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grande sagacité sur des points qui prétaient à la subtilité. A leur exemple, Cujas et plusieurs autres docteurs ont traité ces difficultés très gravement, et en montrant une grande force de raisonnement. D'ailleurs, ces questions étaient discutées sous d'autres rapports, tels que celui des legs qui avaient été faits d'objets mobiliers déterminés, lesquels objets ne se trouvaient pas, lors du décès du testateur, au même état que celui où ils étaient à l'époque du testament; tels encore que celui où des objets mobiliers auraient été donnés en hypothèque, et lorsqu'il arrivait la même circonstance. On sait que, dans le droit romain, les meubles étaient susceptibles d'hypothèque.

On trouve toutes ces distinctions dans Basnage, des hypoth., chap. 14, pag. 308 et suiv., édit. in-12. On voit même les embarras qu'il éprouve pour s'être enveloppé dans ces distinctions, et pour avoir cherché à concilier d'anciens arrêts qui se contrariaient. Mais, d'après les principes tracés dans notre législation, les difficultés sont moindres. On peut dire que toutes les fois qu'il y a eu changement de nom, de forme et de nature, le privilége est éteint, parce qu'alors la chose ne se trouve pas dans son essence.

Ainsi un marchand de blé ne pourrait suivre son privilége sur les farines qu'il prétendrait en être provenus. Le marchand de cuirs le perd aussi, lorsqu'ils sont dans les pelins pour être apprêtés. Il ne peut plus être réclamé pour des laines et des chanvres vendus, lorsqu'ils ont été

1 Sur une matière qui prête autant aux subtilités, on doit s'attendre à des diversités d'opinions, avec d'autant plus de raison que les décisions sont souvent influencées par des circonstances dans lesquelles on puise des motifs d'équité qui balancent la rigueur des principes. Je n'ai point trouvé d'autorité sur lesquelles je pusse établir, d'une manière positive, ce que j'ai dit relativement au serrurier qui aurait fourni les matières et le travail qui lui seraient dus; j'ai cru qu'on pouvait se déterminer par le principe résultant du changement de nature.

Je dois cependant faire remarquer un arrêt du parlement de Paris, du 19 février 1603, rendu dans une espèce singulière; il est rapporté par Mornac, sur la loi 1re, ff. de rer. div et qual., et sur la loi 5, eod. de tribut act. Dans l'espèce de cet arrêt, un fondeur avait fondu des cloches pour une paroisse; le métal et le travail de la fonte lui étaient dus; les TOME II.

convertis en étoffes ou en toiles; ni pour des cassonades, sur les sucres qui en sont provenus. Il en est de même dans tous les cas semblables.

Le privilége est encore éteint, si d'étoffes vendus il en a été fait des lits ou des fauteuils; si un meuble ou bijou en or ou en argent a été fondu pour en faire d'autres de différentes formes ou de différens usages, quoique la matière paraisse rester. Il n'y a point non plus de privilége pour des fers vendus, s'il en a été fait des rampes d'escaliers, des balcons ou des serrures. On peut même douter que le serrurier lui-même dût avoir un privilége pour le prix de ces rampes, balcons ou serrures qu'il aurait établis dans une maison, et dont il aurait fourni les fers ainsi que le travail. Ces objets sont alors incorporés, par l'effet de l'adhésion, l'immeuble même. Dès lors, il y a changement de nature, comme dans les autres cas dont je viens de parler, il y a changement de nom et de forme; et, dans certains de ces cas, on peut encore dire qu'il y a changement de nature 1.

avec

On voit dans l'art. 580 du Code de commerce, combien sont sévères les conditions sous lesquelles l'action en revendication est admise. On peut croire que cette sévérité ne doit pas être observée pour l'exercice des privilgés dont il s'agit dans l'art. 2102 du Code civil. Cet article 580 a été fait pour le cas de la faillite ou banqueroute, et dans ces circonstances la fraude se présume facilement. Mais pour les priviléges, même énoncés dans l'ar

cloches avaient été bénites et suspendues au clocher. Les paroissiens, qui étaient de très mauvaise foi, firent éprouver des retards pour leur libération; ils se refusèrent à ce que le fondeur retirât les cloches du clocher, à défaut de paiement. Ils se fondaient sur ce que les cloches étaient devenues des choses saintes, sur lesquelles l'ouvrier n'avait aucun pouvoir. L'arrêt ordonna que, dans un délai déterminé, le fondeur serait payé de ce qui lui était dû: sinon, il fut autorisé à faire retirer les cloches du clocher.

