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victoire. Sur 340 votants, M. Billault obtint 168 voix, et M. Debelleyme 172. La Chambre procéda également, dans cette séance, à la nomination de ses secrétaires. Les quatre candidats conservateurs, MM. de Lespée, Boissy d'Anglas, de Las Cases et Lacrosse, passèrent au premier tour de scrutin. M. Havin, candidat de l'opposition, obtint 162 voix.

La chute du ministère n'avait tenu, on le voit, qu'à cinq voix de plus ou de moins. Depuis longtemps la situation n'avait été aussi grave.

Le bureau définitif de la Chambre des députés fut installé le 31 décembre. Le président d'âge et le président élu prononcèrent successivement la harangue d'usage. Après quelques mots d'élogé pour la mémoire de M. Laffitte, qui, l'année dernière, occupa provisoirement le fauteuil, et une allusion sympathique au malheur récent qui venait de frapper M. Villemain (voyez plus loin Histoire intérieure), M. Sapey exprima le sentiment qui dominait dans la Chambre. « La paix, dit l'honorable président d'âge, règne au dedans et au dehors; la paix, qui est à la fois le travail, le bonheur et la richesse des peuples, et, sans nul doute, le premier besoin du pays. C'est un assez grand bienfait pour qu'on fasse à sa conservation des sacrifices; mais la France est une nation assez grande et assez puissante pour qu'elle n'en doive faire que de réciproques. »

Le 2 janvier, fut nommée la commission de l'adresse. Sur 336 votants, les candidats conservateurs réunirent 194 voix; les candidats de l'opposition, 138. Sur les neuf commissaires nommés, huit, en y comprenant l'honorable M. Saint-Marc Girardin, dont l'opposition prudente et consciencieuse ne peut être assimilée à l'opposition systématique de quelques membres, huit appartenaient au parti conservateur; seul, M. Gauthier de Rumilly représentait l'opposition. Les huit autres commissaires nommés furent MM. de Peyramont, d'Angeville, Félix Réal, de La Tournèlle, Muret de Bort, le maréchal Sébastiani, Hébert et Saint-Marc Girardin.

La discussion des bureaux porta, en grande partie, sur les

affaires du Maroc et de Tahiti, et les événements arrivés l'année dernière sur ces deux points furent l'objet de critiques assez vives, même de la part de quelques députés franchement dévoués à l'ordre de choses établi.

La discussion de l'Adresse s'ouvrit à la Chambre des pairs le 13 janvier. Le premier et le plus remarquable incident de cetté discussion fut la position toute nouvelle prise par M. le comte Molé. Après quatre années d'un silence absolu, l'ancien président du 15 avril montait à la tribune pour passer en revue la politique tout entière du cabinet du 29 octobre. Conservateur, M. Molé n'avait pas cru devoir, par ses paroles, porter la désunion dans les rangs de la majorité. Il s'était tû jusqu'alors par respect pour son parti, par respect pour lui-même. Aujourd'hui pourtant, des insinuations injurieuses, des reproches d'intrigue, de coalition, marques évidentes, selon l'illustre orateur, de craintes trop bien fondées, d'une désorganisation trop évidente, appelaient une éclatante protestation.

Essayant de caractériser la politique de M. Guizot, M. le comte Molé l'appelait une politique partout et toujours à outrance, même dans ses faiblesses. Il y avait dans tous ses actes une exagération qui l'entraînait jusqu'aux dernières conséquences, au risque de provoquer contre des principes ainsi poussés une inévitable réaction. Ainsi, M. le ministre des affaires étrangères voulait la paix: mais il montrait tant d'ardeur, tant d'entraînement à la maintenir; il donnait à croire qu'il ferait, dans ce but, tant de sacrifices, que les plus pacifiques pouvaient à peine se croire aussi pacifiques que lui. Il voulait l'alliance anglaise ; mais, sans le vouloir, sans le savoir, il en exagérait les conséquences; il en parlait de façon à la compromettre, à susciter contre elle la susceptibilité nationale, à donner aux Français, contre cette alliance si désirable, des préventions qui pourraient devenir un sérieux embarras dans l'avenir.

Deux questions avaient jeté, disait le discours de la couronne, quelque trouble dans nos rapports avec l'Angleterre, en même temps qu'elles avaient propagé en France quelque irritation

dans les esprits la première, celle du droit de visite; la seconde, celle de Tahiti.

Quel avait été l'ennemi le plus dangereux du droit de visite? M. le ministre des affaires étrangères. Sa convention de 1841, pour en étendre l'exercice, avait amené la réaction de l'esprit public et des Chambres contre le droit lui-même. En lui voyant faire cette concession, depuis si longtemps demandée par l'Angleterre après le traité du 15 juillet 1840, les Chambres, non contentes d'avoir empêché la ratification de la convention, demandèrent l'abolition du droit de visite réciproque; et la Chambre élective, à l'unanimité, força M. le ministre des affaires étrangères à déclarer qu'il entrerait franchement et loyalement dans une négociation dont il avait dit hautement qu'elle ne pourrait aboutir qu'à une faiblesse ou à une folie. Quand et comment sortirait-il de l'impasse où il s'était engagé?

