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d'abord l'opinion où on était en Angleterre que M. Pritchard était, à cette époque, agent officiel du gouvernement anglais; puis le sentiment religieux blessé dans sa personne. Le gouvernement s'était appliqué à rétablir la vérité des faits. M. Pritchard n'était plus consul, mais un simple résident étranger, vivant à Tahiti sous la loi commune. Consul, agent officiel, il n'eût pu faire avec impunité ce qu'il eût voulu; mais il y eût eu, en ce cas, certaines formes, certaines règles à observer dans la répression. Mais il n'avait plus ce caractère public, et on avait rétabli auprès du gouvernement anglais la vérité des faits à cet égard. Quant à l'esprit religieux, on s'était appliqué à démontrer par des faits que l'esprit religieux n'avait point à se plaindre de nos établissements dans l'Océanie, l'esprit religieux légitime, bien entendu.

Puis, quant au fond de la question, le gouvernement avait établi le droit des autorités françaises à Tahiti d'expulser tout étranger qui troublerait l'ordre ou travaillerait à nuire à l'établissement français. Il y avait donc eu de légitimes raisons d'arrêter et d'expulser le sieur Pritchard. Mais le gouvernement avait reconnu, en même temps, qu'il y avait eu dans les procédés employés à l'égard de ce missionnaire, certaines circonstances regrettables et blåmables, qu'on avait manqué à quelques-unes des règles d'équité et de convenance qui doivent guider, en pareil cas, les agents du pays. Pour éloigner le sieur Pritchard, quand on n'avait contre lui aucune de ces preuves flagrantes qui permettent de traduire un homme devant les tribunaux, et lors même qu'on avait, à l'égard de ses manœuvres, une de ces convictions morales que les autorités intelligentes peuvent acquérir même à défaut de preuves judiciaires, lorsqu'on avait des bâtiments français ou anglais, à son choix, sur lesquels on pouvait le faire partir immédiatement, il n'était pas nécessaire de le tenir pendant six jours au secret, en lui interdisant de voir même sa femme et ses enfants, et de mettre ordre à ses affaires. Le gouverneur de Tahiti, alors absent, en avait pensé de même à son retour. Dans une affaire presque semblable, l'expulsion avec violences de deux missionnaires français en 1836, il y avait eu lieu,

comme dans celle-ci, à une indemnité réclamée par le gouvernément français. Là était un précédent pour cette indemnité si juste en soi et d'ailleurs si propre à dissiper le nuage que cette question avait élevé entre les deux pays.

Voilà ce que le gouvernement français avait fait pour obéir à la justice et à la raison, pour conserver ses bons rapports avec l'Angleterre. L'Angleterre ne faisait-elle rien de son côté pour maintenir la bonne intelligence? Dans l'affaire du Maroc, le gouvernement anglais avait fait connaître la sollicitude que cette affaire lai inspirait, les intérêts qui s'y trouvaient engagés pour lui. Il avait fortifié sa station pour veiller à ces intérêts, mais il avait pris soin de maintenir ses forces navales au-dessous de celles de la France, pour qu'on ne pût y voir aucun dessein hostile à notre pays. Il avait donné ensuite au gouvernement français pleine et entière raison pour ses griefs et ses réclamations; il avait offert ses bons offices, qu'on avait acceptés dans certaines limites, et il avait sincèrement agi auprès de l'empereur du Maroc, pour lui faire reconnaître la légitimité de nos demandes. Enfin, le gouvernement anglais avait accepté sans plainte, sans humeur, une situation difficile pour lui: celle d'assister à côté de nos vaisseaux, avec les siens, à notre guerre et à nos succès. Ç'avait été là un procédé de bonne et sincère amitié.

Quant à l'incident Pritchard, officiellement, positivement, le gouvernement anglais n'avait rien dit, rien demandé il avait eu ce bon procédé d'attendre ce que nous-mêmes nous jugerions juste et convenable de faire. Le gouvernement français connaissait ses sentiments, ses agitations, la gravité de la question pour lui, dans son propre pays; mais rien n'avait été officiellement demandé. Bien plus, après avoir partagé bien vivement, au premier moment, le sentiment qui avait éclaté dans le pays, ce sentiment une fois amoindri, et lorsqu'il n'avait plus en luimême à en porter le poids, le gouvernement anglais n'avait pas hésité à reconnaître ce que la première impression avait eu d'erroné ou d'excessif.