Mais l'espèce ne paraît pas être la même. On ne peut pas dire que les clocbes soient incorporées avec le clocher, et encore moins avec l'église. L'action était intentée directement contre les propriétaires ou ceux qui étaient reputés tels; il ne s'agissait point de la réclamation d'un privilége à l'égard des créanciers, d'un particulier; et ces circonstances paraissent apporter un grand changement.

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ticle 2102, l'identité des objets vendus doit être prouvée, et elle cesse de pouvoir l'être lorsqu'il y eu des changemens de forme. Sans cette sévérité, on risquerait de favoriser la fraude.

D'ailleurs, l'opinion que je viens d'émettre peut encore être fondée sur les termes de l'article 2102, no 4. Quant au privilége, il est dit, en parlant du prix des effets mobiliers non payés, s'ils sont encore en la possession du débiteur. Ces expressions supposent l'identité d'état de la même manière qu'elle est exigée pour le cas de la revendication dans la partie suivante du même article.

Cependant s'il avait été vendu des grains qui existassent dans les mêmes greniers, ou des vins qui seraient dans les mêmes pièces, et qu'il en eût été vendu une partie seulement par le débiteur, il est sensible que le privilége pourrait être exercé sur le restant. L'identité d'état qui existe alors doit produire sur la partie le même effet qu'elle produirait sur le tout, si ce tout restait.

317. Le droit de privilége et de revendication accordé au vendeur d'effets mobiliers, a pour but de lui recouvrer le prix de ces effets non payés : le vendeur aurait-il conservé ce droit, si, en paiement des effets, il avait accepté un billet de l'acquéreur?

Dans l'espèce de la vente d'un saphir d'orient, moyennant 170,000 fr., le vendeur ayant reçu de l'acquéreur des diamans et des perles, et pour solde un bon de 72,545 fr. payable à présentation, a été déclaré déchu de tout privilége sur le prix de la revente du saphir, attendu que la vente avait été consommée, et que le porteur du bon, qui avait suivi la foi de son débiteur, n'avait autre ni plus grand droit que celui de tout créancier chirographaire. Arrêt de la Cour royale de Paris, du 24 décembre 1816. Cet arrêt a appliqué la disposition finale du S 41 des Inst., au titre de rerum divis. Sed si is qui vendidit fidem emptoris secutus fuerit, dicendum est statim rem emptoris fieri. Ce fut une pareille circonstance qui détermina le parlement de Rouen à refuser, par un

arrêt du 16 mai 1664, le privilége réclamé par des marchands de vin, sur celui qu'ils avaient vendu à un cabaretier chez lequel il se trouvait encore. Les marchands avaient vendu leur vin argent comptant; mais en recevant une partie de leur argent, ils avaient pris une obligation pour le reste, et sic fidem habuerant de pretio. Basnage, des hypoth., chap. 14, pag. 317, in-12.

318. Tout ce qui est relatif à la vente d'effets mobiliers, en matière commerciale, est réglé dans le tit. 3 du liv. 3 du Code de commerce. Je me bornerai à y renvoyer, avec d'autant plus de raison que le vendeur, d'après ce Code, n'a aucun privilége sur le prix des marchandises vendues et non payées, et que son droit se réduit à la revendication de ces marchandises, dans les cas prévus.

Mais une des dispositions du Code de commerce fait naître une question pour les matières civiles. L'art. 582 de ce Code, porte que, dans tous les cas de revendication, excepté ceux de dépôt et de consignation des marchandises, les syndics des créanciers auront la faculté de retenir les marchandises revendiquées, en payant au réclamant le prix convenu entre lui et le failli. Les créanciers du débiteur d'effets mobiliers auraient-ils la même faculté, dans le cas de revendication de la part du vendeur? L'affirmative n'est point douteuse, dès que le vendeur est désintéressé par le paiement du prix, et que, dans les règles ordinaires du droit, d'une part, l'acquéreur peut payer tant que la résolution de la vente n'a pas été prononcée, et que, de l'autre, les créanciers peuvent exercer tous les droits et actions de leur débiteur. Voyez l'article de M. Tarrible, dans le Rép. de jurispr., aux mots Privilége de créance, sect. 2, § 3, no 11.

319. Sont privilégiées les fournitures d'un aubergiste sur les effets du voyageur, qui ont été transportés dans son auberge, no 5 de l'art. 2102.

