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Ainsi donc, pour avoir 3,200 pieds cubes de bois, qui valent 12,000 francs, transportés de Bayonne à Rochefort, j'entretiens un bâtiment qui, en agrès, réparations, me coûte au moins 3,000 francs par an, qui exige quatre officiers et cent seize marins, qui doivent me coûter au moins 80,000 francs pour vivres, solde et habillement. Pour avoir donc 3,200 pieds cubes de bois, je dépense 83,000 francs par an, c'est-à-dire 24 francs par pied cube, et je n'ai pas même la consolation de former des marins, car ces bâtiments, comme vous voyez, ne naviguent pas et ne font qu'un voyage par an. A cette perte il faut ajouter que les 100,000 pieds cubes de bois que produisent le bassin de l'Adour et les Landes ne trouvent point d'écoulement par les mauvais moyens qu'on prend. Si, au lieu de cela, on laissait les gabares désarmées dans le port de Rochefort, afin d'être employées en temps de paix pour le service des colonies, et qu'on se servit des alléges de Nantes, qui ne tirent que 7 à 8 pieds d'eau, on transporterait le quadruple de bois. Enfin on transporterait la quantité qu'on voudrait par les caboteurs, même les bois longs, de Bayonne à Rochefort, en leur donnant une légère indemnité. J'ai remarqué qu'il y avait sur ces gabares d'anciens matelots; leurs équipages suffiraient pour armer un vaisseau. Quand j'ai évalué 83,000 francs la dépense que me coûtent ces gabares, je n'ai pas calculé le danger qu'elles courent d'être prises. L'année passée, j'en ai perdu trois. Je n'ai pas compté non plus le renouvellement des agrès, coûtant 150,000 francs, qui, étant usés en dix ans, forme encore 15,000 francs. Mais, dirat-on, on faisait cela en 1782: sans doute; mais les circonstances étaient bien différentes; on était en paix, on sortait comme on voulait. Quand on voit ces bâtiments, il n'y a qu'une seule chose qui reste, c'est l'idée qu'ils puissent faire un voyage sans être pris. De Bayonne à Rochefort ils n'ont pas de protection. Ils sont énormes et marchent d'autant plus mal qu'on y a mis des pièces de 6 au lieu de pièces de 4. Ils marchent mal, parce qu'ils sont mal construits, parce qu'ils n'ont pas assez de bau. Les marins sont toujours étonnés qu'on ne construise pas les gabares sur le modèle de la Lionne, qui sert d'amiral à Rochefort. Elle portait 6,000 pieds cubes de bois au lieu de 3,000, tirait 6 pieds d'eau, et marchait comme une frégate. En général, je vois que dans tous les ports on fait les mêmes plaintes. Les batiments se comportent mal à la mer, parce qu'ils n'ont pas assez de bau. Je demande que les ingénieurs mettent leurs plans dans leur poche, et que l'on construise des gabares sur le modèle de la Lionne; qu'elles soient réservées pour le Nord, et pour s'en servir en temps de paix, et pour des ports où il n'y a pas de barre; que les

Vous ne me parlez plus de l'amiral Ganteaume. Il y a cependant longtemps qu'il a dû partir. Il est vrai que les vents du nord-est règnent dans cette saison.

Je suis à Bayonne depuis hier. L'infant don Carlos y est aussi. Je n'ai pas pu le voir, ce prince étant tombé malade la veille de mon arrivée. J'attends le prince des Asturies, qui a pris le nom de Ferdinand VII; il est sur la frontière. J'attends aussi l'infortuné Charles IV et la reine.

Le grand-duc de Berg est à Madrid. Le général Dupont est à Tolède.

J'ai des divisions à l'Escurial et à Aranjuez.

NAPOLÉON.

D'après l'expédition originale comm. par les héritiers du roi Joseph.

13748. AU VICE-AMIRAL DECRES,

MINISTRE DE LA MARINE, A PARIS.

Bayonne, 16 avril 1808.

Monsieur Decrès, j'ai vu en grand détail le port de Bayonne. Les vaisseaux de 74, comme ceux d'Anvers, pourraient y être construits et conduits jusqu'à la barre. Le' passage de la barre dépendrait des événements. Il y a des exemples de vaisseaux suédois, tirant 18 pieds d'eau, qui y ont passé cette barre est très-mobile. Cependant, s'il était possible d'alléger le vaisseau avec un chameau, le passage serait facile. Il peut y avoir de l'avantage à ces constructions, puisque les bois ne peuvent être transportés à Rochefort. Mais cela est, d'ailleurs, une circonstance très-secondaire. Je désire que vous me fassiez un rapport là-dessus. Je ne sais par quelle bizarrerie les travaux du port sont dans les mains des ingénieurs militaires, que cela ne regarde pas. Je ne pense pas qu'il soit de mon honneur d'abandonner les grands travaux qu'on a faits depuis quatre-vingts ans, lorsque avec une somme de 4 à 500,000 francs je puis me promettre de grands avantages de ces travaux. Jusqu'où le prolongement des jetées doit-il être fait? Cela détruira-t-il la barre?

