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Le texte de la loi est donc contraire à l'opinion que nous examinons.

Son esprit est, d'ailleurs, fort incertain; car le mot ascendant que l'on trouve quelquefois au lieu du mot aïeul dans les discours qui ont discuté le titre du mariage, peut avoir été employé pour varier l'expression plutôt que pour indiquer un sens plus étendu.

Enfin, il est de principe que les prescriptions, les causes de nullité doivent être circonscrites dans le sens le plus étroit plutôt qu'étendues hors des limites de l'acception ordinaire des mots.

Toutes ces raisons nous portent à penser qu'il y a erreur dans l'opinion que nous avons analysée.

Cependant on ne doit pas le dissimuler, la question est grave; les termes mêmes de l'article 174 du Code civil fourniraient un argument en faveur de l'opinion de M. Vazeilles ; car cet article n'admet les oppositions au mariage par des collatéraux qu'à défaut d'aucun ascendant, expressions qui s'appliquent aux bisaïeux comme aux aïeuls et aïeules, et qui supposent que les bisaïeux ont aussi le droit d'opposition, quoique l'article 173 rappelle seulement pour l'exercice de ce droit, les père et mère, aïeuls et aïeules. Or, c'est le même esprit qui a dicté les dispositions sur la nécessité du consentement des ascendants, sur les actes respectueux, et sur le droit d'opposition de la part des ascendants; il serait donc prudent d'obtenir le consentement du bisaïeul s'il n'existait pas d'ascendant d'un degré plus proche.

230. L'article 150 du Code civil déclare que s'il y a dissentiment entre l'aïeul et l'aïeule de la même ligne, il suffit du consentement de l'aïeul, et que s'il y a dissentiment entre les deux lignes, ce partage emportera consen!ement.

Ces deux dispositions isolément considérées sont fort claires.

La seconde a été appliquée dans une espèce où il n'y avait que deux ascendants, une aïeule paternelle et un aïeul ma

ternel; la grand❜mère paternelle consentait au mariage, le grand-père maternel refusait son consentement. La Cour de Poitiers autorisa le mariage, par arrêt du 8 juillet 1830, sans que l'enfant eût besoin de faire des actes respectueux au grand-père; son refus de consentir étant constant opérait un dissentiment entre les deux lignes, et par cela même emportait consentement au mariage (1).

Mais si l'on combine ensemble les deux dispositions que nous venons de rappeler, elles peuvent laisser des doutes sérieux.

Supposons que l'aïeule d'une ligne refuse son consentement, et que l'aïeul et l'aïeule de l'autre ligne fassent le même refus, il ne restera plus pour le mariage que le consentement de l'aïeul d'une ligne? ce consentement unique suffira-t-il étant en opposition avec le dissentiment des trois autres aïeux?

Non, si l'on compte par voix.

Mais oui, si l'on compte par ligne.

Or, c'est ce dernier mode que le législateur paraît avoir voulu indiquer. Autrement il n'eût pas prévu le dissentiment dans la même ligne pour donner la préférence à l'avis de l'aïeul. Dans tous les cas, comme cela résulte de l'expression générale de l'article, même dans celui où il existe des ascendants dans les deux lignes, il eût au contraire, par une disposition particulière, réglé que les ascendants des deux lignes se réuniraient pour manifester leur volonté, et que l'avis du grand nombre serait suivi, sauf à ajouter aussi que le partage emporterait consentement.

Ainsi l'on doit reconnaitre que, suivant l'esprit de la loi, le consentement de l'aïeul, c'est-à-dire du grand-père de l'une des lignes, suffira pour autoriser le mariage.

Il est bien entendu, au reste, que dans le cas de l'art. 150, le refus du consentement de la part du grand-père pré

(1) V. l'arrêt dans le Journal de Dalloz jeune, t. 30. 2. 263.

vaudra sur l'avis favorable de la grand-mère, comme dans celui de l'art. 149, le refus du père prévaut sur celui de la mère, la prééminence accordée par la loi s'appliquant toujours à l'opinion du chef de la famille, qu'elle soit ou non favorable au mariage de l'enfant.

ARTICLE II.

Des enfants majeurs qui peuvent se marier sans le consentement des ascendants, et des actes respectueux.

SOMMAIRE.

231. Des acles respectueux.· · Ancien droit.

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Droit intermédiaire.

-Droit nouveau.-Leur nombre suivant l'dge.

232. A qui doivent-ils être adressés.-Leur forme. 233. L'enfant veuf en est-il tenu s'il se remarie.

234. Est-il nécessaire envers la mère ou l'aïeule s'il y a consentement du père ou de l'aïeul?

235. Comment se calcule l'intervalle des actes respectueux?

236. L'enfant doit-il être présent à l'acte?

237. S'il est absent, faut-il un mandat spécial pour le représenter ? 238. Le même mandat peut-il servir aux trois actes respectueux ? 239. Si l'enfant s'est retiré dans la maison du futur conjoint est-il présumé libre?

