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Sirey rapporte aussi une autre instruction ministérielle sur cette matière, dans son tome 29. 2. 285.

C'est une lettre du ministre de la justice adressée aux procureurs-généraux, le 10 mai 1824.

Le ministre y déclare qu'il est de jurisprudence et d'usage: 1o de ne jamais accorder de dispenses aux hommes avant 17 ans accomplis et aux femmes avant 14 ans aussi accomplis, sauf pour celles-ci le cas où elles seraient devenues grosses avant cet âge; 2° de rejeter toutes demandes de dispenses lorsque l'homme est de quelques années plus jeune que la femme, parce que l'âge supérieur de celle-ci autorise à croire qu'il y a séduction de sa part : l'on ne peut d'ailleurs favoriser des unions disproportionnées.

La lettre ajoute que le plus grave motif pour dispenses est la grossesse de la fille; mais que la loi n'ayant pas déterminé les causes des dispenses, elles peuvent dépendre de diverses circonstances dont l'examen est confié à la prudence et à l'impartialité des magistrats.

On y indique aussi le mode de la demande en dispense d'âge; elle doit être présentée et signée par les futurs, et, s'il est possible, par les père et mère ou les ascendants dont le consentement est requis, ou, dans le cas de l'art. 159, par le tuteur ad hoc ; elle doit être accompagnée, dans le cas de l'art. 160, de l'avis du conseil de famille; les actes de naissance doivent y être joints, ou, pour y suppléer, des actes de notoriété.

Les motifs de la demande doivent y être énoncés; s'il y a grossesse, elle devra être constatée par le rapport d'un homme de l'art; ce rapport devra être annexé aux autres pièces.

29. Les mariages qui seraient contractés avant l'âge fixé par la loi et sans dispense, peuvent donner lieu à beaucoup de questions. Nous en examinerons plusieurs en traitant des nullités des mariages.

DU MARIAGE.

TITRE PREMIER, CHAPITRE PREMIER.

Section II.

De l'existence d'un autre Mariage.

SOMMAIRE.

30. Empêchement résultant de l'existence d'un autre mariage. Quelle est la source de la règle actuelle.

31. De la polygamie chez divers peuples et de la polyandrie. 32. De la prohibition de la polygamie parmi nous.

33. Des peines qu'elle entraîne.

34. Quid, si le précédent mariage est nul?

35. Quid de l'époux mort civilement?

36. L'absence, sans nouvelles, de l'un des époux, autorise-t-elle l'autre époux à contracter un second mariage?

37. Le mariage contracté par l'époux d'un absent est-il nul?

38. Doit-on faire une distinction à cet égard entre les absents déclarés et les absents présumés?

39. Questions résultant de l'article 147 combiné avec les lois sur le divorce.

40. L'époux divorcé autrefois, peut-il se remarier aujourd'hui ? 41. Le peut-il avec son précédent conjoint?

42. L'étranger divorcé suivant les lois de son pays, peut-il se remarier en France?

43. La femme ne peut se remarier qu'après dix mois de mariage. 44. Y a-t-il des peines attachées à la contravention à la règle ?

30. L'article 147 du Code civil pose la règle prohibitive Art. 147. d'un second mariage pendant l'existence du premier. « On > ne peut contracter un second mariage avant la dissolution >> du premier (1). »

(1) Tous les Codes des peuples chrétiens contiennent la même règle. On peut voir l'art. 155 du Code des Deux-Siciles; l'art. 94 du Code de la Louisianne; l'art. 62 du Code du canton de Vaud; le Code Hollandais, art. 84; le Code Bavarois, art. 8; le Code Autrichien, art. 62 ; le Code Prussien, art. 936.

Cette règle est empruntée du droit romain: Qui matrimonio conjunctus est, eo non dissoluto, aliud matrimonium contrahere prohibetur (1).

Elle est aussi conforme à l'institution divine, erunt duo in carne und, dit la Genèse.

31. Mais la polygamie est-elle contraire au droit naturel? Ce qui pourrait en faire douter, c'est qu'en ne considérant le mariage que comme naturel, la pluralité des femmes ne répugne pas à la nature, comme la polyandrie ou le mariage d'une femme avec plusieurs maris.

Aussi chez toutes les nations, si l'on en excepte quelques peuples obscurs de la côte du Malabar, la polyandrie a toujours été interdite, parce qu'elle ne permettrait pas de reconnaître le père des enfants que la femme mettrait au monde, parce qu'on ne pourrait aussi déterminer auquel de plusieurs maris elle devrait obéir.

La polygamie, qui ne présente pas ces inconvénients, a toujours été en usage chez les Asiatiques et dans les pays chauds.

Les Juifs eux-mêmes pouvaient avoir plusieurs femmes. Abraham, pendant la vie de son épouse Sara, avait, pour femme du second ordre, Agar sa servante.