J'ai trouvé à Bayonne deux gabares de 2 à 300 tonneaux, tirant 12 pieds d'eau, chargées. Elles ne trouvent pas tous les jours la facilité de sortir. Rien n'est plus mal entendu que ce service, et, en jetant un coup d'œil sur ces détails, je ne suis pas étonné que la marine me dépense cent millions et que rien ne réussisse dans mes arsenaux. La Moselle est une gabare de 2 à 300 tonneaux; elle porte 3,200 pieds cubes de bois, et fait un voyage par an de Bayonne à la Rochelle.

Ainsi donc, pour avoir 3,200 pieds cubes de bois, qui valent 12,000 francs, transportés de Bayonne à Rochefort, j'entretiens un bàtiment qui, en agrès, réparations, me coûte au moins 3,000 francs par an, qui exige quatre officiers et cent seize marins, qui doivent me coûter au moins 80,000 francs pour vivres, solde et habillement. Pour avoir donc 3,200 pieds cubes de bois, je dépense 83,000 francs par an, c'est-à-dire 24 francs par pied cube, et je n'ai pas même la consolation de former des marius, car ces bâtiments, comme vous voyez, ne naviguent pas et ne font qu'un voyage par an. A cette perte il faut ajouter que les 100,000 pieds cubes de bois que produisent le bassin de l'Adour et les Landes ne trouvent point d'écoulement par les mauvais moyens qu'on prend. Si, au lieu de cela, on laissait les gabares désarmées dans le port de Rochefort, afin d'être employées en temps de paix pour le service des colonies, et qu'on se servit des alléges de Nantes, qui ne tirent que 7 à 8 pieds d'eau, on transporterait le quadruple de bois. Enfin on transporterait la quantité qu'on voudrait par les caboteurs, même les bois longs, de Bayonne à Rochefort, en leur donnant une légère indemnité. J'ai remarqué qu'il y avait sur ces gabares d'anciens matelots; leurs équipages suffiraient pour armer un vaisseau. Quand j'ai évalué 83,000 francs la dépense que me coûtent ces gabares, je n'ai pas calculé le danger qu'elles courent d'être prises. L'année passée, j'en ai perdu trois. Je n'ai pas compté non plus le renouvellement des agrès, coûtant 150,000 francs, qui, étant usés en dix ans, forme encore 15,000 francs. Mais, dirat-on, on faisait cela en 1782: sans doute; mais les circonstances étaient bien différentes; on était en paix, on sortait comme on voulait. Quand on voit ces bâtiments, il n'y a qu'une seule chose qui reste, c'est l'idée qu'ils puissent faire un voyage sans être pris. De Bayonne à Rochefort ils n'ont pas de protection. Ils sont énormes et marchent d'autant plus mal qu'on y a mis des pièces de 6 au lieu de pièces de 4. Ils marchent mal, parce qu'ils sont mal construits, parce qu'ils n'ont pas assez de bau. Les marins sont toujours étonnés qu'on ne construise pas les gabares sur le modèle de la Lionne, qui sert d'amiral à Rochefort. Elle portait 6,000 pieds cubes de bois au lieu de 3,000, tirait 6 pieds d'eau, et marchait comme une frégate. En général, je vois que dans tous les ports on fait les mêmes plaintes. Les batiments se comportent mal à la mer, parce qu'ils n'ont pas assez de bau. Je demande que les ingénieurs mettent leurs plans dans leur poche, et que l'on construise des gabares sur le modèle de la Lionne; qu'elles soient réservées pour le Nord, et pour s'en servir en temps de paix, et pour des ports où il n'y a pas de barre; que les

1808. transports de Bayonne à Rochefort surtout ne se fassent que par des alléges comme celles de Nantes, tirant 7 à 8 pieds d'eau, ayant peu d'équipage et portant une grande quantité de bois; et qu'enfin on livre, s'il le faut, ces transports à l'industrie particulière.

Le port de Bayonne n'est presque jamais bloqué. Des corvettes et des avisos pourraient en partir pour les iles sans danger; cependant il n'y en a pas un. Il devrait toujours y avoir trois ou quatre corvettes ou bricks pour expédier des troupes et des avis aux colonies.

