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les hospices; il faut l'attribuer surtout à un excès de dépravation dans certaines classes, et à la promiscuité des deux sexes dans les manufactures, qui se multiplient tant. Le nombre des viols et attentats à la pudeur sur des adultes, qui était de 188 en 4857, a été en 1858 de 238; et celui des mêmes crimes sur des enfants, avec ou sans violence, s'élève en une année à 784, nombre qui sera même dépassé en 1860, si l'on en juge d'après les rôles des dernières sessions d'assises 7. Enfin, les délits divers contre les mœurs présentent les résultats suivants : en 1854, 2005 affaires, 2827 prévenus; en 1855, 2067 affaires, 2801 prévenus; en 1856, 2358 affaires, 3176 prévenus; en 1857, 2591 affaires, 3585 prévenus; en 1858, 3164 affaires, 4332 prévenus. Quelle progression, et combien elle est alarmante! Pour arrêter un pareil débordement, il faudrait des moyens énergiques, mais avant tout ceux qui contribueraient le plus à la moralisation des individus. L'énergie dans la répression n'est pas ce qui fait défaut : car les magistrats et les jurés eux-mêmes sont justement sévères contre de pareilles infamies; car ils sont secondés par la jurisprudence, qui adopte presque toujours l'interprétation la plus rigoureuse lorsqu'il se présente un cas nouveau pour lequel il faille interroger la loi pénale.

Les crimes que nous voyons se multiplier sont précisément ceux dont la constatation, nécessaire même pour la poursuite, se fait le plus difficilement, et dont la preuve complète rencontre aussi le plus d'obstacles devant le jury et les magistrats. Pour la banqueroute frauduleuse, il faut qu'une faillite éclate, que les syndics se livrent à des investigations suivies et sévères, qu'un expert scrute toutes les écritures et éclaire la situation par son rapport, que l'accusation détruise des moyens de défense divers et que le juge résolve les questions ardues qui s'élèvent, notamment sur la complicité : la jurisprudence s'efforce de trancher ces difficultés, en combinant les dispositions de la loi sur les faillites et banqueroutes avec celles du Code d'instruction et celles du Code pénal, en décidant par exemple que les jugements consulaires et les opérations de faillite laissent entiers les pouvoirs de la justice répressive et du jury pour la constatation de tous les éléments constitutifs du crime, y cọmpris la qualité de commerçant et l'état de faillite; que le détournement et la fraude s'apprécient souverainement par les chambres d'accusation et par le jury; que l'acquittement du failli n'empêche pas de condamner le complice déclaré coupable; que la complicité punissable peut exister, soit selon la loi spéciale, soit aussi selon l'art. 60 C. pén. 8. Les accusations de faux en écriture, soit publique, soit de commerce, soit privée,

7. «Attentats à la pudeur, avec ou sans violence, sur des enfants. Il en a été jugé 784 en 1858, au lieu de 617 en 1857, de 650 en 1856... L'augmentation extraordinaire de cette espèce de crimes pendant une période de 33 ans, qui a vu diminuer presque tous les autres crimes contre les personnes et les propriétés, ne saurait être attribuée qu'à un progrès bien affligeant dans la dépravation des mœurs. » (Ibid.)

8. C. Cass., 9 fév. 1855, 19 sept. 1856, 25 juin 1857, 22 avril 1858, 19 fév. et 19 nov. 1859 (J. cr., art. 5913, 6281, 6438, 6669, 6861 et 6958).

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ont aussi besoin de vérifications délicates, qui sont presque toujours contredites, et elles rencontrent des objections diverses, pour la qualification notamment la jurisprudence est d'autant plus sévère et progressive, que le génie du mal invente chaque jour de nouvelles combinaisons frauduleuses, et qu'il y a nécessité d'empêcher qu'on ne voie dans la loi pénale des lacunes qui le laisseraient agir impunément; aussi restreint-elle constamment les conditions élémentaires du crime, de manière à pouvoir trouver les éléments essentiels dans toute altération frauduleuse et préjudiciable de la vérité 9.

