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CHRONIQUE

POUR 1823.

JANVIER.

1. Le jour de l'an offre en frivolités de luxe ou d'agrément l'exposition la plus vaste et peut-être la plus utile pour les marchands des produits de l'industrie: les études et les progrès qu'on y fait y sont encore plus sensibles que dans celle qui a les honneurs du Louvre. Il ne lui manque qu'une saison plus avantageuse, pour paraître ce qu'elle vaut. La jalousie étrangère se tait devant la supériorité de nos merveilleuses sucreries, et le mérite des artistes n'est pas récompensé par une stérile admiration. Depuis la magnifique toilette qui va décorer le boudoir des enfans du prince, jusqu'à l'humble petit ménage autour du quel va bondir de joie la petite famille du porteur d'eau, tout trouve sa place et ses acheteurs; toutes les boutiques sont pleines, et personne n'en sort les mains vides.

Il en est une qui arrête particulièrement l'amateur désintéressé des arts, c'est celle que le Roi fait meubler chaque année des produits de ses manufactures : pour cellela nous sommes tous des Bonnardins. On y admire surtout entre les belles porcelaines de Sèvres, moins nombreuses que de coutume, une excellente copie du fameux tableau de la Femme hydropique, de Gerardow, exécutée de la grandeur de l'original, par M. Georget; quatre grands vases, peints par M. Leguay et par M. Béranger; un déjeuner dont les tasses présentent les portraits des plus célèbres musiciens, par M. Georget, et dont le plateau est une copie de la sainte Cécile du Dominiquin, fort bien rendue par Mme de Bon; deux vases dont les cartouches, composés par M. Fragonard, sont remplis par des oiseaux dus au pinceau de Mme Knip; les bustes du Roi, de MONSIEUR et de feu Mgr. le duc de Berri, et plusieurs peudules d'une grande dimension.

Annuaire hist. pour 1823.

Jusqu'à présent les Gobelins ne travaillaient guère que pour reproduire les tableaux de l'école française jugés dignes d'orner les palais des souverains, et en ce genre ils ont offert cette année d'admirables tentures d'après Lesueur, Mme Lebrun et M. Rouget, dont le saint Louis mourant a été rendu en perfection; mais il est encore sorti de la royale fabrique un autre genre d'ouvrages : des chasubles, des bannières et des devants d'autel, d'un bon goût et d'un travail fini. Par un contraste assez piquant, on voit auprès de ces ornemens d'église deux tapis à l'usage des musulmans dans leurs mosquées, l'œil est bien un peu choqué de la bizarrerie de leurs dessins; mais rassuronsnous, l'amour-propre national n'y est compromis en rien: ces dessins avaient été fournis par le facteur d'un pacha.

A côté des magnifiques produits des Gobelins, l'œil s'arrête encore avec plaisir sur les tapisseries de Beauvais et sur les tapis de la Savonnerie. Ces vieux établissemens soutiennent leur réputation.

Pour la première fois et par extraordinaire, on a vu paraître à cette exposition un objet de l'industrie particulière : un surtout de table exécuté pour le Roi, dans les ateliers de M. Thomire. Les groupes, les trépieds et les vases ont été modelés d'après des morceaux du Musée des antiques; les détails de l'ornement ont été faits sur les dessins de M. Percier, et le tout a paru d'une magnificence et d'un grandiose dignes de sa destination.

7. Paris. Première chambre de la cour royale. Procès de Potier. Le public a oublié aujourd'hui les affaires d'Espagne pour la querelle d'un de ses acteurs favoris. On sait que Potier avait quitté la métropole du mélodrame, le théâtre de la Porte-Saint-Martin, pour retourner aux Variétés; mais le nouveau directeur de la Porte Saint-Martin, M. de Serres, n'a point voulu souffrir la désertion du Père

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Sournois, de M. Brouillon, etc.; il l'a cité devant le tribunal de commerce, comine intéressé dans la société et comme acteur, et le tribunal de commerce a renvoyé les plaideurs devant des arbitres; mais l'affaire n'en est pas restée là; elle a été portée devant la cour royale. Maintenant M. de Serres actionne Potier, pour qu'il ait à payer, aux termes de son contrat, pour chaque jour de retard, le montant de la représentation la plus forte qui ait eu lieu au théâtre pendant tout le temps qui s'est écoulé depuis le 1er mars 1822, jusqu'au 1er août de la même année, ce qui forme une somme de 144,468 fr., prenant pour base la plus forte représentation qui s'est élevée à 3,611 fr., le jour même des débuts de Potier. On lui demande de plus comme restitution d'avances, 30,000 fr.; pour dédit, 20,000 fr., et 60,000 fr. de dommages-intérêts. C'était déjà une somme assez honnête; mais par un second exploit on réclame pour cent vingt-deux jours écoulés 440,542 fr.; plus, pour sept ans et dix mois, restant à courir sur le terme de l'engagement, 10,322,846 fr., et 200,000 fr. de dommages-intérêts. Ce qui fait un total de 10,964,391 fr.