Jacob a eu en même temps deux épouses légitimes, Lia et Rachel, et deux femmes du second ordre ou concubines, nommées Balor et Zelpha. Le prophète Nathan, dans l'énumération des bienfaits que David a reçus de Dieu, płace le don des femmes de Saül. Salomon fit un étrange abus de la loi et de sa puissance royale. Sept cents femmes et trois cents concubines partagèrent son lit.

On sait que la religion de Mahomet autorise la pluralité des femmes.

32. Mais nos mœurs la repoussent et la religion du Christ

(1) Pothier, in Pandect. Justin., liv. 23, titre 2, part. 2, sect. 2, no 22, et 1. 2, C. de incest. et inut. nupt.

la défend. Omnis qui dimittit uxorem suam et alteram ducit, machatur.

Dans nos contrées tempérés où les personnes de chaque sexe sont à peu-près en égal nombre, et avec notre civilisation avancée, la pluralité des femmes serait une source de perturbation sociale et de désordres domestiques.

Ainsi, toutes les considérations d'ordre moral comme d'ordre religieux, d'intérêt public et d'intérêt privé, commandaient parmi nous la prohibition prononcée par l'article 147 du Code civil.

33 Ces puissants motifs, en dictant la règle du droit civil, ont dû provoquer une peine afflictive contre ceux qui, par le scandale de la polygamie, blesseraient la dignité du mariage et porteraient atteinte à l'un des principes fondamentaux de la société.

Aussi l'art. 340 du Code pénal condamne-t-il aux travaux forcés à temps, quiconque, étant engagé dans les liens du mariage, en aura contracté un autre avant la dissolution du précédent.

La même peine est appliquée à l'officier public qui aura prêté son ministère à ce mariage en connaissant l'existence du précédent. (Même article.)

Cependant, si le second mariage avait été contracté avec une bonne foi évidente; si, par exemple, de très-fortes probabilités avaient pu faire croire que le premier mariage était dissous, il n'y aurait pas de crime, ni, par conséquent, de peine; car c'est l'intention seule qui fait le crime. (Arrêt de cassation du 24 frimaire an 12, Sirey, t. 7. 2. 806.)

34. On fera observer que l'exception de la nullité d'un premier mariage constaté par un acte de l'officier public, serait une vaine excuse pour la bigamie, Quel que soit, en effet, le vice de cette première union, elle n'est pas nulle de plein droit ; elle est seulement susceptible d'être annulée; et tant que la nullité n'en a pas été prononcée par les tribunaux compétents, elle subsiste devant la loi et rend criminel

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le second mariage. (V. des arrêts de la Cour de cassation des 19 nov. 1807, et 16 janv. 1826; S. 13. 1. 389; et 26. 1. 370.)

Mais si, devant la Cour d'assises, le prévenu soutenait qu'il n'y a pas d'acte de mariage, il faudrait le renvoyer devant les tribunaux civils pour faire juger son exception qui présenterait une question préjudicielle. (C. c., 1er mars, et 25 juillet 1811; Sirey, 13. 1. 390.) L'arrêt décide, d'ailleurs, que la Cour criminelle n'est pas obligée de rendre à l'accusé sa liberté provisoire.

35. Remarquons aussi qu'on ne doit pas réputer bigame le condamné frappé de mort civile, s'il se permet de contracter un mariage, quoique déjà marié. L'incapacité du mort civilement, privant le second mariage de tout effet civil, on ne doit pas le considérer comme existant devant la loi; d'où l'on conclut qu'il n'y a pas de bigamie. C'est ce qu'a décidé la Cour de cassation dans la célèbre affaire Sarrazin. L'arrêt est du 18 février 1819, (le voir dans le journ. de Sirey, 19. 1. 348, et dans celui de Dalloz, 17. 1. 150.)

Mais cette décision n'est-elle pas due aux circonstances? est-elle bien dans les principes? Dans un tel cas, n'y a-t-il pas au moins intention criminelle et intention accompagnée d'un fait coupable? N'y a-t-il pas eu plus même qu'une simpletentative de crime que cependant la loi punit comme le crime même (V. C. pénal, art. 2)? Et le flétrissant manteau d'un premier crime sera-t-il un asile inviolable dans lequel le mort civilement pourra se réfugier impunément après avoir porté la honte et le désespoir dans une famille honorable et dans le cœur d'une jeune femme qu'il aurait indignement trompée en cachant et son humiliante condition et son premier mariage?

36. L'éloignement de l'un des époux du domicile marital et son absence prolongée, quelle qu'en soit la durée, n'autorisent pas l'autre époux à passer à un nouveau mariage.

C'est ce qu'a décidé le Conseil d'Etat, même pour les femmes des militaires absents, par un avis des 12 et 17 germinal an 13, que l'empereur a approuvé et qui a, par con

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