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CHAPITRE VII.

RELATIONS EXTÉRIEURES. Négociations pour l'abolition du droit de visite. Nomination d'une commission mixte. Conclusion d'un traité nouveau. - Affaire de Portendick. Conclusion. Vexations subies par les commerçants français et anglais à Tamatave. - Négociations. — Expédition anglo-française. Attaque du port de Tamatave. Résultat naval. Insultes faites au représentant de la France au Mexique. — Demande de réparation. — Complications nouvelles.

Affaires de la Plata.
Blocus de Buenos-

Expédition

Négociations sans résultats.-- Prise de Colonia, Ayres. Prises de Paysandru, de Loriano et de Mercedes. anglo-française dans le Parana. - Combat de l'Obligado. — Traité de commerce et de navigation conclu avec le gouvernement des Deux-Siciles. Traité d'extradition mutuelle avec le même pays. · Convention conclue avec l'iman de Mascate.

On se rappelle l'émotion produite en France par la seule annonce d'une extension du droit de visite. Les violences exercées contre notre marine marchande, par les officiers de la marine royale anglaise, avaient justement soulevé l'orgueil national, et le droit de visite lui-même était devenu odieux par suite des abus auxquels avait donné lieu son exercice.

En 1843 et en 1844, la Chambre des députés avait exprimé à l'unanimité le vœu de voir replacer notre commerce sous la surveillance exclusive de notre pavillon.

M. le ministre des affaires étrangères, bien que cette émotion ne lui parût pas très-sérieuse, reconnut cependant qu'il était bon de la satisfaire, et s'engagea à négocier avec le gouvernement anglais l'abolition du droit de visite. Il y avait sans doute quelque difficulté à proposer à un gouvernement étranger l'abolition de traités consentis de part et d'autre, sans donner d'autre raison de cet acte que l'irritation bien ou mal fondée du sentiment national en France. Quoi qu'il en soit, plus que tout autre, M. Guizot était capable d'obtenir de la Grande-Bretagne

une concession semblable. Il représenta au gouvernement anglais la nécessité de chercher, pour atteindre le but commun, la répression de la traite, des moyens autres que le droit de visite, devenu inefficace en même temps que compromettant pour les rapports des deux pays (1).

Le gouvernement anglais comprit cette situation, et des commissions mixtes furent chargées de chercher en commun, pour la répression de la traite, des moyens nouveaux aussi efficaces et moins dangereux que le droit de visite. M. le duc de Broglie, du côté de la France, et M. le docteur Lushington, du côté de la Grande-Bretagne, reçurent cette mission. Le principe qu'il s'agissait de sauvegarder, la répression de la traite, ne pouvait trouver de champions plus intelligents et plus convaincus.

Abolitioniste ardent, M. Lushington était un des membres de la Chambre des communes qui avaient réussi à faire triompher ce principe, que le sucre provenant du travail non libre ne peut être consommé sur les marchés anglais.

Quant à M. le duc de Broglie, tout le monde sait ses opinions sur l'esclavage: c'est cette question qui a fait en grande partie son étude et sa gloire politique.

Les négociations ne tardèrent pas à aboutir à un traité, qui fut signé le 29 mai.

Le traité du 29 mai se composait de 11 articles, et toutes les stipulations en avaient été conclues avec égalité.

Par l'article 1o, le roi des Français et la reine de la GrandeBretagne s'engageaient à établir sur la côte occidentale d'Afrique, chacun une force navale de vingt-six bâtiments, tant à voiles qu'à vapeur.

L'article 2 stipulait que les deux escadres agiraient de concert. Elles continueraient à exercer, comme par le passé, les pouvoirs dont les deux couronnes étaient en possession sur les

(1) Paroles de M. Guizot prononcées à la Chambre des pairs dans la discussion de l'Adresse.

bâtiments portant pavillon des autres pays dont les gouvernenements ont conclu, avec l'une ou l'autre des deux cours, des traités sur le principe du droit de visite. Les pays qui ont avec la France des traités de cette nature sont la Sardaigne, la Toscane, les Deux-Siciles, la Suède, le Danemark et les villes anséatiques.

Les articles 3, 4, 5 et 6 concernaient les traités à négocier avec les chefs indigènes de la côte, pour la suppression du commerce des esclaves.

Par l'article 7, il était dit que dans les trois mois qui suivraient la mise à exécution du traité, l'exercice du droit de visite cesserait de part et d'autre.

Le simple fait d'arborer un pavillon ne prouvant pas la nationalité d'un bâtiment, et comme le droit des gens autorise tout vaisseau de guerre, de quelque nation qu'il soit, à saisir un vaisseau suspect de piraterie, des instructions spéciales sur ce point seraient, en vertu de l'article 8, données aux commandants des deux nations.

Par l'article 9, les deux hautes parties contractantes s'engageaient à interdire tout trafic d'esclaves dans leurs colonies présentes ou à venir.