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Voilà, dit Mr Hennequin, an milieu des rires de tout l'auditoire, voilà à quelles condamnations le sieur Potier est exposé, et le premier de tous les dangers pour nos adversaires est celui de gagner leur cause: car l'euregistrement d'une condamnation de 11 millions réduirait le théâtre de la Porte-Saint-Martin à déplorer sa victoire, et à vendre jusqu'aux banquettes pour payer les frais du combat. »

Me Mauguin, avocat de l'administration de la Porte-Saint-Martin, répondant à son confrère, lui reprocha de n'avoir pas du tout saisi le vrai point de la cause, et d'avoir traité une autre question que celle du procès Il prétend que les conventions qui ont obligé et obligent encore M. Potier ont le caractère d'une société véritable qu'il ne saurait briser impunément. Les Petites Danaïdes, et d'autres pièces, montecs exprès pour Potier, et où lui seul pouvait jouer, ont coûté à l'administration 150,000 fr. dont elle a droit de réclamer l'indemnité.

Quant aux 11 millions de dommages et intérêts réclamés, le défenseur convient qu'ils peuvent paraître énormes; mais tels sont le texte et l'esprit des conventions sociales, et c'est un point réservé à l'examen des arbitres, devant lesquels le tri

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bunal de commerce a renvoyé la cause et les parties.

14. En résultat de ces plaidoiries dont nous n'aborderous pas la partie litigieuse, la Cour a réformé le jugement du tribunal de commerce, en ce qu'il regardait l'acte de société comme existant, et renvoyant les parties devant les arbitres, elle a considéré que le changement de directeur ne déliait point Potier de ses obligations du 4 mai 1819; elie a, en conséquence, d'après l'article 473 du Code, condamné Potier à reprendre, dans la huitaine, son service au théâtre de la Porte-Saint-Martin; et, à défaut de reprendre son service, elle le condamne par corps, aux dommages et intérêts qui seront fournis suivant l'etat estimatif.

Cette forme est employée par les Cours et les tribunaux dans les affaires où les parties, pour éviter l'enregistrement de sommes considérables, n'allèguent que des conventions verbales.

15. Munich (Bavière). Incendie.- Un événement bien malheureux occupe en ce moment l'attention générale. Hier soir, vers huit heures, le feu s'est manifesté au nouveau théâtre de la cour, pendant la représentation des Deux Renards. En peu de minutes, la salle devint la proie des flammes. Il faut heureusement se hâter d'ajouter que le public avait eu le temps de sortir.

La toiture et la charpente ne tardèrent pas à s'effondrer avec un horrible fracas, et au bout de trois heures l'édifice entier n'était qu'un monceau de cendres. Mais l'incendie n'était pas à sa fin: il sê communiqua bientôt à l'ancien théâtre de la cour, et dans cet instant même (quatre heures du soir) il brûle encore avec une violence d'autant plus terrible que les souterrains sont remplis de bois de chauffage.

L'alarme redoubla quand on vit le feu éclater dans la galerie qui conduit au château. Toute la famille royale s'est transportée précipitamment dans l'hôtel du duc de Leuchtenberg, et de là à Nympher bourg; quant au Roi et aux Princes, ils ne quittent pas le lieu de l'incendie, afin d'animer les travailleurs par leur présence; mais la rigueur du froid paralyse leurs efforts: l'eau est gelée partout, et le service des pompes ne peut se faire qu'avec une extrême difficulté. Déjà plusieurs charpentiers ont perdu la vie en se hasardant sur les toits, d'autres sont grièvement blessés. Personne ne saurait indiquer la cause de cet effroyable événement; il est cependant à présumer que le feu aura été mis au théâtre par les tuyaux de chaleur.

