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comme source de toute liberté, de toute prospérité. Lui diraiton ce qu'on répondait à tout opposant qui attaque un point vulnérable : « Vous attaquez le système, et où est le vôtre? Qu'avezvous à mettre à la place de ce que vous voulez renverser ? » Mais c'était là une déplorable tactique, faite pour détourner l'attention des questions particulières, pour la transporter sur l'ensemble. Et puis on n'a pas ainsi des systèmes de rechange à chaque ministère qui tombe, et il peut y avoir dissidence sur un point, sans infidélité faite au programme général. Cette vérité qu'on voulait obscurcir par des théories de fidélité quand même, M. Dupin cherchait à la prouver par de nombreux exemples pris dans nos fastes parlementaires, rassurant par là les conservateurs timides qu'on aurait effrayés des conséquences d'une dissidence partielle. Il fallait plutôt abandonner un ministère sur une question, que d'abandonner le pays pour un ministère.

La question était celle-ci, selon M. Dupin: les affaires du pays, même au sein du système qui est celui de la majorité, avaient-elles été bien ou mal faites ? Certes, dans les trois questions principales qui servaient aujourd'hui à juger la conduite du ministère, tout le monde désirait attacher la paix à leur solution. La paix dans toutes les affaires, c'était la politique de tout le monde; mais la paix à quel prix ? là était la question de conduite.

Reprenant alors les trois questions, M. Dupin voyait dans la clause du traité de Tanger, qui promettait de traiter Abd-elKader avec humanité, un scandale pour la France.

Relativement à la question de Tahiti, M. le ministre des affaires étrangères avait cherché à rejeter sur le vote des Chambres la responsabilité de l'établissement dans l'Océanie. Les Chambres avaient adhéré par un vote de fonds à un commencement d'action, sauf le compte à rendre des opérations ultérieures. M. Guizot disait encore qu'il n'avait pas fallu que le drapeau de la France reculât; mais n'eût-il pas mieux valu qu'il reculât d'abord, que d'amener par une obstination inutile des dangers nouveaux et des difficultés sans fin?

D'après l'aveu mème de M. le ministre, Pritchard n'était revêtu d'aucun caractère public; on n'avait pas blessé le sentiment religieux des Anglais; nous avions le droit d'expulser un étranger turbulent, et Pritchard l'avait été : tout cela admis, pourquoi blamer celui qui s'était opposé aux turbulences de cet homme ? Parce qu'on avait usé de procédés blamables? Mais quels avaient été ces procédés? On n'avait pas même attendu les rapports officiels pour savoir s'il avait été fait à Pritchard un tort qui méritât réparation, ou si, au contraire, ce n'avait pas été lui qui nous eût causé des dommages. Fallait-il donc accorder une réparation dans le doute? Mais Pritchard avait été mis au secret six jours, et ses intérêts avaient été blessés. Le secret n'est-il pas une mesure indispensable contre un instigateur de troubles et de révolte, et lorsqu'il y a état de siége, ne faut-il pas empêcher le contact et les communications entre l'instigateur et les révoltés? Mais ne disait-on pas que si Pritchard eût été embarqué immédiatement, aucune indemnité n'eût été due? Cependant les intérêts de Pritchard eussent été au moins aussi lésés par un éloignement que par six jours de prison. Dans cette affaire, concluait M. Dupin, le droit de la France n'avait pas été défendu, ses intérêts n'avaient pas été protégés, sa dignité n'avait pas été conservée.

Maintenant que le principe de l'indemnité était consenti, ik ne fallait pas, ajoutait l'orateur, la refuser, mais se réserver le droit de ne l'avoir pas approuvée. Sans doute, la somme serait prise sur les fonds secrets, sans doute la Chambre n'entendrait pas parler du solde; mais il ne fallait pas laisser croire qu'on avait donné pleine et entière adhésion à la conduite du ministère. Le savant magistrat arrivait au droit de visite.

N'avoir pu faire ratifier un traité qu'on avait poursuivi, et se trouver par là dans le cas de donner un démenti à ses propres idées, c'était une position difficile pour un ministère, surtout si cette humiliation ne lui arrivait que pour avoir voulu aller trop loin. Obligé de se départir du traité de 1841, il avait été forcé, en outre, de revenir sur les traités de 1831

et de 1833. Mais, aujoutait M. Dupin, comme on ne fait pas de très-bon cœur des choses qui sont contre notre opinion, deux ans s'étaient passés sans qu'aucun résultat sortit des négociations imposées au ministère. L'année dernière (voy. l'Annuaire), la Chambre des députés avait exprimé le vœu unanime que notre marine fût replacée sous la surveillance exclusive de notre pavillon, vœu itératif qui rappelait au Cabinet ces négociations entreprises à contre-cœur. La Chambre des pairs avait, au contraire, gardé le silence, parce qu'on lui avait représenté ce silence comme une force qui serait donnée au ministère, comme une facilité pour ses négociations. Mais rien de nouveau ne s'étant produit dans l'intervalle des deux sessions, la Chambre des pairs venait, cette fois, de reprendre l'amendement devant lequel elle avait reculé l'année dernière (voy. plus haut, p. 29 ). On ne lui avait pas dit aujourd'hui que son silence était nécessaire : elle n'était pas disposée à se taire, et il avait fallu la laisser parler. Tant il est vrai, disait l'orateur au ministère, que quand la majorité n'est pas avec Vous êtes avec elle.