C'est surtout dans les accusations d'infanticide, de viol et d'attentat à la pudeur qu'il y a de grands embarras pour la preuve. Une expertise par des hommes de l'art est indispensable, en général; le magistrat qui la requiert ou ordonne n'est pas toujours en mesure de formuler exactement les faits ou circonstances à vérifier; les médecins n'ont pas tous l'aptitude spéciale nécessaire pour cette expertise médico-légale; le rapport du médecin-expert n'est pas toujours concluant et précis, à suffire: de là, trop souvent, des causes d'hésitation qui entravent ou paralysent la répression. Cet état de choses doit faire encourager l'étude de la médecine légale, non-seulement par les hommes de l'art, mais même par les magistrats qui ont à diriger ou apprécier les expertises en cette matière. Un livre sur ce sujet délicat vient d'être publié par un médecin légiste 10: il pourra être consulté avec fruit par tous ceux qui participent à l'administration de la justice criminelle.

Selon la jurisprudence sur l'infanticide, ce crime capital existe toutes les fois qu'il y a eu meurtre d'un enfant pouvant être réputé nouveauné; si la circonstance que l'enfant était déjà inscrit sur les registres de l'état civil ou avait un certain nombre de jours d'existence exclut la qualification de nouveau-né et celle d'infanticide, l'accusation de meurtre simple n'en a pas moins une base légale, elle peut même être érigée en accusation d'assassinat au moyen de l'imputation d'une préméditation, soit antérieure, soit postérieure à la naissance; le crime d'infanticide, de même que celui de meurtre et celui d'assassinat, peut être imputé, soit à la mère seule, soit à elle et à un tiers conjointement, et chacun d'eux peut être accusé comme auteur principal ou coauteur, ou bien comme complice de l'autre par provocation ou par aide et assistance; l'acquittement de la mère, qui est souvent dans les tendances du jury, n'empêche ni de condamner le coauteur ou complice, ni de poursuivre correctionnellement cette femme ou fille sous la prévention d'homicide involontaire par négligence ou imprudence, même en reprenant avec changement de qualification les faits qui motivaient l'accusation écartée; cette prévention peut être réservée dans l'arrêt de renvoi, de ma

9. Voy. les solutions indiquées aux tables de notre Journal, vo Faux, et nos dissertations dernières, J. cr., art. 5949, 6987 et 7094.

10. De l'intervention des médecins légistes, par le docteur Penard, membre du conseil central d'hygiène et de salubrité du département de Seine-et-Oise. 1 vol. in-8°.

nière qu'il n'y ait pas à la soumettre subsidiairement au jury, ou bien elle pourra surgir après l'acquittement prononcé sur l'accusation seule 11. Au moyen de toutes ces solutions et d'une procédure calculée, la justice répressive peut atteindre sûrement les coupables, avec toute la rigueur nécessaire contre ceux qui sont sans éxcuse, et avec une sévérité tempérée contre la mère qui paraîtrait être moins coupable que malheureuse.

Pour le viol, la jurisprudence n'exige pas qu'il y ait eu violence, ou résistance vaincue : elle considère que la surprise, qui est un moyen d'abuser d'une personne du sexe contre sa volonté, doit être punie comme la violence physique ou morale, sauf appréciation de la culpabilité par le jury 12. Pour l'attentat à la pudeur, la jurisprudence admet que le crime existe encore bien qu'il y eût plutôt brutalité que lubricité; qu'il peut se trouver même dans certaines violences d'un mari envers sa femme, surtout si ce sont des actes contre nature; que la tentative, qui est punissable comme le crime consommé, n'a pas besoin des conditions exigées en général par l'art. 2 C. pén. ; qu'enfin il n'est pas nécessaire que l'acte impudique ait été commis sur la personne même de l'enfant pris pour instrument, parce que toute souillure constitue l'attentat à la pudeur qui est prévu par l'art. 331 C. pén. revisé 13. De plus, l'art. 333 ayant établi pour l'un et l'autre de ces crimes des circonstances aggravantes qui ne sont qu'imparfaitement spécifiées, quoique l'aggravation de peine aille jusqu'aux travaux forcés à perpétuité, la jurisprudence trouve la qualité ou l'autorité qui ont motivé la disposition aggravante dans des situations ou circonstances diverses, sans exiger même qu'il soit constaté que c'est en abusant du titre ou pouvoir que l'attentat a eu lieu, solutions qui vont parfois trop loin pour que la doctrine puisse les accepter 14.