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16. — L'incendie n'a consumé que le nouveau théâtre; on est parvenu à sauver l'ancien théâtre de la cour, qui touche directement au château royal, et qui y aurait très-probablement communiqué le feu. ce n'est qu'avec de grands efforts qu'on a pu empêcher les flammes d'atteindre l'ancien théâtre, où l'on avait déjà abattu une partie de l'intérieur afin de diminuer au moins les objets combustibles. Tout le nouveau théâtre ne présente aujourd'hui que les murs nus et une masse de décombres fumantes. La perte est estimée à 1 million 500,000 florins.

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21 Paris. Cérémonie funèbre pour l'anniversaire de la mort de Louis XVI. 24. Olioulles (Var).-Trait d'audace. Un militaire en retraite, qui tenait ici un débit de tabac, disparut, il y a quinze jours, et ce ne fut qu'après bien des recherches que l'on parvint à savoir de quel ques gardiens de troupeaux,qu'un individu assez ressemblant à celui dont on s'informait avait pris la direction du sommet d'une des montagnes de ces quartiers, où est la bouche d'un ancien volcan. Diverses conjectures sur les dispositions que la personne avait manifestées firent naître l'idée qu'elle aurait pu chercher la mort dans ce gouffre. On résolut de s'en assurer; mais il fallait y descendre, et ce lieu, auquel la tradition locale attachait les plus noires images par mille récits de cris plaintifs, de hurlemens, de spectres, etc., n'est abordé qu'avec effroi par tout ce qui respire aux alentours. Un homme offrit cependant de se laisser suspendre sur l'abîme, afin d'en examiner le foud: cet homme est un journalier piémontais qui ne demanda que 50 francs pour une entreprise qui faisait frémir toute la commune. Lintrépide étranger se voit donc bientôt introduit dans ce nouveau Ténare, y trouve en effet un cadavre, et rapporte au grand jour, pour preuve de sa découverte, un bas, un lambeau de gilet et une tabatière que l'on reconnut appartenir à celui qui était l'objet de la perquisition. L'officier de justice ne voulut pourtant pas voir dans ces indices une preuve suffisante pour certifier le décès. Le Piémontais descendit une seconde fois, lia solidement le malheureux, et le rendit à la surface de la terre, loin de laquelle il avait cherché sans doute à ensevelir le secret et l'œuvre de son désespoir.

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28. Paris. Ouverture de la session legislative. (V. l'histoire, p. 4.)

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Tribunal de police correcOn avait remis à cette au

dience la cause intentée à la requête de l'ambassadeur d'Espagne (le duc de SauLorenzo) contre MM. Ouvrard et Rougemont, à raison de la publication faite par eux d'un prospectus sur l'emprunt de la régence d'Urgel, publication que le duc de San-Lorenzo regardait comme un outrage à la dignité de S. M. C., et qu'il poursuivait en vertu de la loi de 1819. Les uns admiraient la singulière coincidence que le hasard avait amenée entre le renvoi de ce procès an 28 janvier, et le jour même fixé par la séance royale : d'autres y voyaient le dessein de faire rayer l'affaire du rôle, en l'ajournant jusqu'au moment de la rupture. C'est ce qui est arrivé, et sur le réquisitoire de l'avocat général (M. Billot), attendu qu'il résultait de la lettre en date de ce jour, adressée par Mgr. le garde des sceaux à M. le procureur du roi, que le duc de San-Lorenzo avait cessé d'être reconnu en qualité de ministre plénipotentiaire de S. M. le roi d'Espagne, qu'en conséquence il n'avait plus, auprès des tribunaux français, caractère suffisant pour représenter S. M. C.; le tribunal dit qu'il n'y avait lieu à statuer, et que la cause serait rayée du rôle.

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Id. id.

Cour royale.- Procès de Perlet.-Le jour même où le tribunal de commerce avait rendu, entre M. Potier et le théâtre de la Porte-Saint-Martin, le jugement qui a été infirmé par arrêt de la cour royale, il avait adjugé une indemnité de 15,000 fr. à M. Perlet, contre l'administration du Gymnase-Dramatique. Les motifs de cette dernière décision étaient qu'on ne prouvait point que Perlet eût eu connaissance de l'engagement par lequel le Gymnase s'est soumis, envers l'autorité supérieure, à souffrir que ses acteurs puissent être appelés aux théâtres royaux.

L'appel interjeté par les administrateurs a été plaidé aujourd'hui devant la première chambre de la cour royale par M. Berryer père pour le Gymnase, et par M. Berryer fils pour Perlet. La cour, conformément aux conclusions de M. Quecquet, avocat général, a reconnu l'impossibilité d'admettre que Perlet n'eût point connaissance des engagemens qu'il était tenu d'exécuter.

