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PARLEMENTAIRES

DE 1787 A 1860

RECUEIL COMPLET

DES

DÉBATS LÉGISLATIFS & POLITIQUES DES CHAMBRES FRANÇAISES

IMPRIMÉ PAR ORDRE DU SÉNAT ET DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS

SOUS LA DIRECTION DE

M. J. MAVIDAL

CHEF DU BUREAU DES PROCÈS-VERBAUX, DE L'expédition des lois, des pétiTIONS, DES IMPRESSIONS
ET DISTRIBUTIONS DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS,

ET DE

M. E. LAURENT

BIBLIOTHÉCAIRE ADJOINT DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS

DEUXIÈME SÉRIE (1800 à 1860)

TOME XXXVIII

DU 1" AOUT 1822 au 22 MARS 1823.

PARIS

LIBRAIRIE ADMINISTRATIVE DE PAUL DUPONT

41, RUE J.-J.-ROUSSEAU (HOTEL DES FERMES).

1878

HARVARD COLLEGE

SEP 27 1917

LIBRARY

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CHAMBRE DES DÉPUTES.

PRÉSIDENCE DE M. RAVEZ.

Séance du neudi 1er août 1822.

La séance est ouverte à deux heures par la lecture du procès-verbal, dont la rédaction est adoptée.

M. le garde des sceaux et M. le ministre des finances assistent à la séance.

M. le Président fait lecture de la lettre suivante :

• Monsieur le président,

Je reçois à l'instant par un courrier l'affligeante nouvelle que mon frère le duc de Croy est à toute extrémité; je ne puis perdre un instant pour me rendre près de lui; j'espère donc que vous voudrez bien solliciter de la Chambre le congé qui m'est nécessaire, etc. Témoignez à mes honorables collègues le regret que j'éprouve de ne pouvoir m'associer dans ce moment à leurs travaux.

<< Recevez, etc.

« Le prince de CROY-SOLRE.

« Le 1er août 1822. »

(Aucune réclamation ne s'élève; le congé est accordé.)

M. le Président. L'ordre du jour est la suite de la délibération sur les articles du budget de 1823. Le chapitre Ier du budget du ministre des finances est ainsi conçu :

Chapitre Ier. Dette viagère, 10,000,000 de francs. M. de Castelbajac a la parole."

M. de Castelbajac. Jusqu'ici la Chambre a permis qu'en commençant la discussion du budget de chaque ministère on embrassât quelques généralités pour motiver son opinion. Je demande

T. XXXVIII.

à motiver la mienne sur les considérations prises dans la discussion même.

Parler économies, demander des réductions sur un budget, est à la fois une chose bonne et avantageuse; c'est une chose bonne en soi, car il est juste de diminuer autant qu'on le peut le fardeau qui pèse sur les contribuables; c'est une chose avantageuse à celui qui parle économie, car rien de plus populaire que de dire à ceux qui payent: Vous payez trop, nous voulons que vous payiez moins; et dans un gouvernement tel que le nôtre, la popularité ne se dédaigne pas.

:

Mais pour proposer des économies, suffit-il de dire Vous me demandez cent millions sur un service, j'en retranche dix; vous m'en demandez quatre-vingts pour un autre, j'en retranche six. Je ne le pense pas, Messieurs, et je crois qu'il faut encore prouver la possibilité des économies qu'on sollicite. Or, je n'ai pas vu que ce fût là le système suivi, et, à l'exception de l'honorable général Foy, qui, lorsqu'il propose des réductions, les demande comme quelqu'un qui a étudié, qui connaît la partie qu'il traite, comme quelqu'un qui a des idées spéciales sur la matière, et dont les raisonnements exigent une discussion et des réponses suivies; je n'ai guère vu d'orateurs qui aient cru nécessaire d'établir la possibilité des économies qu'ils présentaient.

Toutefois, avant de présenter des économies, il m'eût paru nécessaire, surtout lorsque l'on prenait, comme quelques orateurs l'ont fait, lorsque l'on prenait, dis-je, pour point de comparaison, les dépenses antérieures à la Révolution, il m'eût paru nécessaire de savoir si notre état actuel nous permettait d'arguer de cette époque, et si nous n'avions pas aujourd'hui des dépenses obligées qui n'existaient pas autrefois, et qui par suite nous imposeraient un budget autrefois inconnu. Si cela était prouvé, par exemple, il s'ensuivrait que les économies seraient plus difficiles, et que ceux que l'on accuse de n'en pas vouloir seraient tout simplement embarrassés sur les moyens de les faire pour mon compte, je crois que la chose est ainsi, et facile à prouver.

Forcé d'entrer ici dans une question délicate, je prie la Chambre de croire que je n'ai aucune idée de récrimination; mais obligé de m'emparer

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du passé pour établir une comparaison avec le présent, je dois prendre les faits tels qu'ils ont autrefois existé.

Autrefois les pensions de retraite étaient loin d'exiger ce qu'elles demandent aujourd'hui; la raison en est simple: un corps de l'Etat avait pour privilége le devoir spécial de sacrifier son bien et sa vie à la défense de son Roi et de son pays; c'était un préjugé peut-être, mais enfin il existait. Après trente ans de services, un officier appauvri, mutilé, se retirait avec une croix de Saint-Louis sur sa poitrine, souvent sans rien demander à l'Etat, quelquefois avec une modique pension; il revenait au manoir de ses pères; il y trouvait une famille qui s'identifiait à ses services et qui s'honoraít de recevoir et de garder le guerrier qui avait su combattre pour garder son pays.

