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de mer calme? Les statistiques météorologiques répondront à notre préoccupation, et ce serait là cependant l'ordre de grandeur des périodes individuelles qu'il serait désirable de rencontrer.

Plus émouvants encore sont les recours aux caissons dans les mers à marée, à cause de la période critique qui s'écoule fatalement entre leur présentation sur place et l'achèvement du lestage. Leur absence passagère de poids dans l'eau (1) les expose à tous les avatars, si une longue période de beau temps n'accompagne pas ces délicates opérations. Les plus grands caissons n'y échappent pas, qu'ils soient simplement déposés sur la roche, ou foncés dans le sable de la fondation comme à Rothersand (le caisson de ce phare, éloigné de 60 kilomètres de la côte, à l'embouchure de la Weser, fut renversé par la mer après quatre mois et demi de fonçage; voir le dessin du second caisson, dans le Cours de Travaux maritimes de Q. de Rochemont, t. II, page 313.)

Nous ne nous étendrons pas sur les modestes et d'ailleurs rares exemples où, dans les simples tourelles, on a recouru à de tels procédés ; d'autant plus que ces caissons ne se distinguent guère, par leur nature, des enceintes en viroles citées au § A précédent ; leurs faibles dimensions en plan permettent un remplissage rapide sans artifices dignes d'être mentionnés. Tels ont été les petits caissons de la Jument de Lorient (93), de Basse Catic (101) [3 m. 50 de diamètre × om. 75 de hauteur posé en 1911 à la cote (+1,50)], de Ouarn Marc'h (108, extrémité de la presqu'île de Quiberon) (caisse sans fond quadrangulaire, de 3 m. × 2 m. 50 et de 1 m. 50 de hauteur), du Cochon de Beg-Morg (90) à la cote (+ 0,60), où la virole fut assise, en 1922, sur la roche ronde entre deux saignées et des sacs de ciment; tel serait, dans l'avenir, celui des Pierres-Vertes (60, à la rencontre du Fromveur et de l'Iroise), où le courant régnant encore à basse mer empêche pratiquement de s'asseoir posément sur la roche, et où un petit caisson initial pourrait servir de départ au chantier.

(1) A la Petite Jument (93, passe intérieure de Lorient), on a entouré le caisson (qui était plutôt une virole d'enceinte de 2 mètres de diamètre et o m. 80 de hauteur) de chaînes pour empêcher son enlèvement par la mer, et cependant on se trouvait en eaux relativement abritées.

Il s'agit surtout là de franchir rapidement la région troublée voisine du zéro hydrographique, ou d'assurer une base pour le travail à la périphérie.

Mais la tentative de Rochebonne (119, golfe de Gascogne), réalisée finalement à Chanchardon (122, saillant S.-W. de l'île de Ré), demeure l'exemple d'application le plus considérable, le plus hardi et le plus notoire, d'un caisson de grandes dimensions, à la constitution de la base d'un phare.

Exemple de Rochebonne-Chanchardon. - Le plateau de Rochebonne est un débris de notre ancien littoral qui s'élonge, sur environ 14 kilomètres, parallèlement à la côte du département de la Vendée regardant le S.-W. et à 54 kilomètres environ de cette côte. Son point haut, dénommé « Congrée » (120), vers l'extrémité S.-W. du plateau, est recouvert par 4 mètres d'eau au moins. Il s'est trouvé balisé depuis longtemps, soit par un feu flottant gardé, soit, depuis le 17 septembre 1895, par un feu flottant non gardé (1) et de fortes bouées lumineuses (qui sont exclusivement employées, au nombre de 3, depuis 1920).

Bien que le plateau ne soit pas placé sur les grandes routes normales de la navigation et que celle-ci doive l'éviter plutôt que d'y chercher un atterrissage, le Service des Phares s'est longtemps efforcé de doubler l'éclairage flottant de ce danger en y établissant un véritable phare gardé près de la tête de la Congrée.

Le seul procédé pratique pour élever, au niveau susceptible d'y permettre un travail convenable, ce plateau sous-marin accore où brise très largement et très fréquemment la houle directe de l'Atlantique, avec un port de départ (La Rochelle) distant de 100 kilomètres du chantier, devait consister à recourir à un vaste caisson et à l'échouer sur un premier massif arasé au scaphandre.

Mais on ne parvint pas immédiatement à reconnaître à cette solution son caractère de nécessité. Plusieurs campagnes de travaux préparatoires, où l'on avait à se pénétrer de mieux en mieux

(1) On se souvient que le dernier de ces feux flottants a coulé avec le paquebot « Afrique » (Chargeurs réunis) désemparé, le 11 janvier 1920

des modes de réalisation possibles, devaient précéder la décision. Après des essais d'immersion de ciment en poudre, effectués sous l'eau à La Rochelle de 1895 à 1897, un premier casier de 7 mètres de diamètre fut coulé, à partir de la cote (— 7,50) environ, en août 1898, dans une sorte de cuvette naturelle du plateau de Rochebonne (119) où l'on pensait trouver un abri relatif (1); ce massif reçut une balise métallique centrale.

Le véritable chantier flottant commença à fonctionner en 1899; on mouilla successivement un casier central de 6 mètres superposé au premier (septembre 1900), et des casiers périphériques portant le diamètre de la base à une quinzaine de mètres (1902-1903).