240. Les actes doivent être rédigés en termes de déférence ? Doivent-ils contenir la réponse de l'ascendant ?

241. Quid si l'ascendant est absent ou ne veut pas se faire voir ? Comment l'acte doit-il être notifié? — En cas d'absence à qui doit être remise la copie ?

242. S'il y a plusieurs ascendants il faut autant de copies.

243. Les copies n'ont pas besoin d'être signées par le second notaire ou les témoins.

244. Cas où l'on peut se dispenser des actes respectueux.

231. La loi en exigeant pour le mariage des enfants le consentement des pères et mères ou celui des ascendants d'un degré supérieur, a voulu surtout prévenir les erreurs

de la jeunesse et les égarements des passions si actives à cette dangereuse époque de la vie.

Mais ce temps d'épreuve devait avoir un terme. L'ancien droit français l'avait fixé à trente ans pour les fils, à vingtcinq ans pour les filles, cet âge faisant présumer plus d'expérience et moins de facilité à se livrer à une influence étrangère ou même aux désordres des passions.

En affranchissant les enfants parvenus à l'âge de vingtcinq ou trente ans de la puissance de famille sous laquelle plus jeunes ils étaient placés par le mariage, nos anciens législateurs avaient eu la sage pensée d'exiger que les enfants, dans l'intérêt même de leur avenir comme dans un intérêt de déférence et de respect pour leur père et mère, leurs demandassent leur conseil.

De là les sommations respectueuses usitées dans l'ancien droit pour se conformer aux prescriptions de l'édit du mois de février 1556, de celui du 26 novembre 1639 et de la déclaration de mars 1697.

Ces divers règlements les prescrivaient à peine d'exhérédation. Mais ils n'expliquaient pas si elles devaient être répétées; et en admettant qu'on dût les réitérer, ils laissaient une entière incertitude tant sur le nombre des sommations que sur l'intervalle de temps qui devait les séparer.

Aussi l'usage, à défaut de règle fixe, variait-il suivant les lieux. Dans certains pays on faisait trois sommations ; dans d'autres on se bornait à deux, et lors même qu'une seule avait été faite, la peine de l'exhérédation n'avait jamais été prononcée (1).

Les édits étaient aussi muets sur les formes des actes par lesquels le conseil des père et mère devait être requis.

Pour suppléer à leur silence, un arrêt de règlement rendu par le Parlement de Paris, le 27 août 1622, voulut que les sommations respectueuses fussent faites en vertu de la per

(1) V. l'Esprit du Code civil, par Locré, sur les art. 151 et 152.

mission du juge royal du domicile des pères et mères, et par deux notaires de la ville de Paris; partout ailleurs par deux notaires royaux ou par un notaire royal et par deux témoins qui devaient signer la sommation avec le notaire. Le tout à peine de nullité (1).

La loi du 20 septembre 1792 avait méconnu ce devoir de famille qui, chez les Romains, n'avait jamais été prescrit.

Nos nouveaux législateurs, plus soigneux des mœurs domestiques, ont rétabli ce respectable règlement et l'ont prescrit même à l'égard des aïeuls et aïeules de l'enfant. Innovation heureuse qui prouve leur sollicitude pour maintenir le respect dû aux chefs des familles.

En soumettant les enfants à requérir le conseil de leurs ascendants, le Code a rejeté l'expression irrévérente de sommation et lui a substitué celle d'acte respectueux, comme plus convenable à son objet et à la nature des rapports qui doivent exister entre un enfant et ses père et mère ou ses autres ascendants.

Le Code a aussi réglé le nombre des actes respectueux selon l'âge des enfants, la forme dans laquelle ils devaient être faits et le délai qui devait les séparer, quand il en fallait plusieurs.

Voici les termes de la loi nouvelle :

<«< Les enfants de famille ayant atteint la majorité fixée Art. 151. par l'art. 148, sont tenus, avant de contracter mariage, de demander, par un acte respectueux et formel, le conseil de leur père et de leur mère et celui de leurs aïeuls et aieules lorsque leur père et leur mère sont décédés ou dans l'impossibilité de manifester leur volonté. »

« Depuis la majoritée fixée par l'art. 148 jusqu'à l'âge Art. 152, de trente ans accomplis pour les fils et jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans accomplis pour les filles, l'acte respectueux prescrit par l'article précédent, et sur lequel il n'y aurait

(1) V. les Lois ecclésiastiques de d'Héricourt, tit. du Mariage, art. 77.

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