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«Laissez-moi cette collaboration, ne fût-ce que pour ôter au gouvernement marocain, à ses protecteurs et à ses auxiliaires, tout prétexte de représenter mon exclusion comme un devoir. » Cette bienveillance empressée, qui se sacrifie au besoin, apparaissait dans tous les actes du ministère. Ainsi, lorsque le Cabinet anglais avait offert sa médiation à l'Espagne, l'ambassadeur français avait pressé le gouvernement espagnol d'accepter cette médiation, et c'était une fregate anglaise qui avait réintégré à Tanger le consul espagnol.

Imprudence et faiblesse dans l'affaire du Maroc et ici, M. Billault reprenait avec ce talent d'argumentation rapide et chaleureuse qui lui est propre, les arguments déjà connus contre le traité de Tanger. Imprudence et faiblesse à Tahiti: et ici l'orateur s'étendait avec plus de détails sur les fautes commises, selon luj, par le ministère.

Il avait été reconnu par M. Guizot que Pritchard avait été l'instigateur, le fauteur de l'insurrection. Cela est un crime et que nos lois poursuivent sur un étranger comme sur un Français, Le droit de la France était donc de faire juger cet homme par un conseil de guerre. Au lieu d'user de ce droit, on avait usé de ménagement envers lui, on l'avait simplement emprisonné six jours, puis renvoyé. « Et c'est là une insulte, s'écriait M. Billault, c'est là une faute tellement grave que Pritchard ait besoin d'ètre indemnisé ?

Comment! cet homme a fait couler le sang français, vous l'avouez vousmènes; c'est lui qui a allumé la guerre ; c'est à cause de lui que deux cents de nos soldats envoyés par la France sont tombés sur une plage lointaine; c'est à cause de lui que les familles de ces soldats pleurent ceux qu'elles ont perdus, et n'obtiennent point d'endemnité; c'est à cause de lui que vous ne savez ce qui se passe maintenant à Tabiti, que peut-être vos cinq ou six cents soldais sont exposés à tous les embarras, à toutes les difficultés, à toutes les incertitudes que leur courage seul ieur permettra de surmonter ; c'est à cause de iui que tous ces malheurs tombent sur nos soldats, que tous ces insulaires assiégent nos troupes, et cependant vous ne demandez pas un reproche contre lui, une indemnité contre lui; vous le récompensez, vous le payez..

Euhardis par les prévenances du gouvernement français, par

le rappel spontané de l'amiral Dupetit-Thouars, lord Aberdeen et sir Robert Peel déclarent à la tribune anglaise qu'un grand outrage a été commis contre l'Angleterre et qu'une réparation est due. Comment comprendre qu'il y ait confiance mutuelle, bienveillance réciproque en présence de cet éclat soudain ? Et il n'avait été fait aucune concession par le gouvernement anglais après ce premier moment de colère : cette réparation attendue, désaveu, indemnité, elle avait été faite sans même qu'on l'a demandat. Le représentant de la France à Londres s'était mis à la piste des désirs du ministère anglais : il avait insinué la possibilité de la censure, de l'indemnité, insinuation longtemps repoussée par des menaces de guerre, de renvoi de Pritchard à Tahiti; était-ce là de la dignité, de la fermeté ?

Sur la question du droit de visite, encore de l'imprévoyance, encore de la faiblesse. Aussi, M. Billault, après cette revue générale de la politique ministérielle qui lui montrait les mêmes fautes commises sur tous les points, n'hésitait-il pas à voter pour l'amendement.

M. le ministre de l'intérieur répondit à M. Billault: les déclarations faites par le député de l'opposition ne pouvaient être suspectées par M. le ministre, et ce n'était pas à M. Billault qu'on pouvait reprocher de ne vouloir changer que les hommes. Sa politique était certes bien différente de celle du Cabinet, et si l'une devait l'emporter sur l'autre, elle arriverait au pouvoir avec toutes ses conséquences. Mais puisque l'on accusait le gouvernement d'avoir résolu les questions principales de politique intérieure avec imprévoyance et faiblesse, pourquoi ne s'étaiton pas expliqué sur les solutions à substituer dans les questions encore pendantes? Dans la question de Tahiti, par exemple, il restait la question de l'indemnité qui n'était encore ni payée, ni liquidée. On voulait changer de politique : qu'elle conduite devraient donc tenir les successeurs du Cabinet actuel?

Mais enfin la question de cabinet était posée, et cela dans les termes les plus clairs, les plus précis. Le ministère avait-il don été imprévoyant et faible?

Faible? Mais, dans l'Algérie, par exemple, qui donc avait fait de grandes choses, si ce n'est ce ministère qui, depuis quatre ans, avait fait une seconde fois la conquête de l'Algérie? Avait-on reculé, pour consolider nos possessions d'Afrique, devant les prétendues jalousies de l'Angleterre ? Cette guerre du Maroc n'avait-elle pas eu pour but de consolider notre conquête, et n'avoir pas voulu la conquête du Maroc, n'avait-ce pas été là une nouvelle marque de prévoyance et de force?

Mais, disait-on, on avait fait un traité sans garanties. Les garanties que l'on prend en pareil cas, ce sont des places fortes qu'on occupe: or, ces garanties eussent été elles-mêmes la continuation de la guerre, le commencement de la conquête. La garantie la plus sérieuse avait été dans la terreur de nos armes : nous avions dissipé cette illusion d'orgueil qui faisait croire aux Marocains la conquête de l'Algérie possible sur les Français. Le traité ne serait pas exécuté ? Mais alors, nous recommencerions la guerre, et plus forte qu'auparavant.