«Ma conviction, s'écriait lord Aberdeen à l'ambassadeur d'Angleterre à

Paris, ma conviction est que le désir sincère des deux gouvernements de maintenir l'entente la meilleure et la plus cordiale rend presque impossible que des incidents de cette nature, s'ils sont vus sans passion et examines dans un esprit de justice et de modération, puissent aboutir autrement qu'à une issue amicale et généreuse. »

a Voilà, ajoutait M. Guizot, voilà ce qui caractérise réellement soit l'incident lui-même, soit la situation des deux gouvernements. Pour que de tels incidents n'eussent pas une gravité extrême, il fallait qu'ils fussent traités dans un esprit de justice et de modération entre deux gouvernements qui s'entendissent sincèrement, cordialement, et qui eussent l'habitude de le faire.» Et expliquant ces rapports nouveaux de la France et de l'Angleterre, M. le ministre disait :

On a appelé cela de la cordiale entente, de la bonne intelligence, de l'amitié, de l'alliance. Messieurs, il y a quelque chose de plus rare, de plus nouveau et de plus grand que tout cela. La France a été souvent en paix et en rapports amicaux avec l'Angleterre; mais au fond de cette paix, derrière ces bons rapports, subsistait toujours, non-seulement entre tel ou tel parti des deux pays, mais entre les gouvernements eux-mêmes, un esprit de rivalité jalouse, méfiante et hostile. La prospérité, le progrès de l'un des deux pays, étaient tenus pour un inconvénient, pour un danger dans l'autre.

Il n'en est pas de même aujourd'hui. Il y a aujourd'hui en France et en Angleterre deux gouvernements qui croient qu'il y a place dans le monde pour la prospérité et pour l'activité matérielle et morale des deux pays ; qui croient qu'ils ne sont pas obligés de regretter, de déplorer, de craindre les progrès l'un de l'autre ; qu'ils peuvent, en déployant librement et avec une entière indépendance leurs forces de toute nature, s'entr'aider au lieu de se combattre. H y a deux gouvernements qui croient cela, et qui, croyant qu'ils le peuvent, croient qu'ils doivent le faire, qu'ils le doivent à l'honneur de la paix et à la civilisation du monde. Et ces deux gouvernements, croyant qu'ils le doivent, le font réellement ; ils le pratiquent ; ils se témoignent dans toute occasion un respect mutuel des droits, un ménagement mutuel des intérêts, une confiance mutuelle dans les intentions et dans les paroles. Voilà ce qu'ils font, et voilà pourquoi les incidents les plus délicats, les plus gråves, n'aboutissent pas entre eux à la rupture ni même au refroidissement des relations.

Quel avait été le résultat de cette heureuse entente? Une éclatante manifestation, le voyage du roi de France à Windsor. Et, à cette occasion, M. le ministre des affaires étrangères prononçait ces remarquables paroles:

« Le roi des Français est allé à Windsor. On nous a dit, non pas ici, mais ailleurs, que c'était dans le but de ce voyage que nous avions précipité la conclusion des différends qui existaient entre l'Angleterre et nous. Cela est faux. Nous n'avons rien précipité, nous n'avons rien sacrifié au voyage du Roi. Les questions ont été traitées pour elles-mêmes, avec une entière indépendance. Quand les solutious ont été données, quand aucun embarras, aucune situation fâcheuse n'a plus existé entre les deux pays, le Roi est allé à Windsor.

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La convenance du voyage n'est certainement contestée par personne ; son utilité politique ne devrait pas l'être davantage. Quoique les rapports personnels des princes n'aient pas aujourd'hui le même degré d'importance et de nécessité qu'ils ont pu avoir à une autre époque et sous une autre forme de gouvernement, ils influent cependant beaucoup sur les bons rapports des États et sur le facile arrangement des affaires. Il y avait donc là grande et réelle utilité.