C'était ainsi presque toujours la famille qui payait la dette de l'Etat le budget s'en trouvait d'autant plus allégé. Aujourd'hui, il ne peut plus en être ainsi un nouvel ordre de choses a changé les positions; l'égale admission de tous aux places militaires a mis la patrie à même de recueillir plus de services; tous les talents, tous les mérites ont acquis des droits égaux, et c'est à ce changement de système que nous devons beaucoup de noms qui ont illustré ces derniers temps. Mais ces avantages, acquis aux dépens des positions détruites, c'est à nous aujourd'hui à en supporter les charges, et comme il est impossible que l'Etat ne donne pas de pain, dans ses vieux jours, à l'homme qui lui a sacrifié sa vie entière, qu'il laisse avilir sur sa poitrine le signe honorable des services rendus, il faut bien que le budget supporte la dette de la société; voilà donc une charge qui n'existait pas autrefois, et qui fait aujourd'hui le budget des pensions et retraites.

Autrefois vous aviez une magistrature honorable, vénérée; et chaque jour l'opposition ellemême vous en fournit la preuve, quand elle cite les L'Hôpital, les Molé, les d'Aguesseau. Cette magistrature non-seulement n'était pas payée, mais elle payait pour avoir le droit de rendre la justice. Nos malheurs ont anéanti cette institution que les siècles avaient respectée. La Révolution a détruit ces fortunes héréditaires, ces sentiments de famille qui rendaient la magistrature indépendante des hommes et des budgets; aussi les budgets et les hommes se trouvent aujourd'hui dépendants de la magistrature, et comme une société policée ne peut pas vivre sans magistrats, il faut bien les payer; et le budget de la justice existe, lorsque autrefois il était inconnu.

Nous avions un clergé, ressource réelle pour toutes les classes de la société; la pauvreté, le malheur étaient secourus par lui. Dans les jours de danger (et notre histoire en est la preuve), il offrait à l'Etat son argent et son crédit; il donnait et ne demandait jamais la Révolution a dispersé ses pontifes, dévoré ses richesses; cependant comme a France est catholique et que le culte ne s'exerce pas sans ministres, il faut bien que ces ministres aient de quoi vivre. De là vient le budget du clergé.

La dette publique est aujourd'hui de plus de 240 millions. Je n'en recherche pas les causes; elle est reconnue, elle existe. La France ne veut pas faire banqueroute; il faut donc payer: de là vient le budget de la dette publique.

Les Universités, les collèges avaient autrefois des propriétés; elles ont été englouties comme tant d'autres; aussi avons-nous le budget de l'in

struction publique je pourrais étendre davantage le texte des budgets que nos malheurs nous ont légués; mais avant tout je veux être court et ne pas abuser des moments de la Chambre.

De tout cela, je conclus qu'il est divers points du budget sur lesquels aucune réduction n'est possible; qu'il est très-facile de parler économie, mais qu'il est moins aisé d'en faire l'application; qu'au point où l'on en est venu pour le système actuellement suivi, il me paraît impossible d'en faire davantage sur le matériel des administrations sans désorganiser le service, et que ce serait là une mauvaise économie pour le contribuable. La première chose pour lui est de jouir tranquillement de ce qu'il possède; il n'en peut être ainsi qu'autant qu'il sera sûr que le gouvernement, dont le devoir est de le protéger et de lui garantir sa propriété, a, par sa stabilité et ses moyens administratifs, le pouvoir de le faire. Oter ces moyens au gouvernement, ce n'est pas faire des économies au profit des contribuables, c'est au contraire les placer dans un état incertain et précaire.

Je pense qu'il y a des économies possibles, mais que celles-là ne peuvent se faire que par un changement de système administratif en grand : j'ai confiance dans les lumières du ministère actuel et dans ses bonnes intentions; je le crois convaincu, comme je le suis, de la nécessité de venir au secours des contribuables, dont l'état est vraiment douloureux; et nous le savons tous aussi bien les uns que les autres, puisque nul n'est entré dans cette Chambre que par son droit de propriété. Je crois qu'un changement de système en grand est possible, nécessaire; que par exemple l'on peut obtenir un mode de perception moins coûteux; que de larges et grandes attributions aux justices de paix, peuvent à la fois diminuer les frais de la magistrature et donner à nos cours une consistance plus en harmonie avec nos mœurs et la ligne qu'elles doivent occuper dans l'ordre social. Je crois qu'il est possible d'établir un mode d'administration intérieure plus analogue à nos besoins; en un mot, je pense que beaucoup d'autres améliorations sont possibles; et celles-là auront un résultat réel, celui de soulager les contribuables, parce qu'elles offriront une masse qui permettra de faire des réductions sur l'impôt; tandis que toutes nos petites économies qui ne tendent qu'à limiter les services, ne sont (permettez-moi de me servir d'une expression bien triviale) que des économies de bouts de chandelles, qui entravent la marche des affaires, sans qu'il en revienne un centime à celui qui paye, et je ne connais d'économie utile au contribuable que celle qui fait qu'il paye moins; mais je pense qu'un tel changement de système ne peut s'opérer qu'avec le temps et la réflexion. Vouloir en agir autrement me paraît faire naître des difficultés au lieu de les aplanir. Sully, Messieurs, rétablit les finances de France, mais ce ne fut pas dans 24 heures; et je doute même que, malgré ses talents et son dévouement, il y fût parvenu avec le temps, si au lieu d'être secondé, il eût été harcelé et poursuivi par la censure amère des partis et des passions.

Si je me rappelle, Messieurs, la manière dont le budget a été discuté, j'y vois des digressions plus ou moins étendues, des épisodes plus ou moins piquants et de vagues accusations, bien plus qu'une lumineuse discussion de finances. En résumé, on a attaqué les administrateurs, la magistrature, le clergé, le ministère, les gendarmes, la police, l'armée et la majorité de la Chambre.

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