Ce privilége était anciennement admis : plusieurs Coutumes en avaient une disposition précise; mais il doit toujours être primé par les priviléges compris dans

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l'art. 2101, d'après le principe général établi dans les observations qui sont en tête de ce chapitre, Ces expressions, sur les effets des voyageurs qui ont été transportés dans l'auberge, annoncent assez que l'aubergiste ne pourrait point retenir l'habillement du voyageur pour la dépense que celui-ci aurait faite. Les effets du voyageur sont un gage pour l'aubergiste. S'il s'était dessaisi du gage, il n'aurait plus de privilége; il serait même alors présumé avoir été payé par le voyageur. Du reste, l'aubergiste n'aurait de privilége sur les effets de ce dernier, que pour les dépenses faites pendant le séjour actuel, et non pour des dépenses antérieures, pour le paiement desquelles il n'y aurait pas eu gage, ou dont le gage aurait été remis. On verra une foule de questions présentées sur cette sorte de priviléges, par Ferrières, sur l'article 175 de la Coutume de Paris. On sent qu'on doit concilier ses décisions avec les principes du Code civil.

Sont aussi privilégiés les frais de voiture et les dépenses accessoires sur la chose voiturée, no 6 du même art. 2102.

La chose voiturée est aussi un gage pour le paiement des frais de voiture et des dépenses accessoires, telles que droits d'entrée et autres semblables.

320. Enfin, les créances résultant d'abus et prévarications commis par les fonctionnaires publics, dans l'exercice de leurs fonctions, sont privilégiées sur les fonds de leur cautionnement, et sur les intérêts qui en peuvent être dus, no 7 du même art. 2102.

C'est par l'art. 33 de la loi du 25 ventôse an 11, que les notaires ont été assujettis à un cautionnement qui serait spécialement affecté à la garantie des condamnations prononcées contre eux par suite de l'exercice de leurs fonctions.

Cette disposition a été déclarée commune aux cautionnemens fournis par les agens de change, les courtiers de commerce, les avoués, greffiers, huissiers et commissaires priseurs, par l'art. 1er de la loi du 25 nivòse an 13, qui établit encore un privilége pour le remboursement des fonds qui auraient été prétés pour tout ou

partie du cautionnement. La même loi règle la forme des oppositions à faire de la part de ceux qui prétendraient avoir quelque droit à exercer sur les cautionnemens. D'après l'art. 4, la déclaration au profit des prêteurs de fonds des cautionnemens, faite à la caisse d'amortissemens, à l'époque de la prestation, tient lieu d'opposition pour assurer l'effet de leur privilége.

Par l'art. 3 de la loi du 5 septembre 1807, il a été dit que le privilége du trésor public sur les fonds des cautionnemens des comptables continuerait d'être régi par les lois existantes.

Enfin, pour les cas où les formalités exigées par la loi du 25 nivòse an 13, n'auraient pas été remplies par les prêteurs de fonds, à l'époque de la prestation, deux décrets des 28 août 1808 et 22 décembre 1812, indiquent ce que les prêteurs doivent faire pour y suppléer.

Les cautionnemens, suivant l'art. 1o de la loi du 25 nivôse an 13, sont affectés, par premier privilége, à la garantie des condamnations qui pourraient être prononcées contre les fonctionnaires qui les ont fournis par suite de leurs fonctions; par second privilége, au remboursement des fonds qui leur auraient été prêtés pour tout ou partie de leur cautionnement, et subsidiairement au paiement, dans l'ordre ordinaire, des créances particulières qui seraient exigibles sur eux.

321. Il y a un privilége qui peut être considéré comme affectant un objet mobilier, qui, par sa nature et l'intérêt qu'il présente, forme le sujet d'une partie importante de notre législation commerciale et maritime. L'art. 190 du Code de commerce, conforme à l'art. 531 du Code civil, déclare que les navires et autres bâtimens de mer sont meubles. Il ajoute : « Néanmoins ils sont affectés aux dettes du vendeur, et spécialement à celles que la loi déclare privilégiées. » Les art. 191. 192 et 193 contiennent des dispositions dont le but a été d'indiquer les objets pour lesquels ces priviléges auraient lieu, de prescrire les conditions auxquelles étaient attachées leur constitution et leur conser

vation, et de faire connaître ce qui donnerait lieu à leur extinction. Cette matière tient essentiellement à la jurisprudence commerciale. Ces articles contiennent, d'ailleurs, de nombreuses dispositions aussi claires que sages; elles présentent des améliorations remarquables, comparativement à la législation précédente sur cette partie : en sorte qu'il doit me suffire d'y renvoyer. On pourra consulter avec fruit non-seulement les ouvrages donnés récemment au public, à ce sujet, par MM. Locré et Pardessus, mais encore le savant Commentaire de Vaslin, sur l'ordonnance de la marine, qui a servi de guide aux législateurs modernes, le Traité des assurances et des contrats à la grosse, par Emérigon, ainsi que Basnage, Traité des hypothèques, chap. 9, pag. 82 et suiv., et chap. 14, pag. 286 et suiv., édit. in-12. On sent qu'on doit avoir le soin de combiner les opinions de ces anciens auteurs avec les dispositions des Codes nouveaux.

