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exactement le nouvel ouvrage, quel que soit le tirant d'eau de son bateau.

Le plus souvent (surtout autrefois), il n'aura pas été possible d'implanter les tourelles en maçonnerie sur la dernière roche dangereuse. Aussi trouve-t-on, sur nos côtes, plusieurs exemples typiques qui traduisent à la fois les exigences croissantes de la navigation et la hardiesse progressive du balisage; on constate ainsi la succession, dans le temps et dans l'espace, du phare de cap à terre, du feu permanent isolé au plus près de l'extrémité de la chaussée et de la bouée lumineuse, seule capable, quoique avec moins de sécurité, de marquer les fonds immédiatement praticables.

C'est le régime de la mer dans les parages envisagés, c'est l'allure et l'aspect des roches qui doivent guider ensuite le choix de l'emplacement à adopter.

III. ÉTUDE DU RÉGIME DE LA MER AUTOUR DE LA ROCHE.

Les premiers renseignements généraux sur le régime de la mer peuvent être réunis d'après les cartes hydrographiques et les instructions nautiques d'une part, les anciens agents ou les archives du Service des Ponts et Chaussées d'autre part, puis d'après les dires des pratiques ou pêcheurs de la région, soigneusement contrôlés les uns par les autres, etc... (I).

C'est à l'observation directe des lieux qu'il faut ensuite recourir, comme à la base et à la condition indispensables du succès des opérations, à raison des circonstances de détail que ne révèlent pas des sources d'information plus générales.

(1) Il serait encore prématuré d'augurer, dans un sens ou dans l'autre, de ce qu'on pourrait tirer de photographies aériennes pour nos travaux. On sait que l'avion commence d'être utilisé dans les recherches hydrographiques (Voir la Revue publiée par le Bureau hydrographique international de Monaco en mars 1923, aux pages 73 à 85). Sans doute, n'est-il pas d'un usage très commode sur les eaux peu claires, tumultueuses ou parcourues par de forts courants. Néanmoins, il ne paraît pas impossible d'en obtenir quelque jour de précieux renseignements, tout au moins pour de premières investigations sur le choix d'une roche, d'une zone ou d'une époque de débarquement.

A cet effet, on devra consentir plusieurs stations en canot au-dessus, puis autour de la roche découverte et, si possible, par moments, y débarquer, afin d'établir comment s'y comporte la mer, ou plutôt comment l'écueil agit sur ses mouvements de lointaine origine; on répétera ces investigations à plusieurs états ou âges de la marée d'une part, aux divers degrés d'une mer encore maniable, sous différentes aires de vent d'autre part, car rien n'est plus fécond en surprises qu'une généralisation trop hâtive des conditions regardées comme normales; une rose des courants ainsi établie ne devra même pas être consultée sans égard aux autres causes susceptibles de la modifier.

On saura, bien entendu, les vents qui contrarient les courants aux heures où ceux-ci et la cote de la mer permettraient simultanément de travailler.

On apprendra ainsi, par exemple, que les courants peuvent s'opposer au travail en vive eau s'ils sont le plus violents pendant les courts et rares instants de basse mer où les roches correspondantes seraient accostables, tandis que, sur d'autres chantiers, la levée habituelle de la mer est plus favorable au travail en morte eau (souvent même sous une certaine épaisseur d'eau, comme à la Petite Barge d'Olonne (118) où l'on a fréquemment travaillé à H. M. M. E.) et conduit à prolonger un mode sousmarin de fondation.

Les lois qui relient aux circonstances météorologiques les conditions de travail sur une roche arrivent à être remarquablement connues, à la longue, des pratiques du chantier; mais on conçoit qu'il faille parfois plusieurs campagnes, moins fructueuses de ce fait pour les travaux, avant de les bien posséder (1).

(1) A la roche Men-Tensel (57, Fromveur), on s'était trop hâté de croire à la possibilité d'y demeurer tant que la mer n'était pas près d'atteindre le chantier; mais un jour, le 10 avril 1910, en vive eau, à la veille d'une dépression non encore sensible, la mer devint, après calme plat, si forte avec le courant que 13 hommes furent bloqués sur la roche; ils se raccrochèrent à des mâts de service et ne purent se sauver que grâce à un va-et-vient émouvant jusqu'à la chaloupe qui les attendait. On reconnut alors qu'il ne fallait plus, en vive eau, prolonger le travail quand le courant dépassait la direction S.W., N.E. Ce sont là, évidemment, des singularités et des précautions purement locales.

D'une manière générale, les saillants, vers le large, de ce qu'on appelle géographiquement les débris sous-marins de notre ancien littoral, et qui comptent naturellement parmi les points essentiels à baliser, sont spécialement le siège, ou l'occasion, des incessants déferlements de la grande houle de l'Atlantique; les amortissements de celle-ci se prolongent indéfiniment, surtout en hiver et au printemps; ils retardent longtemps la reprise des chantiers, car il faut attendre alors leur atténuation presque complète (1); cette houle se transforme d'ailleurs, au voisinage des hauts fonds, d'une manière dont son aspect au large ne peut souvent donner qu'une faible idée (1); on y est parfois prévenu de sa formation par ce qu'on appelle les lames sourdes (3), quand elles sont le prodrome de l'arrivée d'un coup de vent, et devancent la première agitation visible.

Si la houle profonde, résultant des grandes dépressions océaniques, est le principal obstacle au travail sur ces roches d'avantgarde, obstacle souvent aggravé d'ailleurs, sur les plus basses, par les moindres courants qui les délavent (1), ce sont ces courants qui conditionnent surtout les chantiers ouverts sur des émergences isolées au milieu d'une chaussée ou d'un massif sousmarin, et bordant une des passes qui parfois les traversent; dans

(1) Une très légère brise opposée au courant ou au reliquat de la houle du large constitue peut-être alors une circonstance nécessaire au succès (Basse Plate de l'île de Batz, 41); mais elle est évidemment aussi exceptionnelle qu'heureuse.