Perlet a été condamné au paiement des frais des deux procès, et la Cour a adjugé au Gymnase ses conclusions, qui portent que Perlet sera oblige de débuter au Théâtre - Français, et que, dans le cas où il viendrait à quitter ce dernier

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«< Attendu que dans cet article la coudamnation de Louis XVI n'est point approuvée, qu'elle est même blâmée; que si l'expression du blâme n'est pas suffisamment prononcée, il n'en peut résulter néanmoins ni crime ni délit :

«En ce qui touche l'article des frères Faucher, dont Jouy s'est reconnu l'auteur;

Attendu que cet article qualifie d'héroïques des actes de révolte qui ont déterminé la condamnation de ces deux individus; qu'il établit en outre une comparaison injurieuse entre le régime de 93 et le gouvernement du Roi, comparaison qui même est au désavantage de ce dernier; qu'ainsi il renferme des provocations à la haine et au mépris du gouvernement du Roi:

«En ce qui touche Babeuf;

« Attendu que, s'il a participé à la publication de l'écrit où se trouvent les passages répréhensibles ci-dessus mentionnés, il n'est pas prouvé qu'il ait agi sciemment;

"Renvoie Jay et Babeuf des fins de la prévention;

« Condamne Jouy à un mois d'emprisonnement, à 150 fr. d'amende et aux frais du procès;

« Ordonne que les passages qui ont donné lieu à la présente condamnation, seront supprimés et lacérés dans tous les exemplaires de la Nouvelle Biographie des Contemporains. » (Il y a eu appel en cour royale.)

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Cour d'assises. Deuxième conspiration de Saumur. On se souvient qu'après la fuite de Berton devant Saumur (24 février 1822), quelques-uns de ses complices (Grandménil, Baudrillet, Duret, etc.) s'étaient encore réunis dans l'intention de renouer le com

plot. On a donné dans le récit de l'affaire et du jugement de Berton (Voy. Annuaire historique pour 1822, pag. 82-211, 792) d'assez longs détails sur cette conspiration... Ce dernier procès, qui semble faire partie de celui de 1822, en avait été séparé, parce que la tentative avait un objet distinct, et porté devant la cour d'assises de ce département, le 27 de ce mois, où il a attiré un monde considerable. Mais il n'a point offert de faits nonveaux. Entre les témoins figurait encore au premier rang M. Woelfell, ce sonsofficier des carabiniers de Monsieur, qui avait feint d'entrer dans la conspiration pour en connaître le but et en faire saisir les agens. A cette occasion il développa les détails qu'il avait donnés devant la cour d'assises de Poitiers, sur ses rendezvous et ses communications avec Berton, Grandmenil et les accusés maintenant traduits en cause. Mais il n'est résulté de toutes les dépositions rien de plus positif sur les personnages importans qu'ou supposait être les moteurs secrets de la conspiration (c'était surtout M. de La Fayette, qu'on prétendait compromis pour avoir eu des rapports intimes avec Grandménil et Baudrillet), et en définitive, après quatre audiences employées à l'audition des témoins et des plaidoiries, Baudrillet et Duret ont été condamnés à la peine de mort, et Lalande à trois années d'empri sonnement, comme non révélateur. La clémence royale a commué pour les deax premiers la peine capitale en vingt années d'emprisonnement.

FÉVRIER.

4. Londres. Générosité royale. Le Roi a écrit au comte de Liverpool pour lui annoncer qu'il fait présent à la nation britannique de la bibliotheque particulière du roi George III, son père. La lettre du Roi n'est pas longue, mais elle exprime avec élégance et noblesse les sentimens patriotiques du monarque. Elle fixe à cent vingt mille le nombre de volumes formant cette superbe collection, et elle donne pour motif de la décision de S. M., qu'on ne pouvait donner à ces richesses littéraires une destination plus conforme aux sentimens d'un père, modèle pendant un si long règne de toutes les vertus publiques et privées. 5. Paris. Institut royal. — L'Académie des sciences vient de nommer M. Darcet pour succéder à feu M. Berthollet dans la section de chimie.

