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principal artisan furent présentées et votées en vue de l'aménagement des grands ports maritimes de Marseille, Bordeaux, le Havre, Boulogne, Dunkerque et Rouen. En même temps, des travaux de particulière importance étaient entrepris pour l'amélioration des voies navigables, notamment du canal du Nord et du canal de Marseille au Rhône. Pendant cette période, Charguéraud prit aussi une grande part à l'étude du projet de révision de la loi de 1810 sur les mines, à l'élaboration du projet de loi sur l'autonomie des ports ; c'est à lui que revient également l'honneur de l'idée première des organismes dont la valeur devait tellement s'accroître, l'Office national du Tourisme et l'Office national de la Navigation.

Si Charguéraud se montrait à la tête de son service avec toutes ses rares qualités, il s'imposait de même au sein du Conseil d'État comme Conseiller en service extraordinaire, et y acquérait, au plus grand bénéfice des intérêts dont il avait la charge, une rare autorité ; c'est qu'il y faisait preuve, outre sa compétence, d'un esprit si clair, si précis, de connaissances juridiques si averties, qu'il entraînait les convictions, d'autant plus qu'il était servi par une mémoire sans défaillance, et qu'il usait d'une éloquence à laquelle on ne pouvait résister; et déjà l'autorité de Charguéraud dépassait la France et commençait à rayonner à l'étranger.

C'est en 1912, quand je me suis rendu au Congrès international de navigation, où il était Président de la délégation française, que je fus frappé de l'influence qu'il avait acquise et de cette autorité due à son caractère, à sa courtoisie en même temps qu'à ses qualités intellectuelles et à la justesse de son esprit appuyée sur une lucide expérience. Je suis encore sous l'impression du discours délicieux qu'il prononça à Ottawa, lors d'un banquet offert à l'hôtel du Château Laurier, et au cours duquel Wilfrid Laurier remercia le représentant de la France de si bien exprimer le sentiment des deux peuples qui n'en faisaient qu'un. Il semble vraiment que Charguéraud avait pressenti que les deux grandes nations allaient s'unir bientôt dans des heures d'épreuve et de lutte, pendant lesquelles lui-même allait jouer un rôle digne de ses grands moyens et de son haut patriotisme.

Lorsque ces heures vinrent, elles furent en effet une occasion pour Charguéraud de montrer qu'aucune circonstance ne le dépassait. On se trouvait pourtant en présence de problèmes

imprévus, pour lesquels des solutions nouvelles étaient à trouver, en particulier pour ce qui concernait les voies navigables qu'il fallait adapter à des services inattendus, en vainquant des difficultés considérables.

Tout en conservant ses fonctions civiles, Charguéraud remplit alors, et avec quelles ressources d'ingéniosité, les fonctions importantes de Commissaire technique des Routes, de la Navigation et des Ports, puis celles de Chef du service de l'Exploitation militaire des Voies navigables et des Ports maritimes, lorsque le service des Routes militaires fut séparé du service de la Navigation et des Ports.

J'eus alors le grand honneur d'être sous ses ordres comme adjoint à cette exploitation, et je fus ainsi à même d'apprécier pleinement toutes les qualités de ce cerveau d'élite, qui permirent de créer en pleine guerre une organisation assez souple pour s'adapter aux exigences d'un trafic commercial qu'il fallait maintenir pour assurer la vie économique, tout en sauvegardant les droits supérieurs de la défense nationale. Ainsi, et grâce à ce grand serviteur du pays, la voie d'eau contribua au succès de nos armes et Charguéraud, une fois de plus, mérita bien de la Patrie.

Mais les heures nouvelles qui allaient suivre, si elles étaient moins périlleuses, n'étaient pas moins difficiles et Charguéraud se trouva prêt encore à prendre sa part de responsabilité et à continuer une œuvre qui allait toujours en s'élargissant. C'est lui d'abord que, pour résoudre les questions que la fin des hostilités devaient amener, mon éminent et regretté prédécesseur M. Claveille, chargea d'organiser le Conseil supérieur des Travaux publics; en 1917, il en fut le premier Vice-Président, fonctions auxquelles un an et demi après s'ajoutèrent celles de Vice-Président du Conseil général des Ponts et Chaussées. Sous sa haute et vibrante impulsion, le Conseil supérieur des Travaux publics étudia des questions considérables et formula des propositions qui restent la base des études ultérieures sur les mêmes sujets. Les rapports qui furent rédigés seront toujours consultés lorsque les heures d'exécution viendront et ainsi l'œuvre du Conseil supérieur des Travaux publics dont Charguéraud fut le véritable inspirateur restera comme une des plus utiles à la prospérité nationale.

Bientôt encore une besogne nouvelle allait nécessiter de hautes

valeurs. La victoire de nos armes amenait la rédaction d'un traité de paix dont les clauses devaient être discutées et établies par des hommes dont la compétence devait égaler le patriotisme, et capables par leur autorité morale et leur valeur de faire triompher les droits de la France. De nouveau, en présence de problèmes élargis, Charguéraud allait donner sa mesure toujours agrandie. C'est ainsi qu'il prit une part des plus actives aux travaux de la Conférence de la Paix, étudiant les questions relatives au transit, aux communications, aux ports maritimes, aux voies navigables, donnant chaque jour des preuves nouvelles de son habileté, mise au service de l'intérêt supérieur du pays; la solidité des clauses à la rédaction desquelles il participa fait que son œuvre restera parmi les plus inébranlables et les plus fécondes du traité. Son autorité morale s'accrut sans cesse. Elle le désigna tout naturellement comme représentant de la France à la Commission du Rhin qu'il devait présider, en même temps qu'il représenta notre pays aux commissions internationales de l'Elbe, de l'Oder et du Danube, et qu'il fut délégué à la Commission des Communications et du Transit à la Société des Nations.