De là j'ai été à l'arsenal; j'y ai vu une assez grande quantité de bois, et ce qu'on avait fait de deux vaisseaux de guerre. Les pièces du Vénitien sont prêtes depuis un an. J'ai vu en construction deux. très-mauvaises gabares, à la place desquelles on aurait pu mettre deux frégates ou au moins deux corvettes ou bricks, qui, sortant de Bayonne et ayant les ports d'Espagne pour refuge, pourraient croiser avec succès ou se porter partout où il serait nécessaire. J'ai vu 15 à 20,000 pieds cubes de bois pourri, parce qu'il est là depuis un temps immémorial. Il faut achever ces deux mauvaises gabares ou les ôter du chantier, et mettre deux corvettes tirant 11 ou 12 pieds d'eau, et quatre ou cinq bricks, qu'on pourra facilement mettre en armement pour voyager aux colonies. Il serait aussi à propos d'y construire deux frégates pour utiliser ces bois qui coûtent si cher à transporter, et qui, ne l'étant pas, se pourrissent.

Le commerce de Bayonne demande, avec raison, que son cabotage avec le Portugal soit protégé. Si ce cabotage était protégé au passage des trois caps, il irait alimenter le Portugal en vins et en blés, et rapporterait en retour des sucres et autres denrées à Bayonne. Je désire donc que vous chargiez un capitaine de frégate intelligent de se rendre à Bayonne; que vous mettiez sous ses ordres quatre ou cinq bâtiments d'une force supérieure aux péniches et goëlettes, avec les— quels il ira prendre station pour favoriser le passage des caps de Bayonne à Lisbonne. Cet officier pourrait prendre langue à Bayonne, aller visiter les lieux par terre, et revenir prendre le commandement de ces bâtiments. Vous pourriez, pendant ce temps, lui préparer son armement à Bordeaux, Bayonne ou Rochefort. Vous devez sentir l'immense avantage qui résulterait pour la France et pour le Portugal de cet établissement de cabotage. Si l'on peut tenir des frégates sur les points où le cabotage peut être protégé, il faut y en diriger trois, en attachant à chaque frégate un brick et trois ou quatre péniches. Je crois vous avoir écrit que le cabotage de Bordeaux ne dépendait que du passage des caps, où il avait besoin d'ètre protégé. Je dois ajouter qu'il faut à l'embouchure de la Gironde deux frégates et deux

bricks, qui feraient une division de quatre bâtiments de guerre, commandés par un officier qui aurait l'autorisation de les faire sortir quand il le jugerait nécessaire. Cela aurait l'avantage de maintenir libre l'embouchure de la Gironde et de favoriser le commerce. Avec T'argent que coûte le transport des bois de Bayonne à Rochefort, on en aurait une grande quantité dans la Garonne, et on approvisionnerait Rochefort comme on voudrait.

La marine a beaucoup de choses à faire. Il faut tout voir par vousmême, et raisonner dans le sens de notre situation. On pourrait avoir de grandes économies, faire beaucoup de travaux, et donner du soulagement au commerce.

D'après l'original comm. par Mme la duchesse Decrès.

13749.

NAPOLÉON.

NOTES POUR LE PRINCE DE NEUCHATEL, MAJOR GÉNÉRAL DE LA GRANDE ARMÉE, A BAYONNE.

Bayonne, 16 avril 1808.

Demander un mémoire sur les trois provinces de la Biscaye. Quel est le capitaine général? où se tient-il? Quels sont les commandants sous ses ordres? où se tiennent-ils? Quelle est l'organisation civile de ce pays? Où est l'intendant général? quel est-il? Ses subdélégués? où se tiennent-ils? L'organisation des états? où s'assemblent-ils? leur nombre? lorsqu'ils ne sont pas réunis, qui les représente? Où se tient la députation?

Recommander au général Verdier de ne point laisser isolé aucun détachement, infanterie ou cavalerie; de s'organiser bien fortement à Vitoria avec sa Ire brigade, d'où pourront, au besoin, partir des colonnes mobiles. Sa 2 brigade viendra prendre de suite position à Hernani, où, au besoin, elle pourra être renforcée d'une partie de la garnison de Saint-Sébastien. Il laissera seulement au poste un gendarme et deux hommes de cavalerie sous la responsabilité de l'alcade, pour lui préter main-forte ainsi qu'aux maîtres de poste, et avoir la police des hommes isolés. On fera comprendre au gouverneur général de la province et aux alcades que ces hommes ne sont que pour protéger et avoir la police sur les derrières.

A M. le maréchal Bessières : que les seuls points où il doit avoir des Français sont Vitoria, Aranda, Burgos et Hernani; qu'il placera des détachements avec quinze jours de vivres dans les postes (tels que Pancorbo) à l'abri d'un coup de main; qu'il concentrera toutes ses troupes; qu'il retirera les hommes de l'hôpital de Valladolid pour les

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