322. On sait combien les hypothèques et les priviléges sur les immeubles sont sujets à des modifications, lorsque le débiteur tombe en état de faillite, d'après l'art, 2146 du Code civil, et l'art. 443 du Code de commerce. Je me suis déjà expliqué à cet égard. Mais les priviléges sur les meubles seulement peuvent encore étre éteints dans le même cas, quoique les faits dans lesquels ils auraient leur principe fussent antérieurs à l'ouverture de la faillite. Cela résulte non-seulement de l'art. 443 du Code de commerce, où il est dit : « Nul ne peut acquérir privilége ni hypothèque sur les biens du failli, dans les dix jours qui précèdent l'ouverture de la faillite; » mais encore des art. 445, 446 et 447 du même Code. Plusieurs des questions qui peuvent s'élever à ce sujet sont du ressort de la jurisprudence commerciale, et je puis renvoyer aux ou vrages qui ont paru sur cette matière.

Je dois cependant faire ici une observation, que je tire d'un principe fondamental, relativement à la conservation ou à l'extinction des priviléges concernant plus particulièrement les commerçans.

L'exécution stricte et rigoureuse de ces articles, qui annulerait, soit des engagemens, soit des paiemens faits dans les dix jours qui précèdent la faillite, et qui anéantirait encore des priviléges acquis, qui se seraient continués de bonne foi, même après l'ouverture de la faillite, cette exécution stricte, dis-je, conduirait souvent à des injustices qui seraient intolérables. Les circonstances qui prouvent la bonne foi, et qui excluent toute idée de fraude, doivent tempérer la rigueur de la loi.

M. Locré, Esprit du Code de comm. tom. 5, pag. 173, sur l'art. 447, fait à ce sujet les réflexions les plus judicieuses. Il examine comment les priviléges existent ou peuvent être exercés dans certains cas, tels que celui où le failli, chargé comme agent de change d'une négociation, ou devenu caution avant les dix jours, n'a encouru la responsabilité que depuis ce terme. Il se demande si le privilége pourra être exercé. Il élève ensuite la même question concernant les créances indéterminées, c'est-à-dire, celles dont la qualité ne s'établit que graduellement, et de die in diem, parce qu'elles sont le prix de fournitures, de jouissances et de services successifs. Ce caractère, dit l'auteur, appartient, par exemple, aux loyers, aux fermages, au salaire des gens de service, aux pensions et abonnemens pour nourriture. Le privilége et l'hypothèque attachés à ces sortes de créances avant les dix jours, conserveront-ils leur force pour la portion de créance qui ne s'établira qu'ensuite? M. Locré se décide, et je pense que c'est avec raison, pour l'affirmative sur ces deux questions. On ne peut se dissimuler, comme le dit très bien cet auteur, pag 140, que le Code de commerce n'ait admis deux sortes de nullités; l'une de plein droit ; l'autre subordonnée à la preuve de la fraude.

On sent que, toujours dans ce cas de faillite, il peut s'élever souvent la question de savoir s'il ne suffirait pas que le créancier eût la possession de la chose mobilière, pour qu'on ne pût lui contester ou le privilége ou le droit de propriété,

suivant qu'il aurait acquis l'un ou l'autre. M. Persil, Rég. hypot., sur l'art. 2146, no 3, 2o édit., propose deux exemples qu'il est utile de remarquer, avec d'autant plus de raison que l'application peut s'en faire à d'autres cas.

« Un négociant, dit-il, prête 20,000 fr., à grosse aventure, pour les réparations d'un navire appartenant à un armateur, qui, dans les dix jours, fait faillite : parce qu'il aura traité avec un homme dont, par son éloignement, il ne pouvait connaître la position, lui refusera-t-on le privilége que lui accorde l'art. 191 du Code de commerce? Un banquier accepte des

lettres de change tirées par un tiers. Pour se rédimer du paiement de ces traites, auquel il se soumet par l'acceptation, on dépose entre ses mains des effets souscrits au profit du tireur : faudra-t il le priver du privilége qu'il espérait naturellement avoir sur ces effets, par cela seul que le tireur aura fait faillite dans les dix jours?» L'auteur se décide pour la négative sur les deux questions. Je crois devoir adopter son opinion. A défaut de dispositions législatives sur des cas sur lesquels l'équité et une justice souveraine commandent des exceptions, on ne peut que se décider par l'interprétation la plus saine de la loi.

FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE.

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