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6. Paris. Cour royale.- Affaire de M. Benjamin Constant.-Une foule de personnages distingués du parti libéral s'était rendue à cette audience, où la Cour avait à prononcer sur un double appel du prévenu et du ministère public, dans une double affaire relative à deux lettres de M. Benjamin Constant, l'une à M. Mangiu, procureur général près la cour de Poitiers, l'autre à M. de Carrère, souspréfet de Saumur. La cour royale n'a pu aujourd'hui prononcer que sur la première. Il est inutile d'en rappeler le sujet, il a été suffisamment expliqué l'année dernière. (Voy. Annuaire historique pour 1822, page 817.) Il s'agissait de savoir si l'écrit de M. Benjamin Constant pouvait être justifié comme ayant été dicté par le sentiment de sa défense personnelle. A cet égard son défenseur, maître Mollot, rappelle les faits et les développemeus donnés lors de l'affaire de Poitiers. Son système est que les récriminations de M. Benjamin Constant contre le procureur général de Poitiers n'étaient qu'une réponse modérée aux inculpations graves dont lui et plusieurs de ses collègues avaient été l'objet, soit dans l'acte d'accusation dressé par M. Mangin, soit dans les plaidoyers de ce magistrat à la cour d'assises. Il fait observer que la cour de cassation, en rejetant la plainte portée contre M. Mangin, , par MM. Benjamin Constant, Foy, Lafitte et Kératry, s'est empressée de reconnaître que le procureur général s'était servi de termes peu mesurés. « Cette qualification, dit-il, est douce, et peutêtre M. le procureur général Mangin est il disposé à en rendre grâce à la cour de cassation, mais elle est en réalité un blâme, ou tout au moins une désapprobation de la conduite tenue par M. Mangin. N'est-il pas en effet reprochable celui qui, chargé par la loi de veiller à l'administration de la justice, a provoqué contre lui-même l'avertissement des magistrats de la Cour suprême? M. Benjamin Constant, qui s'est vu l'objet d'une accusation odieuse, conçue dans des termes si peu mesurés, n'a-t-il pas eu droit de se plaindre et de repousser l'attaque par un écrit? »

M. Benjamin ajoutant au plaidoyer de son avocat, exposa la nécessité ou il s'était trouvé de repousser les insultes qui lui avait été adressées à lui et à plusieurs de ses collègues, par M. Mangin, dans leur caractère de député.

L'avocat du roi (M. de Broë) a soutenu son appel à minimá, par des raisons

déjà données sur le devoir où un magistrat se trouvait d'établir toutes les données d'une accusation, sur la nécessité ou il s'est trouvé lui-même de répondre à des opinions émises à la tribune, et sur celle de protéger la magistrature contre les récriminations passionnées de parti... Quand il serait vrai, dit-il, que le plaidoyer du 5 septembre contient une diffamation de la part de M. le procureur général près la cour royale de Poitiers, il n'en résultait pas le droit légal d'attaquer ce magistrat, il en résultait seulement le droit de porter plainte devant l'autorité compétente, pour faire punir le délit et réparer le préjudice.

M. Benjamin Constant reprenant encore la parole, improvisa de nouvelles observations. « Je remercie, dit-il, M. l'avocat général de m'avoir découvert un moyen de défense auquel je n'avais point pensé. Si M. Mangin est excusable parce que ses invectives ont été provoquées par des opinions émises à la tribune, je suis excusable moi-même, puisque j'ai été violemment provoqué.

«On dit que nous ne devons nous en prendre qu'à nous-mêmes du malheur de nous voir sans cesse indiqués par des factieux comme un centre de ralliement, comme des conspirateurs tout prêts à former le noyau d'un gouvernement provisoire. Le système de M. Mangin est plus propre que toute autre chose à créer une foule de gouvernemens provisoires futurs. Est-il étonnant que des hommes turbulens ou provoqués se réunissent toujours dans toutes les entreprises, autour du nom d'hommes que les libellistes ne cessent de signaler comme d'audacieux conjurés, comme les chefs présumés de tous les complots? Je suivrais une marche bien différente si j'étais chargé de calmer les factieux. Je leur dirais : Que voulez-vous? où espérez-vous arriver, personne ne vous appuiera; tout succès est impossible. Au lieu de cela, on leur cite tout ce qu'il y a d'hommes recommandables par leurs talens, leur moralité, leur fortune, leur existence sociale, et on leur crie Voilà vos chefs; voilà les hommes prêts à vous seconder; ce sont ces hommes mêmes que vous regardez comme l'élite de la nation. Avec ce systeme, on fait des conspirations à plaisir, on les met en serre chaude, on établit une manufacture de complots par ces éternelles rumeurs de gouvernemens provisoires et de comités directeurs. »

En terminant, M. Benjamin Constant

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