Les sévérités de la justice répressive et, pour les cas douteux, de la jurisprudence interprétative elle-même, atteignent aussi tous les faits qui peuvent être réputés délits d'attentat aux mœurs. Par exemple, tout outrage à la pudeur, qui n'a point été érigé en crime par la loi pénale ou que le ministère public n'a pu faire punir en cour d'assises, est réputé constituer le délit prévu par l'art. 330 C. pén., dès qu'il y a publicité quelconque, effective ou seulement possible à raison du lieu, condition que la jurisprudence trouve dans des circonstances où elle

11. Voy. arr. 31 décemb. 1835, avril 1837, 22 juill. 1847, 9 juin 1854, 13 mars 1856 et 14 fév. 1860 (J. cr., art. 1685, 1902, 4161, 5770, 5988, 6137, 6167 et 7040).

12. Arr. 25 juin 1857, 17 août 1857 et 31 décemb. 1858 (J. cr., art. 6439, 6484 et 6811). Voy. aussi le compte-rendu d'une poursuite pour tentative, qui n'a abouti qu'à un acquittement (Gaz. des trib., nov. 1860).

13. Arr. 7 oct. 1852, 18 mai 1854, 23 déc. 1859 et 27 sept. 1860 (J. cr., art. 5542, 5752, 7018 et 7141).

14. Arr. 20 janv. 1853, 30 août 1855, 11 déc. 1856, 27 août 1857, 21 janv. 1858, 12 août 1859 et 27 nov. 1860 (J. cr., art. 5483, 6025, 6278, 6332, 6502, 6593, 6931 et 7145).

est fort douteuse 15. Quant au délit prévu par l'art. 334, qui fait l'objet chaque année d'un grand nombre de poursuites et de discussions, il est reconnu dans toutes les excitations où le coupable peut paraître un agent intermédiaire de débauche, la jurisprudence ne refuse d'admettre son existence que lorsqu'il est incontestable que l'action impudique a eu seulement pour cause et résultat pa satisfaction des sens 16. Le délit qui soulève le plus de difficultés est l'adultère, cette grave infraction aux devoirs conjugaux devenue si fréquente et dont la répression rencontre tant d'entraves. Ce qu'on doit surtout remarquer, c'est que, outre les poursuites en police correctionnelle, où il ne peut plus guère se présenter de questions qui n'aient été déjà résolues, il y a aujourd'hui beaucoup de demandes en séparation de corps qui appellent les tribunaux civils à exercer l'attribution répressive que leur a conférée l'art. 308 C. Nap., ce qui soulève des questions nouvelles sur lesquelles ces tribunaux sont loin d'être d'accord entre eux et avec la jurisprudence des tribunaux de répression ordinaires. Nous résumerons ici les solutions récentes.

L'adultère, puni par nos lois comme attentat aux mœurs, et dont la répression importe à l'état social, n'est point un délit privé, par cela seul qu'il y a des règles tout à fait spéciales, lesquelles concernent particulièrement la poursuite 17. Le délit de la femme, le plus grave par le fait et les résultats, est punissable en quelque lieu qu'il ait été commis, et imputable au complice quel qu'il soit, sauf preuve contre lui selon la règle spéciale 18. Celui du mari, résultant de l'entretien d'une concubine dans la maison conjugale, existe quand il a vécu plus ou moins de temps avec une femme autre que la sienne, dans un lieu où celle-ci avait droit de se faire recevoir par lui 19. La concubine ne peutelle pas être punie comme complice, qu'elle soit ou non mariée et quoique son mari ne l'ait pas dénoncée ? C'est la doctrine qui prévaut en France, contrairement à la jurisprudence belge 20.- La poursuite ayant des règles exceptionnelles, le mari de la femme adultère peut provoquer et empêcher ou arrêter l'exercice de l'action publique; son désistement, de même que la réconciliation prouvée par voie d'exception, fait tomber avec la poursuite le jugement déjà rendu, alors même que l'appel n'aurait été déclaré que par le complice, qui ne saurait être condamné pour un délit que le désistement du mari empêche de prou

15. Arr. 23 fév. 1856, 18 mars et 23 déc. 1858, 7 avril et 8 août 1859 (J. cr., art. 6141, 6661, 6796, 6834 et 6893).

16. Arr. 27 avril 1854, 21 avril et 23 août 1855, 10 janv. et 13 nov. 1856, 7 juill. 1859 et 10 nov. 1860 (J. cr., art. 5738, 5917, 6033, 6188,6329 et 6859). 17. Voy. Rép. cr., vo Adultère, nos 13-17, et arrêts divers.

