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cursions sur les côtes, et même, l'an dernier, ils s'étaient avancés jusqu'à la ville de Derbent qu'ils avaient bloquée pendant plusieurs jours.

Le général russe disposait de forces supérieures : son avant-garde seulement se composait de cinq bataillons, et deur autres corps d'armée combinaient leurs mouvements avec les siens.

L'avant-garde, après avoir battu Schamyl, le suivit en remontant le cours du Gador et gravissant la crête du Retcheld qui sépare l'Audy de l'Itschkery, jusqu'aux limites de la tribu des Tekhnom-Tsal. Schamyl avait fui, mais s'était arrêté à Dargo avec de nombreux combattants et se préparait à disputer chèrement le passage.

Dans le Daghestan méridional et sur la ligne lezghine, pendant que le principal corps expéditionnaire entrait dans le nord par les montagnes de Vnesapnaya et le fort de Tchirkey, le détachement du Samour, commandé par le général-major prince Argoutinsky-Dolgorouky, marchait de Kazykoumik dans la Daghestan central, et le détachement de la ligne lezghine, aux ordres du lieutenant général Schwartz, commençait son mouvement offensif, en partant de Bélokani. Les Circassiens, pour arrêter le mouvement simultané de ces deux corps, se portèrent, le 1er juin, sur le col du Maalras, qu'ils occupèrent et dont les repoussa la milice géorgienne sous les ordres du colonel Debou. Après sept heures d'un combat acharné, les montagnards furent repoussés, et leur principal chef, le naïb MahometAndjikoul-Makhmond-Ogli, resta au nombre des morts. Les pertes des Russes furent considérables.

Onze bataillons du détachement du Samour et 2,000 hommes de milice étaient réunis, le 5 juin, sur le torrent de Kara-Koïsson, sous les ordres du général-major prince ArgoutinskyDolgorouky, et de l'autre côté du torrent grossi par les pluies, se rassemblaient des masses nombreuses de Lezghis commandés par Kibil-Mohammet.

Après quelques jours passés à Audy, l'ordre fut donné, le

27 juillet, de se remettre en marche. La colonne d'expédition, y compris le corps auxiliaire des indigènes et 400 Cosaques, rencontra beaucoup de difficultés en traversant des terrains boisés et en escaladant des rochers escarpés; cependant le passage de la chaîne du Retcheld, qui sépare Audy et le pays de Goumbet d'Itschkery et de la Grande-Tschuetschnaia, fut occupé sans résistance.

Au delà des pentes septentrionales de cette montagne boisée se trouve Laul-Dargo, le but principal de cette expédition. Dargo était devenu, depuis la destruction d'Akulcho, un des refuges habituels de Schamyl; c'est là qu'on croyait qu'il avait amassé toutes ses provisions, armes, poudre et vivres. Il y avait aussi construit une mosquée fréquentée par les Auls éloignés du Daghestan et du Lezghistan, qui s'y rendaient pour faire leurs prières et pour donner au chef, qui est en même temps prètre et soldat, des renseignements sur la disposition du pays ou les mouvements des colonnes russes. Les partisans notables de Schamyl y demeuraient également. L'armée de Schamyl s'était recrutée dernièrement de renforts venus des Kistes, de Unguschesp, des Awares et même du Lezghistan.

Dargo n'était pas défendu, comme Akulcho, par des rochers à pic, mais bien par d'immenses et épaisses forêts qui en rendaient l'accès difficile de tous côtés. En 1842, le général Grabbe avait tenté d'en approcher du côté nord; mais cette entreprise avait échoué, et il y avait perdu son grade et sa réputation.

Lorsque l'avant-garde pénétra par des gorges réputées impraticables dans les forêts épaisses de l'Itschkery, l'ennemi commença de tous côtés l'attaque avec une grande vigueur. Les Circassiens avaient fait des barricades avec des rochers et des troncs d'arbres, ce qui retarda considérablement la marche des troupes. Derrière ces retranchements improvisés, ils frappaient à coup sûr et surtout les officiers, bien que ceuxci ne portassent pas les insignes de leur grade et eussent endossé l'uniforme de simple soldat. Le canon ne pouvait rien contre ces barricades: il fallait les enlever à a baionnette. A ce

moment décisif, les compagnies géorgiennes et la milice du Caucase lâchèrent pied; il fallut les remplacer par d'autres bataillons. Le commandant en chef fit alors partir le général Labinzoff avec cinq bataillons et toute la cavalerie de la milice circassienne, pour chasser l'ennemi de sa position et lui enlever ses canons. Les tirailleurs russes escaladèrent la montagne, et furent d'abord mis en fuite. Enfin les hauteurs furent emportées à la baïonnette; mais les canons ennemis avaient disparu dans l'épaisseur de la forêt.