(2) Nous avons constaté personnellement, le long d'un ouvrage d'accès tenu d'ailleurs pour difficile, qu'une houle de fond n'excédant guère o m. 50 de creux y déterminait des dénivellations de 8 mètres, prohibitives pour les accostages.

(3) On peut désigner sous ce nom, dont on abuse parfois, un train d'ondes isolées d'une amplitude et d'une violence inattendues et, par suite, anormalement dangereuses; on les noterait plutôt lors de l'étale de courant, du moins sur la côte bretonne (comme si le proche renversement y jouait son rôle) et, en principe, par temps et mer encore ou déjà calmes. Ces lames paraissent résulter de la rencontre d'un brusque relèvement du fond par un des trains d'ondes qu'analyse M. Fichot, Ingénieur hydrographe en chef de la Marine, dans son ouvrage sur les marées (GauthierVillars, 1923, pages 79 et 80); les vitesses toutes voisines des ondes élémentaires seraient susceptibles de les faire se confondre sur cet obstacle, avec un gonflement inattendu d'autant plus considérable que le train d'ondes serait trop isolé pour se trouver atténué par une réflexion du précédent, comme il en serait d'une lame ordinaire.

ces sortes d'archipels, la mer est plus hachée, et les courants mêmes y contribuent.

Nous donnerons de ces deux ordres de considérations divers exemples typiques :

Sur une roche exceptionnellement accore, comme la Jument d'Ouessant (58, fonds de 35 à 80 mètres) ou les Birvideaux (97, coureaux de Belle-Ile), c'est la moindre houle, ou plutôt la moindre palpitation de la mer qui est à craindre; pour la première cependant, on accoste, ou plutôt on transborde du côté N.-W., et non à l'échelle de l'Est, plus abritée de la houle en apparence, mais dont l'établissement ne tient pas un compte suffisant de l'effet gênant des courants. De même à Kingy (54), au N.-W. d'Ouessant, que cette île ne parvient pas à abriter de la petite houle du S.-E. qui la contourne, on accostera par l'Ouest au jusant, vu que les lames se rencontrent à l'Est au flot et forment des brisants.

Sur un vaste plateau comme Antioche (125) (cote + 2,00) (1), à la pointe N.-E. de l'île d'Oléron, c'est la mer qui brise si elle n'y atteint pas une certaine profondeur, alors que, plus au large, ses ondulations présentent une bien moindre amplitude, en sorte que le travail cesse, à moins de calme plat, quand la mer est sur le point de recouvrir entièrement le plateau.

Au contraire, à Men-Tensel (57), dans le Fromveur, ce sont les grands courants (jusqu'à 11 nœuds) qui sont le principal obstacle à surmonter pour l'abordage.

Plus méridionales, les Pierres Vertes (60), à la jonction de l'Iroise et du Fromveur, voient encore régner de tels courants à basse mer que le séjour, sur cette roche très peu visible (+ 1,00 au plus), demeure très dangereux à l'heure où elle est théoriquement accostable; ils y empêchent jusqu'à ce jour une entreprise sérieuse.

A Basse-Vieille (70, entrée de la baie de Douarnenez), c'est le vent qui s'oppose normalement au courant et a entravé jusqu'à présent tout travail notable.

(1) Les cotes sont toujours comptées par rapport au zéro hydrographique, voisin du niveau des plus basses mers.

A la Horaine de Bréhat (25, Côtes-du-Nord), il n'y a pour ainsi dire pas d'étale de courant, dans une région où le marnage est encore important (11 à 12 mètres), et cette circonstance fut longtemps considérée comme une impossibilité radicale d'aboutir; la Direction des Phares avait été, après observations prolongées, jusqu'à interdire, il y a une cinquantaine d'années, toute nouvelle tentative et, cependant, le fonctionnement convenable d'un feu permanent et tournant à l'huile minérale dément aujourd'hui cette vue pessimiste.

Les roches forment, par elles-mêmes, un remous de courant à l'aval, qui peut être suffisant pour la tenue du chantier flottant, sous certaines conditions à étudier.

C'est la vérification, en 1879, de l'existence d'un remous sensible, en flot, au N.-W. de la roche de la Vieille (73), qui autorisa à ouvrir cet important chantier dans le Raz de Sein, comme complément de celui d'Ar-Men (71) en achèvement.

Encore faut-il que l'écueil découvre assez largement pour protéger le matériel flottant (1). Il arrive même, quand il commence à apparaître, qu'il soit plus difficile d'approche que quand une certaine lame d'eau le surmontait; l'accostage peut être impossible entre certaines heures de baissée, que doit connaître le Service, soit que la mer y déferle, soit que le remous du courant et des brisants n'ait pas encore assez d'étendue.

Ces effets de remous, ou ces retours de courant, sont très complexes et varient dans chaque cas. Ils peuvent conduire à ne pas trop rapprocher l'implantation de l'ouvrage de la masse émergente la plus importante, parce que, dans ce voisinage immédiat, les conditions offertes par la mer sont souvent plus défavorables. A Chanchardon (122, pointe S.-W. de l'île de Ré), on a ainsi coulé le caisson de fondation assez loin de la falaise de l'île qui donnait lieu à du ressac, conciliant par là même les convenances du chantier avec l'intérêt du navigateur de pouvoir serrer la balise de près.

(1) Si la roche est trop petite, comme à la Foraine (14, passage de la Déroute), le chaland n'est pas assez abrité des lames par le remous de la

roche.

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