Ainsi, peu à peu, et uniquement parce qu'à chaque circonstance nouvelle Charguéraud répondait aux besoins du pays, il fut amené à se consacrer aux affaires internationales, et c'est le monde entier qui fut appelé à rendre hommage à cette valeur toujours employée pleinement, sans restriction, pour le bien de la nation.

Si le rôle de Charguéraud s'accrut sans cesse, trouvant toujours en ses qualités intellectuelles et morales de hautes justifications, quelque chose pourtant restait immuable en lui. Ce fut sa modestie, cette parure de ses vertus civiques, ce fut sa simplicité, tout illuminée par sa notion du devoir; ce fut enfin son désintéressement, son dédain des profits qui restera comme un de ces phares vers lequel l'humanité, en proie trop souvent à la lutte des intérêts, doit s'orienter parfois pour retrouver la bonne route. Ah! comme Charguéraud fut bien le symbole de ces ingénieurs de France, si nombreux pour l'honneur de notre pays, et pour qui la suprême récompense consiste dans le bon exercice des fonctions dont la nation les charge, et quelle vénération ils garderont pour le souvenir du camarade, si accueillant, si bon, qui les représenta avec tant de lustre. Je sais quelle émotion a saisi tous ceux qui connaissaient Charguéraud à l'annonce de sa mort

prématurée. On songe avec douleur qu'est disparue à jamais cette physionomie si fine, toujours si irradiante de lumière intérieure, et qui joignait au charme très français et à la distinction de son esprit la plus absolue rectitude de vie, l'honnêteté foncière de son cœur et de son jugement.

Si le Corps des Ingénieurs pleure le grand camarade, si le Ministère des Travaux publics pleure le fonctionnaire d'élite, si la France pleure son serviteur d'élection, que dire de la douleur qui ne se peut mesurer de celle qui fut la joie de son foyer, la compagne admirable dont il était l'orgueil. Le silence seul est l'hommage respectueux qu'il convient de lui apporter à elle comme à sa noble fille, hommage dans lequel je mets toute l'affection et toute la déférence que j'avais pour celui qui est parti. A son fils, dont il forma l'intelligence et le cœur avec tant de soin, et qu'il eut tant de joie à voir devenir son collaborateur digne de lui, à son gendre, notre distingué camarade, j'apporte l'expression d'une sympathie profonde et dévouée.

Et maintenant que l'heure est venue de l'éternel adieu, qu'il me soit permis de déposer sur le cercueil à peine fermé d'André Charguéraud, Inspecteur général des Ponts et Chaussées, Président de la Commission du Rhin, Grand Officier de la Légion d'honneur, et comme la seule fleur que sa modestie eût acceptée, et la plus digne de son mérite, l'expression de la reconnaissance de la France.

DISCOURS PRONONCÉ

le 6 décembre 1923 par

M. DE VOLONTAT,

VICE-PRÉSIDENT DU CONSEIL GÉNÉRAL DES PONTS ET CHAUSSÉES à l'ouverture de la Séance du Conseil.

Mes chers Camarades,

La grande et belle figure de notre camarade Charguéraud a été, lundi dernier, à ses obsèques, éloquemment magnifiée par M. le Ministre des Travaux Publics. Nous conserverons pieusement dans notre mémoire cette juste glorification et, puisque le

Ministre est notre Président de droit, vous admettrez que votre Vice-Président n'y ajoute rien ici.

Toutefois, ce sera sans doute répondre à un désir général que d'exprimer le souhait que ceux qui ont vécu intimement avec Charguéraud ou qui ont longuement collaboré avec lui, veuillent bien faire connaître, par une notice développée, les détails de la grande œuvre accomplie avec tant de méthode, de continuité et de clairvoyance par notre illustre camarade.

Ceux qui l'ont connu liront cette notice avec l'émotion des souvenirs des choses précédemment vécues et les nombreuses générations d'ingénieurs qui entendront longtemps parler de lui et qui ne l'ont pas connu trouveront dans cette lecture un grand enseignement, un puissant stimulant et un nouveau motif de fierté d'appartenir à un Corps dont il a relevé encore l'éclat.

Charguéraud a été pendant plus de deux ans Vice-Président du Conseil. S'il était venu à résigner ses fonctions internationales, un assentiment unanime l'aurait ramené à cette Présidence. C'est là un cas tout à fait unique et remarquable.

Je propose que, pour donner un solennel et exceptionnel témoignage de notre admiration et de notre respect, la séance soit levée en signe de deuil.

DISCOURS PRONONCÉS

le 15 décembre 1923

à la séance d'ouverture de la Session

de la Commission Centrale du Rhin à Strasbourg

DISCOURS DE M. JEAN GOUT,

PRÉSIDENT

Messieurs,

Appelé à prendre la présidence de votre Commission, j'ai d'abord un pieux devoir à accomplir.

La Commission centrale du Rhin vient de perdre son second Président en la personne de M. Charguéraud. En lui, vous perdez, non seulement un guide expérimenté de vos travaux, mais un ami qui, par la sûreté de son commerce, la droiture de son caractère, l'affabilité de son accueil et la haute distinction de son esprit, attirait et retenait l'estime et l'affection.

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