Ce traité était conclu pour dix ans. Dans le courant de la cinquième année, disait l'article 10, les deux hautes parties contractantes décideraient de concert si elles doivent le continuer, l'abroger ou le modifier. Si, à la fin de la dixième année, les conventions antérieures, c'est-à-dire les traités de 1831 et 1833, autorisant le droit de visite réciproque, n'avaient pas été remises en vigueur, elles seraient considérées comme abrogées.

Des instructions particulières réglaient, on l'a vu, les cas d'arrestation des navires suspects de piraterie. Elles recommandaient la plus grande loyauté et la plus grande discrétion dans l'exercice d'un droit qui pouvait facilement dégénérer en abus. La législation française ne considère pas, il est vrai, comme un acte de piraterie le simple fait d'aborer un faux pavillon; mais cet acte

frauduleux étant contraire au droit des gens, et l'impunité devant rendre la croisière tout à fait inutile, les commandants des croiseurs français étaient autorisés, quand ils auraient de justes motifs de soupçonner une fraude de cette nature, de vérifier la nationalité du navire suspect. En ce cas, si le bâtiment se trouvait être français ou soumis à la surveillance de la France, en vertu de traités, et convaincu de faire la traite, il devrait être arrêté; si au contraire il justifiait la vérité de son pavillon, il devrait être relâché, sauf à ce qu'avis fût donné aux croiseurs qui avaient le droit de l'arrèter. Les commandants des croiseurs français devraient toujours se rappeler que dans cette opération ils agiraient à leurs risques et périls, et que les navires lésés auraient droit à une indemnité.

On se rappelle l'affaire de Portendick, soumise depuis quelques années à l'arbitrage de S. M. le roi de Prusse. Cette affaire était enfin arrivée à une conclusion. La loi des crédits extraordinaires et supplémentaires de cette année portait demande d'une somme de 44,000 fr. pour règlement, selon l'arbitrage, des contestations survenues sur la côte du Sénégal entre la France et l'Angleterre. Ce nous sera une occasion d'exposer les faits d'une manière complète.

En 1834, la France était en guerre, au Sénégal, avec la tribu des Trarzas. Pensant que la résistance prolongée de cette tribu tenait à des fournitures de munitions faites par les Anglais, le gouverneur de nos établissements fit brusquement expulser, au mois de juillet, de la baie de Portendick, deux navires anglais, et sous prétexte qu'ils n'avaient pas le droit d'y commercer à l'ancre, ils furent conduits, l'un à Saint-Louis, l'autre à Gorée. La cargaison d'un troisième navire, mise à terre avant cette expulsion, fut pillée par les Maures. Les représentations faites à ce sujet par le gouverneur anglais de la Gambie ne furent point écoutées. Néanmoins notre gouverneur, ayant référé des dispositions qu'il avait prises au ministre de la marine, laissa, en attendant sa réponse, les navires anglais reprendre leurs

opérations de commerce, et des expéditions furent faites d'Angleterre.

Mais, en janvier 1835, sur un ordre ministériel dont on jugea à propos de ne pas donner connaissance directe ad gouvernement anglais, le blocus fut établi devant Portendick, et, dans l'ignorance de cette circonstance, des expéditions nouvelles furent faites de Londres. Malgré les protestations des gouverneurs anglais de la Gambie et de Sierra-Leone, à qui la mesure fut notifiée, deux de nos bâtiments de flottille expulsèrent le navire anglais l'Elisa, sans même lui laisser prendre sur le rivage le reste de son chargement. Le blocus ne fut levé que le 14 août 1835.

Les discussions nées de ces circonstances passèrent bientôt des colonies dans les métropoles. Il y avait à prononcer sur les nombreuses demandes d'indemnités formées par le gouvernement anglais au nom des négociants lésés par les mesures dont il vient d'être question. Des notes furent échangées entre les cabinets de Londres et de Paris; des commissaires furent nommés pour traiter l'affaire. Enfin, dans l'impossibilité de s'entendre directement, l'arbitrage sur les réclamations élevées par les sujets de S. M. Britannique, à l'occasion des mesures adoptées par la France en 1834 et en 1835 sur la côte de Portendick, fut déféré, par une convention du 14 novembre 1842, à S. M. le roi de Prusse, les deux gouvernements s'engageant réciproquement à accepter la décision arbitrale avec toutes ses conséquences (voy. aux Documents historiques le texte de cette convention).

Les réclamations du gouvernement anglais, portées d'abord à 2,224,761 fr., furent réduites par lui-même à 1,903,608 fr. 80 c.

Le haut arbitre choisi par les deux puissances ne les admit que pour 41,770 fr. 89 c., auxquels il fallait ajouter les intérêts échus entre la date de la sentence et celle du payement. La commission des crédits supplémentaires et extraordinaires, tout en acceptant sans réserve la dette constituée par la sentence

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