales, bien qu'il fît souvent peu de cas des susceptibilités sans doute exagérées du sentiment national, il n'en était pas moins vrai que, sous sa direction, rien n'avait jusque-là compromis sérieusement le développement pacifique de la France. Il y avait, dans l'administration du 29 octobre, comme une secrète puissance d'inertie mieux faite qu'une force véritable pour triompher d'oppositions imprudentes, et pour arriver sans éclat, mais sans péril, à la solution de toutes les questions extérieures. Tout, dans le pays, répondait à ces tendances du pouvoir. Un besoin de sécurité né de grandes entreprises qu'une lutte extérieure aurait fait avorter; des finances satisfaisantes, mais engagées pour longtemps; une colonisation en pleine voie de succès, mais que des menaces de guerre européenne auraient en un instant compromise; et, par-dessus tout cela, une lassitude générale et aucune chance à l'heure présente pour les ambitions personnelles, tels étaient les éléments de vie du ministère et les assurances du moment contre la possibilité d'une crise politique

Au moment où s'ouvrit la session de 1843, le ministère s'était engagé de plus en plus dans le système de politique calme qu'il avait adopté, dès l'origine, pour les deux questions principales de la politique européenne: la question d'Orient et la question d'Espagne. Des deux côtés, il s'était rapproché de l'Angleterre, et les deux gouvernements semblaient devoir désormais s'unir d'intérêts, ici, pour laisser au peuple espagnol son libre développement en dehors de toute infiuence; là, pour veiller à l'indépendance de l'empire ottoman et à la protection des populations chrétiennes exercée à la fois et sans but d'ambition personnelle par les grandes puissances. Le discours du trône, prononcé à la réouverture de la ses

sion, (9 janvier) renfermait l'assurance ordinaire des relations amicales de la France avec les puissances étrangères. Le Roi y rappelait la pacification de l'Orient et de la Syrie, et, tout en déplorant les troubles qui avaient récemment agité l'Espagne, protestait que, dans ses relations avec la monarchie espagnole, il n'avait en vue que de protéger nos légitimes intérêts et de garder à la reine Isabelle II une amitié fidèle. S. M. terminait en s'applaudissant des bienfaits de la paix et de la prospérité toujours croissante de la France.

Chambre des Pairs. Le projet d'adresse, rédigé par M. de Broglie, n'ajouta rien à la pensée du discours du trône; il ne fit qu'en réproduire le sens avec une simple paraphrase des expressions, usage parlementaire dont les Chambres, surtout celle des Pairs, ne s'écartent que dans les moments graves où un désaccord plus ou moins sérieux éclate entre les pouvoirs. La lecture de ce projet fut faite dans la séance du 20 janvier et, le même jour, la discussion fut ouverte. Les points sur lesquels elle porta furent, avant tout, les questions de politique extérieure dont l'importance nè cesse de s'accroître, même durant les époques de paix. Trois de ces questions méritaient une attention particulière et offraient un sujet de débats intéressants: celle d'Orient, celle d'Espagne et celle du droit de visite. La dernière, qui semblait toucher de plus près aux intérêts du pays, fut aussi le plus longuement débattue. Déjà la commission avait eu la pensée d'insérer dans l'adresse quelques paroles qui enjoignissent, à cet égard, au ministère de persévérer dans la voie où l'opinion publique l'avait poussé; elle ne s'abstint que sur la représentation de M. Guizot, qui lui fit craindre l'effet d'une telle démonstration sur l'esprit public déjà irrité.

Aucun des orateurs qui prirent la parole dans la discussion générale n'hésita à formuler un jugement sévère sur cette concession d'un droit important faite par la France à l'Angleterre; il ne s'agissait plus de la convention de 1841, que l'on savait

officiellement abandonnée par le ministère : il s'agissait des traités de 1831 et 1833. Ce n'était plus les faits que l'on dénonçait, c'était le principe même que l'on combattait. On contestait au pouvoir exécutif le droit de confier à une marine étrangère une surveillance aussi grave que celle de ja traite. M. de Ségur-Lamoignon établissait cette opinion sur ces principes de droit public qui veulent que le droit d'arrestation, de perquisition et de saisie sur le territoire français fasse, comme la juridiction, essentiellement partie du pouvoir judiciaire et, par conséquent, de la souveraineté nationale, et que le navire français, naviguant en pleine mer sous le pavillon national, soit comme une portion du territoire français. Il y avait donc eu aliénation d'une partie de la souveraineté nationale; et comment était-il possible que l'aliénation d'une partie quelconque de cette souveraineté, surtout en faveur d'une puissance étrangère, fût faite sans le consentement du pouvoir législatif?

Un autre orateur, M. Camille Périer, prenait la question à peu près au même point de vue; il pensait que, lorsqu'il s'agit de donner force d'exécution en France, dans tous les lieux el à l'égard de toutes les personnes régies par notre droit commun, à des transactions avec l'étranger, qui toucheraient à la fortune publique, aux droits des personnes et des propriétés, en un mot, à toutes choses qui sont du domaine exclusif de la loi, la couronne ne peut rendre légal par des traités ce qu'elle ne pourrait rendre tel par des ordonnances. Considérant, en elles-mêmes, les stipulations des traités, M. Périer y voyait encore la violation de l'une des lois les plus essentielles à l'action régulière et indépendante de la justice, celle qui détermine les catégories de fonctionnaires qui doivent concourir à cette action; la violation des règles de la compétence, de cet axiome, que nul ne peut être distrait de ses juges naturels; enfin de graves atteintes portées au Code d'instruction criminelle et au Code pénal.

D'autres membres envisagèrent encore les traités comme

contenant une question financière dans la stipulation de dommages et intérêts et comme rentrant, par conséquent, dans les matières qui ont besoin de l'approbation des Chambres; d'autres, enfin, comme dangereux et funestes pour notre marine marchande. Beaucoup demandaient, pour toutes ces considérations, qu'un amendement fût inséré dans l'adresse, notamment M. Turgot qui le formula.

L'opinion de M. d'Alton Shée différait de celle des préopinants, non point qu'il s'attachât à défendre le principe des traités, mais il s'étudiait à montrer les raisons qui en avaient amené la signature. Au nombre de ces raisons, il plaçait l'enthousiasme libéral qui se produisit en 1830 à la suite de la révolution; il rappelait que l'opinion publique s'était montrée entièrement fovorable à ces traités, sitôt qu'ils avaient été connus, et que la marine elle-même s'en était réjouie. Ils avaient eu, d'ailleurs, une autre raison importante, celle de cimenter l'alliance anglaise alors nécessaire à la France. Depuis cette époque, malgré la froideur survenue entre le cabinet de Paris etcelui de Londres, les négociations pour un traité de même nature entre les grandes puissances européennes n'avaient pas cessé un seul instant; tant on était loin alors, dit l'orateur, de voir dans ce droit de visite un abandon du grand principe de la liberté des mers. M. d'Alton citait cet autre fait qu'il regardait également comme considérable, que, durant tout le temps que les bonnes relations avaient duré entre les deux pays, il n'y avait pas eu d'exemple d'abus de la part d'un croiseur anglais, ni de réclamations de la part des armateurs français. Maintenant les difficultés avaient disparu; il n'y avait plus crainte d'abus; le ministère, qui avait lui-même encouru les blâmes plus ou moins fondés de l'opinion, en avait tenu compte; et il convenait, en présence de cette politique, d'avoir confiance dans le ministère et de le laisser libre de choisir son temps pour obtenir une modification des traités de 1831 et 1833. Aucun des arguments que l'on faisait valoir ,pour la rupture immédiate de ces conventions n'était, aux

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