18. C. Cass., 24 mai et 13 déc. 1851; Bruxelles, 12 août 1859 (J. cr., art. 5314).

19. Voy. arr. 21 déc. 1818, 27 janv. 1819, 9 mai 1821, 14 oct. 1830, 28 juill. et 11 nov. 1858, et 28 nov. 1859 (J. cr., art. 6685 et 6788).

20. C. Cass., 16 nov. 1855; Angers, 4 fév. 1856; Limoges, 1er déc. 1859; Bruxelles, 10 mai 1860 (J. cr., art. 6070, 6123 et 7033).

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ver 21. Alors, les dépens doivent-ils être mis à la charge du mari, selon la règle ordinaire sur les désistements, ou bien peut-on les imposer aux prévenus, parce que le désistement ne serait qu'une forme de pardon? La première solution paraît préférable en doctrine, mais l'autre a été admise par deux arrêts 22.

Lorsque le mari demande aux tribunaux civils la séparation de corps pour adultère de sa femme, il y a l'équivalent d'une dénonciation au ministère public; le juge civil accueillant la demande est autorisé par le Code Napoléon à infliger à la femme la peine de son délit prouvé, mais c'est une attribution répressive dont l'exercice doit laisser à la défense ses droits et garanties 23. Si le mari n'a abandonné sa plainte ou dénonciation que pour agir lui-même en saisissant le tribunal civil, ce désistement n'empêche pas le ministère public de requérir et le tribunal de prononcer la condamnation autorisée par l'art. 308 C. Nap. 21. La prescription de trois ans n'est-elle pas opposable devant la juridiction civile elle-même ? On l'a mis en doute, mais l'affirmative prévaut avec raison 25. Quoique le mari ait été condamné correctionnellement pour entretien d'une concubine dans la maison conjugale, il peut demander la séparation de corps contre sa femme adultère; l'indignité établie par la loi pénale est-elle opposable devant le juge civil, de telle sorte que la femme ne pourrait être condamnée à la peine de son délit ? C'est la doctrine de plusieurs auteurs, mais elle est constamment repoussée par la Cour de Paris 26. Quand la séparation de corps a été prononcée contre le mari pour avoir introduit une fille publique dans le domicile conjugal, il est non recevable à dénoncer l'adultère de sa femme, et il ne peut plus saisír utilement le tribunal civil, alors même que cet adultère serait postérieur de plusieurs années au fait qui motivait la séparation, à moins qu'il n'y eût eu dans l'intervalle une réconciliation effaçant ou voilant toute faute antérieure 27. Lorsque la femme est détenue en vertu d'un mandat de dépôt pour adultère dénoncé, si le tribunal saisi d'une demande en séparation de corps condamne la femme à l'emprisonnement, le juge d'instruction peut se dessaisir, surtout si le maximum de la peine a été atteint; mais l'appel du jugement de condamnation est suspensif, et la femme peut demander sa liberté provisoire sous caution quel sera le juge compétent? Il a été décidé que le juge d'instruction n'avait plus pouvoir, que le mandat de dépôt subsistait, que le tribunal civil ne pouvait ni le lever ni accorder la

21. Grenoble, 17 janv. 1850; Rej. 8 mars 1850; Pau, 1er oct. 1860 (J. cr., art. 4824 et 7113).

22. Montpellier, 25 mai 1835; Poitiers, 23 fév. 1860.

23. Voy. notre dissertation spéciale (J. cr., art. 6576).

24. Trib. de Chartres, 11 juin 1859; C. de Paris, 26 janv. 1860 (J. cr. art. 6976).

25. Idem. Besançon, 20 fév. 1860 (J. cr., art. 7028).

26. Paris, 24 mai 1834, 31 août 1841 et 9 juin 1860 (J. cr., art. 7049).
27. Montpellier, 17 juill. 1860.

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