Rien n'était fait encore, et déjà les pertes étaient im

menses.

La prise de Dargo avait été achetée par d'énormes sacrifices en officiers et en soldats. Il devint nécessaire d'évacuer le pays. L'armée russe s'y trouvait cernée par une insurrection générale, et un grand convoi de vivres qui devait la ravitailler avait été attaqué et pris par les montagnards, malgré les forces qui l'escortaient.

La retraite fut désastreuse. Le principal corps d'armée se retira par la droite, vers Grosnaïa, sur la Sundja, affluent du Terek. Le seul résultat positif de la campagne fut un essai d'installation d'une route militaire allant de la ligne du bas Terek à Dargo et au cœur des montagnes habitées par les Circassiens, sur une longueur de quatre journées de marche. Le plan était de prolonger ce système d'occupation jusqu'à Wladi-Caucase, et par ce moyen de dominer les Tchetchens et les Kabardiens insoumis, en même temps qu'on isolait les Lezghis des Tcherkesses. Cette route militaire, l'armée russe se vit forcée de l'abandonner.

Le rapport sur la prise de Dargo, publié à Saint-Pétersbourg, le 4 août, annonçait des rapports ultérieurs qui ne parurent pas. La campagne avait été définitivement manquée, et, bien que le général comte de Woronzoff échappât à la disgrace qui attend ordinairement l'insuccès, bien qu'on cherchât à faire croire, par des félicitations adressées aux troupes et au général en chef, que le but de l'expédition avait été atteint, il n'en resta

pas moins établi que d'énormes dépenses en hommes et en argent avaient été faites pour s'emparer de quelques cabanes qu'on avait du abandonner immédiatement.

L'histoire des relations extérieures de la Russie ne fournit d'autre incident remarquable que la visite solennelle faite à Sa Sainteté le pape Grégoire XVI par Sa Majesté l'empereur de Russie. Cette entrevue, dont le prétexte apparent avait été la santé de l'impératrice, venue pour se rétablir à Palerme, faisait naître l'espoir que bientôt pourraient s'aplanir, entre les cours de Rome et de Saint-Pétersbourg, les difficultés survenues par suite des persécutions subies par les Polonais, que le gouvernement russe cherche à ramener à la religion orthodoxe.

TURQUIE.

CHAPITRE V.

- Hatti-cherif sur les réformes à opérer dans l'empire. — Organisation de l'instruction publique. — Enquête sur l'état du pays. - Modifications ministérielles. Révolte en Albanie. État du Liban. Armistice. - Désar

Conférence de Beyrouth. Cruautés des Druses. mement. Nomination de vékils.

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Diplomatie européenne. - Situa

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Le gouvernement de la Porte Ottomane est, on le sait, peu avancé dans son éducation politique; toutefois il faut lui tenir compte de ses efforts, et le hatti-cherif suivant prouva, au commencement de l'année, que le sultan ne craignait pas lui-même d'engager son pouvoir dans la responsabilité des moyens que ses ministres emploieraient dans l'intérêt général.

Voici le texte même de ce curieux document:

« Mon fidèle vizir,

« Les différents hatti-cherifs que j'ai rendus depuis mon avénement au trône avaient pour unique but d'assurer le repos et le bien-être de mes sujets, et de consolider par ce moyen la religion et l'empire. Tout le monde doit savoir que c'est mon unique vœu et l'objet de ma sollicitude constante. On ne peut pas nier non plus que de grands efforts n'aient été faits pour atteindre ce but ; cependant, soit que la base ait été mal assise, soit que tous les obstacles n'aient pas été prévus, jusqu'à présent tous ces efforts sont demeurés en partie stériles, et la réorganisation militaire seule a été couronnée d'un succes complet. Grâce à Dieu, les bons résultats de cette réforme se font chaque jour de plus en plus sentir; mais comme l'entretien et la consolidation d'un état militaire en harmonie avec les besoins de l'empire reposent nécessairement sur la prsopérité et l'aisance de toutes les classes de nos sujets, il en résulte que cette réforme elle-même n'est pas encore solidement assise. J'en éprouve un vif regret, et je m'en préoccupe jour et nuit.

« Plus d'une fois et à diverses reprises, j'ai manifesté clairement mes sentiments et expliqué mes intentions aux ministres actuels, et je n'ai rien négligé

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