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choses consacré par la législation antérieure, lorsque, en 1832, on révisa le Code pénal, aucune voix ne s'éleva pour réclamer une modification à l'art. 291. Lorsque, en 1834, on fit une loi nouvelle sur les associations, la discussion porta sur les congrégations religieuses non autorisées, sur celle même dont il s'agit aujourd'hui, et le gouvernement s'exprima en ces termes par l'organe du garde des sceaux.

«Il est vrai, en principe, que les réunions pour l'exercice du culte sont permises, pourvu toutefois qu'on se conforme aux prescriptions de la loi; mais il y a d'anciennes lois contre les associations, contre les congrégations religieuses, où souvent, au lieu de s'occuper des choses spirituelles, on ne s'occupe que de choses temporelles. >>

Donc, conclut M. Hébert, toutes les fois que, depuis 1830, on s'est occupé de la législation antérieure à ce sujet, ce n'a été que pour la confirmer.

M. Hébert termina cette argumentation substantielle par ces paroles qui firent sur la Chambre une sensation profonde :

<<< Les lois existent et sont efficaces: la sagesse conseille peutètre de les laisser dormir pour un temps; car la paix vaut mieux que la guerre, et la persuasion vaut mieux que la force; mais si la paix n'était plus possible, si la persuasion n'était pas efficace, les lois existent et elles doivent être exécutées. »

M. de Lamartine voulut porter le débat plus loin et plus haut que ne l'avaient fait les précédents orateurs pour lui, les jésuites n'étaient que le symbole abstrait à l'occasion duquel s'agitait une grave question religieuse, et il y avait, selon l'éloquent orateur, une cause à défendre pour laquelle on ne s'était pas encore levé, celle de la conscience intime de l'homme religieux. Nous ne suivrons pas M. de Lamartine dans ses excursions poėtiques au-dessus ou à côté de la question ; quant au sujet même du débat actuel, l'orateur, après avoir déclaré qu'à son point de vue, le Concordat a été une des plus grandes fautes politiques commises par Napoléon, et que la neutralité de l'état en matière religieuse est la seule garantie possible de la liberté de con

science, termina en disant : Si les jésuites prétendent n'être pas une congrégation, vous ne pouvez les empêcher de prier et de vivre en commun; s'ils prétendent exister comme une congrégation non autorisée, s'ils possèdent des biens commie communauté, contrairement à la loi, exécutez la loi contre eux comme vous l'exécuteriez contre toute autre congrégation; mais ne les mettez pas hors du droit commun, ne prenez pas contre eux des mesures exceptionnelles.

A ce moment, M. Thiers proposa à la Chambre un ordre du jour motivé ainsi conçu :

La Chambre, se reposant sur le gouvernement du soin de faire exécuter les lois de l'État, passe à l'ordre du jour. >>

M. Odilon Barrot s'associa à cette manifestation, tout en faisant remonter jusqu'au gouvernement le reproche d'une tolérance dangereuse dans l'exécution des lois, et en s'étonnant qu'on pût encore aujourd'hui parler de prudence et de ménagements.

M. le garde des sceaux, lui aussi, donna son adhésion à la proposition faite par M. Thiers, et engagea la Chambre à avoir confiance dans la fermeté et dans la prudence du gouvernement pour l'exécution des lois.

L'ordre du jour motivé fut voté à une immense majorité (3 mai).

Chambre des pairs.- La question religieuse revint encore à l'occasion de la discussion du budget des dépenses (15 juillet). M. de Boissy interpella le gouvernement sur l'affaire des jésuites et sur les négociations dont elle avait été l'objet avec la cour de Rome. Ces explications furent données catégoriquement par M. le ministre des affaires étrangères.

M. Guizot déclara que, lorsque le gouvernement du Roi s'était décidé à traiter à Rome de ce qui concernait la congrégation des jésuites, il l'avait fait parce qu'il avait cru infiniment préférable, sans renoncer à aucun des droits du pouvoir temporel, sans altérer en rien sa position dans la question, de ne pas se servir de ce genre d'armes i les avait, il les gardait; mais il

avait pensé qu'il valait mieux ne pas les employer tout d'abord; une lutte, n'importe à quel sujet, du pouvoir temporel contre le pouvoir spirituel ou contre une partie du pouvoir spirituel étant toujours un fait très grave.

Cela était grave, même dans l'ancien régime, dans ce temps où cependant, au terme d'une lutte pareille, on rencontrait le pouvoir absolu. A cette époque, en définitive, quand une question s'élevait entre le gouvernement et le pouvoir spirituel ou telle congrégation religieuse, c'était fe pouvoir absolu qui la décidait. Quand il avait prononcé, sa décision s'exécutait purement et simplement.

Mais aujourd'hui, tout n'était pas fini quand le gouvernement avait prononcé ; if se trouvait ensuite en présence de toutes les libertés individuelles dont nous sommes en possession, la liberté de la presse, la liberté de la tribune, la liberté personnelle, la liberté des propriétés. Après avoir pris sa résolution, après avoir vidé la question, le pouvoir temporel se trouvait engagé dans une lutte de tous les jours avec ces libertés, auxquelles il ne devait, auxquelles il ne voulait d'ailleurs porter aucune atteinte. Mais il ne pouvait s'empêcher de rec. nnaître que, par la nature de nos institutions et par la situation du pouvoir au milieu de ces institutions, la lutte, si une fois elle s'engageait, serait très-prolongée, très-compliquée, aggravée; qu'elle pourrait avoir telle ou telle conséquence imprévue qu'il était sage de prévenir.