vous,

Malgré les vœux si évidents des deux Chambres et du pays, on voulait éluder la question. On établissait des commissions, on suivait des négociations, afin de rechercher un moyen aussi efficace que le droit de visite, et ces négociations impliquaient cette conséquence que si on ne trouvait pas de moyen capable de remplacer le droit de visite, le droit de visite serait maintenu tel quel. Si on en trouvait un, mais que l'Angleterre ne voulût pas le reconnaître équivalent au droit de visite, elle refuserait ce moyen, et le droit de visite serait encore maintenu. S'arrêterait-on à l'abolition de l'esclavage? Mais ce serait la ruine de nos finances et de nos colonies. Prétendre que le droit de visite fût maintenu jusqu'à ce qu'on lui eut trouvé un équivalent, ce n'était pas entrer dans la voie de négociation tracée par la Chambre.

Sur cette question, comme sur les autres, M. Dupin concluait par un blame formel de la politique ministérielle.

Un amendement dans le sens de ce blâme devant amener une continuation de la discussion générale, la discussion générale fut close, et M. de Carné présenta cet amendement dont les franches expressions posaient complétement la question de cabinet.

Le premier paragraphe avait été ainsi rédigé par la commission:

Sire, lorsque notre session s'achevait, il y a peu de mois, des complications qui pouvaient devenir sérieuses avaient excité votre sollicitude. En reprenant aujourd'hui nos travaux au milieu d'un calme profond, nous aimons à nous féliciter avec vous du brillant succès de nos armes et du prompt rétablissement de la paix. >>

1...

M. de Carné proposait d'en changer ainsi la première phrase: des complications qu'une conduite prévoyante et ferme aurait pu prévenir ou terminer d'une manière plus satisfaisante.»

La discussion générale avait déjà appuyé ou combattu l'amendement de M. de Carné, avant même qu'il fût présenté. Cet amendement était donc l'expression la plus nette de la situation. Aussi l'éminent publiciste qui le soumettait au vote de la Chambre eut-il peu de mots à dire pour le développer. Imprévoyance, faiblesse, tels étaient les reproches adressés par l'opposition au ministère, et l'amendement reproduisait ces deux accusations.

M. Hébert, qui, le premier, s'éleva contre l'amendement, n'y voyait qu'un moyen de renverser le Cabinet et de changer la politique soutenue jusqu'alors. En effet, le paragraphe premier de l'adresse ne s'appliquait qu'à la guerre du Maroc, tandis que l'amendement avait trait à toute la politique extérieure du ministère. Le savant magistrat, rapporteur de la commission, n'avait donc, pour combattre l'amendement, qu'à justifier l'ensemble de cette politique.

M. Hébert expliquait d'abord la portée des articles incriminés du traité de Tanger, la gravité de cette excommunication religieuse imposée à l'empereur du Maroc : il trouvait dans les rapports mêmes du prince commandant de la flotte, la preuve Ann. hist. pour 1845.

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qu'on avait obtenu par ce traité plus qu'on n'avait demandé. La commission n'avait rencontré dans aucune autre question aucune marque d'imprévoyance ou de faiblesse. Il lui avait semblé que partout, en toute occasion, le gouvernement avait agi dans les intérêts de la France, que la dignité du pays avait été constamment sauvegardée. En présence du blâme qu'on demandait aujourd'hui à la Chambre contre le ministère, la commission n'avait pas voulu tomber dans l'exagération contraire en demandant pour le Cabinet des témoignages d'une éclatante approbation: ce qu'elle réclamait, c'était seulement une approbation pure et simple, une adhésion complète à la politique du Cabinet. (22 janvier.)

M. Billault, qui prit ensuite la parole, s'éleva contre ces accusations d'intrigue qu'on jetait sans cesse à l'opposition. I ne s'agissait pas, disait-on, de changer les choses, mais de changer les hommes tout se réduisait à une guerre de portefeuille. Comment! s'écriait l'orateur, si un blâme précis, solennel, était jeté par la Chambre sur la politique tout entière du Cabinet, il n'y aurait là que des hommes changés ? La politique générale, le système, ne le seraient pas? Cela était absurde. Il n'y avait donc pas d'intrigue, mais ceci qu'il fallait examiner sincèrement, loyalement le ministère avait-il, qui ou non, manqué de prévoyance et de fermeté ?

M. Billault ne voyait dans la politique qui avait dirigé l'affaire du Maroc, qu'une politique de prévoyance et de petits soins pour l'Angleterre. Si l'influence anglaise n'était pas là aussi évidente qu'ailleurs, combien de choses inexpliquées, combien de doutes qui pourraient être facilement résolus par des dépêches ou des rapports non communiqués! Qu'avaient été les négociations de M. Hay, les actes de M. Bulwer, ceux du gouverneur de Gibraltar, M. Wilson? Que voulait dire notre consul, M. de Nyon, qui, après l'envoi de M. le duc de Glucksberg, sollicitait du Cabinet la faveur de rester conjointement avec lui chargé de la négociation et écrivait ces paroles remarquables:

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