C'est vers 1903 que M. Ribière, alors ingénieur en chef du Service Central des Phares, explicita l'idée de recourir à un caisson pour franchir brusquement la tranche de la construction comprise entre le niveau où les scaphandriers ne pourraient plus opérer à cause des rouleaux superficiels de la houle et celui où le travail presque continu à l'air libre redeviendrait, sinon aisé, du moins. plus rapide ; des exemples invoqués à l'étranger autorisaient cette conception hardie. A son défaut, on devait entrevoir, pour cette étape, un délai d'exécution d'une vingtaine d'années, une dépense de 1.800.000 francs, d'après les moyennes réalisées dans les précédentes campagnes de travail sous-marin!

Cette idée ne prévalut pas sans objections de la part des ingénieurs locaux chargés éventuellement d'assumer l'aléa d'une telle entreprise: Ils opposaient l'amélioration probable ou tangible des prix et du rendement réalisée, depuis 6 ans, dans l'exécution du massif de casiers (de 1897 à 1902, le mètre cube était revenu à 1.284 francs, et, en 1903, à 700 francs seulement). Ils reconnaissaient toutefois qu'entre les cotes (1,50) à (+ 3,00) l'allure serait très lente et correspondrait à 5 ans de travail, à raison de 70 m3 par an peut-être.

C'est que plus on élevait ce bloc sous-marin isolé, plus le cou

(1) Non sur la tête la plus saillante, située à 90 mètres au S.S.E. et cotée (— 3.60), mais trop dure (pegmatite) et trop aiguë pour recevoir un ouvrage.

rant et la levée y devenaient gênants pour les scaphandriers ; il s'y produisait une concentration du transport de l'eau (comme un courant d'air sous une halle sans parois) et un gonflement des rides de l'océan de plus en plus intenses.

D'autre part, on ne pouvait prudemment faire émerger les casiers, à cause des conditions de prise du ciment pur qui sont défavorables à l'air.

Le faible marnage de la marée (4 m. 50, plus faible qu'à La Rochelle) conditionnait également le travail de remplissage des enceintes par la nécessité de maintenir, vers la pleine mer, une gabare avec ses bétonnières au-dessus du massif déjà construit, malgré la houle et la baissée correspondant à une séance de travail raisonnable.

On trouvait ainsi qu'on ne pouvait guère dépasser le zéro hydrographique avec le système des casiers, alors que le travail à la marée n'était pas pratique, à l'ouvert du large, avant la cote (+2,00). Que prévoir dans l'intervalle? (1) La solution du caisson s'imposait donc presque nécessairement.

Les ingénieurs s'y ralliaient peu à peu, mais en cherchant d'abord une forme moins complète et moins radicale, comme une vaste enceinte en couronne à parois ajourées (pour les laitances), à l'abri de laquelle les scaphandriers pourraient travailler plus calmement. Cette demi-mesure parut, en vérité, conserver l'aléa inhérent au caisson proprement dit, tout en multipliant le risque prévu au prorata du nombre d'assises (de 1 m. 80); elle n'eût pas donné autant de garanties pour l'évacuation des laitances lors de l'immersion de vastes surfaces de ciment en poudre, surtout le long du périmètre intérieur.

A la suite de changements survenus dans les cadres des ingénieurs locaux, les idées se rapprochèrent finalement dans le sens de la solution préconisée par M. Ribière.

L'emploi de l'air comprimé fut définitivement rejeté comme

(1) Aux Birvideaux (97), la mer marne d'un mètre de plus et cette circonstance, d'un point de vue général, peut être de nature à encourager un emploi plus complet des casiers, voire même à dicter une tout autre solution.

trop dangereux pour les tubistes en cas de ripage du caisson et à raison de la sous-pression qui soulagerait celui-ci à l'excès (de 1.500T) en ne lui laissant pas de masse antagoniste à opposer au passage des lames.

C'est dans ces conditions, après de longues études et un échec d'adjudication, que la construction du caisson fut confiée, en juin 1906, à la maison Daydé-Pillé, moyennant un forfait de 132.358 francs.

On put mettre à la disposition du soumissionnaire l'extrémité amont (35 m. sur 180 m.) d'une des formes de radoub de La Pallice, circonstance d'autant plus heureuse qu'on eut la possibilité de prolonger, à cet effet, l'exploitation en régie de cette forme, ce qui évitait toutes difficultés contentieuses.

Le corps du caisson (fig. 8 et 9, planche II) était circulaire et cylindrique ; il mesurait 14 mètres de diamètre, 9 m. 30 de hauteur; les doubles parois, distantes de 1 m. 20, terminées en couteaux, étaient remplies de béton armaturé (dosé à raison de 400 1. de ciment par mètre cube de béton) en partie évidé (1).

Un plancher en béton armé, percé de 4 ouvertures carrées fermées par des trappes amovibles, avec une épaisseur de 1 mètre, formait le plafond d'une chambre de travail de 1 m. 40 de hau

teur.

Deux poutrages métalliques superposés raidissaient les bords du caisson au-dessous de la flottaison et à la partie supérieure. Ils portaient un plancher étanche en panneaux amovibles pour empêcher la mer de remplir le caisson pendant le transport et enserraient également un pylône métallique central à treillis (2); celui-ci supportait, à 8 mètres et à 11 mètres environ au-dessus des basses mers (après immersion du caisson), deux plateformes successives avec les treuils nécessaires pour la marche rapide du

(1) Ces murailles furent bien étanches, mais au prix de quelques injections de ciment; celles-ci furent très efficaces et se trouveront notamment indispensables à la reprise du caisson pour Chanchardon (voir plus loin). (2) Les expériences de Bishop Rock (Scilly, re phase) et de Minots Ledge (Boston) montraient que les parties pleines dans les hauts sont funestes.

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