In dépendamment de cette raison, le gouvernement du Roi en avait eu une autre non moins grave : il craignait que, s'il déployait dès le premier moment les armes temporelles qu'il avait bien légalement entre les mains, une partie de l'Église catholique de France ne s'y méprit et ne se crût, elle aussi, compromise dans une question particulière. Le gouvernement du Roi ne le voulait pas : il aurait regardé cela comme un grand mal.

Depuis son avénement, ajoutait M. le ministre, le gouvernement du Roi avait fait beaucoup pour l'Église et pour la religion. Je ne dis pas cela, ajoutait-il, au détriment des gouvernements

précédents; car, depuis 1802, tous les gouvernements ont beaucoup fait pour l'Église, pour la religion: ils ont tous senti que céla était de leur devoir comme de leur intérêt. Cependant on ne pouvait se dissimuler que, depuis soixante ans, en France, l'Église catholique n'eût été bien souvent, bien violemment attaquée, outragée, et que malgré tout ce que les gouvernements divers ont fait pour la relever, malgré tout l'appui qu'ils lui ont donné, elle ne fût restée et ne restât encore dans ses rapports avec le pouvoir temporel craintive et méfiante. Il y a là des plaies vives auxquelles il ne faut pas toucher.

C'était pour éviter un contact pareil, c'était pour que la France ne se crût pas engagée dans la lutte, pour que le clergé ne prit pas l'affaire des jésuites pour sa propre affaire, que le gouverne ment du Roi s'était décidé à ne pas user, sans une nécessité absolue, de ses armes temporelles et à porter à Rome la question,

On avait dit à Rome les faits tels qu'on les voyait en France : on avait exposé l'état des faits, l'état des lois, l'état des esprits. Et ici, il n'était question que de la cour de Rome, du gouverne ment romain et de nulle autre personne au monde. Le gouvernement du Roi avait ajouté: « H est en notre pouvoir de porter remède à ce mal, remède purement spirituel, dans lequel les armes du pouvoir temporel ne seront pas employées; nous vous demandons d'user des vôtres. »

Ce que le gouvernement du Roi avait fait à l'égard de la cour de Rome, la cour de Rome l'avait fait à l'égard de la société de Jésus. Comme le gouvernement du Roi n'avait voulu se servir que de moyens moraux, des influences morales, comme il n'avait cherché qu'à faire connaître la vérité, laissant ensuite les choses à la décision du pouvoir spirituel bien informé, la cour de Rome avait adopté envers les jésuites le mème procédé.

Comme on ne s'était pas servi des armes temporelles, la cour de Rome ne s'était pas servi non plus de ses armes temporelles et légales. Eile avait fait connaître à la société de Jésus la vérité des choses, des faits, des lois, l'état des esprits en France, lui donnant ainsi à juger d'elle-même ce qu'elle avait à faire, la

conduite qu'elle avait à tenir dans l'intérêt de la paix publique, de l'Église, de la religion.

La société de Jésus avait pensé qu'il était de son devoir de faire cesser l'état de choses dont la France se plaignait, et dans lequel apparaissait un péril pour la paix publique, pour l'Église, la religion. De toutes parts, il y avait eu ainsi acte de libre intelligence et de bons procédés.

pour

M. Guizot ajoutait :

«Je le demande à la Chainbre, n'est-ce pas là la façon la plus libérale, la plus religieuse, la plus pacifique, la plus pacifiante, permettez-moi le mot, de résoudre la question?

Je dis la façon d'agir la plus libérale, car nous n'avons employé aucun autre moyen que la persuasion. Nous nous sommes adressés à la libre intelligence, à la raison du pouvoir avec lequel nous traitions; ce pouvoir a agi de même de son côté.

«Je dis aussi la plus religieuse, car c'est au pouvoir spirituel lui-même, au chef de l'Église, que nous nous sommes adressés.

«J'ajoute enfin la plus pacifique, la plus pacifiante, car nous n'avons pas engagé de lutte : c'est de gré à gré, par l'accord de tout le monde, par l'accord de sa raison et du libre arbitre de tout le monde que la question a été terminée. C'était là, j'ose le dire, la politique à la fois la plus élevée et la plus prudente qui pût être employée pour sortir d'une si grave difficulté. »

M. de Montalembert répondit à ce discours. Ce jeune pair, qui est, comme on le sait, à la tête de l'agitation religieuse en France, déclara qu'il acceptait la solution de cette affaire dans les termes que M. le ministre des affaires étrangères venait d'indiquer. Mais, selon lui, toute la question n'était pas là ; il y avait dans ces questions toute autre chose que l'affaire des jésuites.

<< Non-seulement, ajoutait le noble pair, tous les catholiques de France, mais encore ce qu'on appelle le parti catholique, n'est pas jésuite et n'a pas son général à Rome; tout le monde, excepté les jésuites eux-mêmes, demeure en possession des libertés données par la Charte. Ainsi donc, si l'avant-garde catholique avait dû déposer les armes, cela fait, il restait encore l'armée tout entière; il restait ces quatre-vingts évêques qui avaient réclamé l'année dernière contre le projet de loi sur l'enseignement secondaire, et les soixante évêques qui avaient

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