«Quant aux résultats, vous les avez vus, vous avez vu la manifestation éclatante des dispositions et des sentiments de la reine d'Angleterre, de son gouvernement, de son pays, pour le Roi et pour la dynastie de Juillet, pour la France elle-même, sa place et son rôle dans le monde, pour notre politique de paix et de conservation libérale. Vous avez vu tout cela, l'Europe l'a vu. Croyez-vous que ce spectacle ait été sans fruits pour nous ? Croyez-vous que la France se soit là, comme on dit, affaiblie ou abaissée? Allez le demander à qui vous voudrez en Europe, j'accepte d'avance la réponse.

Eh bien, ce que l'Europe a vu, ce que l'Europe a compris, la France elle-même l'a compris. J'ai vu le retour du Roi en France, j'ai vu comment il était partout accueilli; j'ai vu éclater partout un juste orgueil des hommages qu'il avait reçus, pour la France et pour lui, en Angleterre ; j'ai vu éclater partout une juste satisfaction de l'apaisement des difficultés suscitées entre les deux États, et de l'affermissement de la paix. On l'a oublié aujourd'hui, ou du moins on ne veut plus en parler; mais j'en appelle à vos plus récents souvenirs. Est-ce que l'inquiétude n'avait pas été grande et vive en France à raison de ces incidents? Est-ce que la satisfaction n'a pas été partout réelle et vive de voir les incidents terminés, et de les voir couronnés avec tant d'éclat et de succès par le voyage du Roi en Angleterre?»

Quant à la question du droit de visite, le gouvernement anglais était placé en présence d'un esprit national, avec lequel il lui fallait traiter. Abolir la traite, c'était la passion de l'Angleterre, et l'opinion générale des Anglais regardait le droit de visite comme le moyen le plus efficace pour réprimer la traite. Pour que le gouvernement pût changer ce qui existait, il fallait qu'il reconnut lui-même, qu'il fit reconnaître au Parlement, et par le Parlement au pays, qu'il y a des moyens de réprimer la traite autres que le droit de visite, moyens aussi efficaces, plus

efficaces, le droit de visite ayant évidemment perdu de son efficacité dans l'état actuel des faits et des esprits. Le premier, le plus grand pas à faire, c'était de décider le gouvernement anglais à chercher, de concert avec le ministère français, d'autres moyens de réprimer la traite; à constater que le droit de visite n'était pas le seul, et qu'il était devenu en grande partie inefficace. Ce pas avait été fait.

Résumant alors les questions diverses qu'avait eu à traiter le ministère, et les solutions qu'il leur avait données, M. Guizot terminait ainsi :

Messieurs, il y a loin de cette région haute et vraie à l'arène intérieure et confuse des prétentions, des agitations, des luttes de partis, de coteries, de personnes, à travers lesquelles on nous traine depuis un mois.

Dans laquelle de ces deux régions se placera la Chambre ? Tiendra-t-elle uniquement compte des intérêts publics grandement et librement considérés? donnera-t-elle raison au premier jugement public qui a éclaté, qui régnait il y a deux mois sur les faits que je viens de vous rappeler ? ou bien laissera-t-elle obscurcir sa vue et fausser son jugement par les nuages que les partis, les coteries, les intérêts personnels essayent d'élever autour de nous? C'est là la question que le débat actuel va décider. Nous la discuterons sous toutes ses faces, à mesure qu'elles vous apparaîtront. Mais j'ai voulu dès le premier moment la poser dans sa vérité et dans sa grandeur. La Chambre en décidera.» (21 janvier.)

Après quelques sages paroles de M. Béchard, qui cherchait en vain dans cette lutte d'ambitions, dans ces attaques de prétendants dépossédés, un programme clair, acceptable pour ceux qui désirent les intérêts de la France, M. Dupin prit la parole contre le projet d'Adresse. Le savant et spirituel orateur accusait le ministère d'imprévoyance et de faiblesse; et d'abord il s'élevait contre cette tactique qui consiste à couvrir ses fautes par le respect du système, à protéger un point faible par la considération de l'ensemble, à excuser tout par la passion de la paix, et à accuser toute opposition de vouloir la guerre. De parti de la guerre, il n'y en avait plus aujourd'hui. Il y en avait eu un au commencement de notre révolution, il s'était réveillé en 1840, il n'existait plus aujourd'hui, et on ne pouvait accuser l'orateur de vouloir la guerre, lui qui avait toujours demandé la paix

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