Dans l'affaire de Tahiti, ses fautes avaient été plus graves encore. C'est en pleine et entière liberté que M. le ministre des affaires étrangères avait ratifié la prise de possession de cette île de l'Océanie, et qu'il avait voulu y fonder un établissement pour la France, à titre de protectorat. Quoi! s'écriait, à ce sujet, l'illustre orateur, c'est un si chaud partisan de l'alliance anglaise qui a voulu établir sur ce point du globe si éloigné de nous, sans intérêt pour nous, et d'où le premier coup de canon tiré sur nous nous forcerait de sortir, qui a voulu placer le protectorat de la France en face du protectorat des missionnaires anglais! M. le ministre des affaires étrangères n'avait-il pas agi, en cette occasion, au moins avec légèreté? Devait-il espérer que le cabinet de Londres userait de tolérance envers de pareils projets? Ne devait-il pas se rappeler qu'en Angleterre, le gouvernement est obligé de compter avec les hommes et le sentiment religieux? Si le chef moral du cabinet du 29 octobre l'avait compris plus tôt, il eût épargné à nos bons rapports avec l'Angleterre cette dangereuse épreuve, et à la France le sang de ses braves marins et de ses braves soldats, qui ont payé de leur vie notre douteuse occupation d'un rocher où il semble

qu'on ne sache plus ni comment y rester ni comment en sortir. Telles avaient été, selon M. le comte Molé, les fautes principales du ministère : aujourd'hui, les difficultés accumulées autour de lui étaient graves, et il ne paraissait pas qu'il lui fût donné de les résoudre. L'ancien président du 15 avril terminait ce remarquable discours en déclarant qu'on l'avait forcé de prendre la parole. Quant à lui, malgré ses doutes, malgré ses différences d'opinion avec l'administration actuelle, jamais il n'avait fait, jamais il ne ferait d'opposition systématique à aucun cabinet : il voterait pour tout ce qu'il approuverait et même pour ce qu'il ne désapprouverait pas, tant il croyait utile et raisonnable d'aider à la marche régulière, quoique plus ou moins éclairée, du pouvoir.

M. le ministre des affaires étrangères répondit à M. Molé. Il commença par écarter les complications personnelles, les provocations extérieures, s'attachant seulement à la politique vraiment publique, aux actes mèmes du ministère incriminé. Que voulait l'orateur qui ne fût pas la politique du Cabinet? N'admettait-il pas la paix, l'alliance anglaise? Proposait-il, indiquait-il, pour les questions à résoudre, des solutions très-différentes de celles adoptées? La paix! n'était-elle pas maintenue? L'alliance anglaise! n'était-elle pas en vigueur? Les questions élevées entre les deux pays n'avaient-elles pas été régulièrement, pacifiquement résolues?

On avait insisté sur la question du droit de visite. M. Guizot déclarait, à ce sujet, avoir suivi sérieusement la négociation dont il avait accepté le fardeau. Il avait représenté au gouvernement anglais la nécessité de chercher, pour atteindre un but commun, la répression de la traite, des moyens autres que le droit de visite, devenu inefficace et compromettant pour les rapports des deux pays. Le gouvernement anglais avait compris cette situation, et des commissaires mixtes allaient être incessamment chargés de chercher en commun, pour la répression de la traite, des moyens nouveaux plus efficaces que le droit de visite. Cette question était donc aussi avancée qu'elle pouvait l'être,

et il n'existait entre les deux pays aucune question gravement

compromettante.

On était donc forcé d'admettre au fond et dans l'ensemble la politique du Cabinet. On lui reprochait de n'avoir pas fait tantôt plus, tantôt moins, ou autrement, ou mieux; on l'accusait d'erreurs qui pouvaient compromettre dans l'avenir les résultats obtenus: Cela fat-il vrai, répondait M. fe ministre, y avait-il lå des motifs suffisants pour décider un homme grave à faire un acte d'opposition éclatante? Cette politique, que M. Molé approuvait au fond, n'avait-elle pas assez de dangers à courir? N'avait-elle pas à lutter contre des préventions nationales, dignes de ménagement, mème quand elles s'égarent, contre les factions révolutionnaires; et n'était-ce pas là assez d'obstacles sans qu'on vidt tout à coup se joindre à des ennemis si menaçants pour une politique qu'on approuvait dans l'ensemble?

Que voulait M. Molé et que ferait-il s'il arrivait au pouvoir? Aurait-il cette situation si nette, si simple et si forte de l'administration actuelle, appelée aux affaires pour rétablir la paix menacée, l'alliance anglaise affaiblie, de l'administration actuelle, entourée et soutenue par une majorité animée des mêmes sentiments, des mêmes désirs? Non: M. Molė, arrivant au pouvoir pour dégager de ses fautes cette politique qu'il approuve, y entrerait par l'impulsion et avec l'appui de tous les hommes qui n'ont pas cessé de combattre cette politique pour faire et faire mieux les affaires du parti conservateur, il prendrait le pouvoir poussé, porté, sonlevé par toutes les oppositions. Ce serait là une situation radicalement fausse et impuissante que de se trouver entre une portion considérable, importante du parti conservateur, mécontente, méfiante, irritée, et d'un autre côté entre des oppositions exigeantes qui voudraient faire payer leur appui.

On reprochait au ministère de compromettre l'alliance anglaise était-ce là, s'écriait M. Guizot, un reproche sérieux à faire à ceux qui avaient précisément rétabli, maintenu cette alliance, qui l'avaient fait éclater par la solution paisible et

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