Il n'y avait eu dans tout cela ni faiblesse ni imprévoyance. Dans l'affaire de Tahiti, on supposait une transaction tout au profit de l'Angleterre. Mais le gouvernement français, tout en maintenant le droit d'expulsion du sieur Pritchard, n'avait pu ne pas tenir compte de circonstances blâmées par le gouverneur lui-même de Tahiti, M. Bruat. Faire le contraire et s'entêter contre la vérité, c'eût été manquer de dignité véritable. On disait: il fallait juger le sieur Pritchard. Mais il n'y avait contre lui que des preuves morales: les preuves matérielles et judiciaires manquaient, et l'idée n'avait pu venir aux autorités de Tahiti de traduire le sieur Pritchard devant les tribunaux. Pouvait-on soutenir sérieusement que M. d'Aubigny n'eût pas été trop loin lorsque dans sa proclamation il rendait le sieur Pritchard, déjà arrêté et emprisonné, responsable sur sa personne et sur ses biens de tout ce qui pouvait survenir ? Que si les faits eussent été renversés, que si un consul ou ancien consul français eût été chassé d'une possession anglaise dans les mêmes circon

stances, l'opposition n'eût pas manqué de trouver la réparation illusoire et de crier encore plus haut à la faiblesse, à l'humiliation.

Sur la dernière question, le droit de visite, on reprochait au ministère d'avoir entamé une négociation illusoire. Cette négociation serait difficile et laborieuse, sans doute. Elle avaît duré parce que d'autres questions plus graves engagées entre les deux gouvernements avaient réclamé la priorité; mais elle se poursuivait dans le sens d'une solution conforme au vœu du pays. Ce n'était pas un fait peu sérieux que l'institution de commissaires nommés pour rechercher non pas si le droit de visite est bon ou mauvais en lui-même, mais quels moyens peuventètre substitués au droit de visite.

En résumé, disait, en terminant, M. le ministre de l'intérieur, l'alliance anglaise s'était rallié de nombreux partisans; mais, en même temps, le ministère, qui, à force depersévérance, avait concilié à l'alliance anglaise ses principaux adversaires, se voyait accusé d'avoir compromis, discrédité cette alliance. C'était là un étrange reproche, et M. le ministre pensait que la paix serait bien autrement compromise par les restrictions que l'opposition apportait à l'alliance, par la politique qu'elle professait.

La discussion sur l'amendement était épuisée : le scrutin secret fut demandé, et, sur 422 votants, majorité absolue 212, l'amendement, qui réunît 197 boules blanches, fut rejeté par 225 boules noires. La majorité pour le ministère était de 28 voix. ( 23 janvier. )

A l'amendement de M. de Carné succéda un amendement de M. Gustave de Beaumont : ce nouvel amendement se référait à la fin du premier et au deuxième paragraphe du projet d'adresse. Voici la rédaction de la première partie :

Lorsque notre session s'achevait, il y a peu de mois, des complications qui pouvaient devenir sérieuses avaient excité notre sollicitude. En reprenant aujourd'hui nos travaux au milieu d'un calme profond, nous voudrions pouvoir nous féliciter sans réserve du prompt rétablissement de la paix, comme nous applaudissons avec la France entière au brillant succès de nos armes. »

Le deuxième paragraphe du projet de la commission était rédigé ainsi qu'il suit :

« Pour défendre nos possessions d'Afrique contre des agressions répétées, la guerre avec l'empire du Maroc était devenue juste et nécessaire. A votre voix, Sire, nos armées de terre et de mer ont rivalisé de bravoure et d'ardeur. Guidées par des chefs familiers avec la victoire, elles ont une fois de plus montré ce que peut la France. Notre force et notre ascendant ont été doublement constatés; et l'Algérie, où deux de vos fils, dignes de leurs ainés, ont glorieusement combattu, a vu la sécurité affermie par notre puissance et notre modération. »

L'honorable M. G. de Beaumont proposait de substituer à ce paragraphe la rédaction suivante:

Pour défendre nos possessions d'Afrique contre les agressions répétées, la guerre avec l'empire du Maroc était devenue juste et nécessaire. A votre voix, Sire, nos armées de terre et de mer ont rivalisé de bravoure et d'ardeur. Guidées par des chefs familiers avec la victoire, fières de voir à leur tête ou dans leurs rangs trois de vos fils, dignes de leurs aînés, elles ont une fois de plus montré ce que peut la Frauce. »

Le premier tort que M. de Beaumont reprochait au ministère, c'était de s'être fait un auxiliaire du prince chargé du commandement en chef de la flotte: on avait voulu, mais en vain, couvrir par là des actes blåmables.

L'auteur de l'amendement ne voyait que puérilité dans les dispositions du traité de Tanger. On y exigeait la dislocation de l'armée marocaine, comme si la bataille d'lsly n'avait pas, mieux qu'un article de traité, assuré cette dislocation. On y demandait la permission de poursuivre Abd-el-Kader on l'engageait, à l'égard de l'émir, à une humiliante générosité. Contrairement à l'opinion des agents du gouvernement, on avait reculé devant l'exigence d'une indemnité: le prétexte, sinon la cause de la guerre, avait été la délimitation des limites, ét rien dans le traité n'était fixé à cet égard. On n'avait pas èxigé la dissolution de la deïra de l'émir: on n'avait pas stipulé qu'Abd-el-Kader ne pourrait rester sur le territoire marocain; on avait même autorisé tout le contraire.

Dans tous ces faits, l'honorable député voyait l'influence britannique.

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