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CHAPITRE XI.

TURQUIE. Suite des négociations avec la Russie et du système envers les

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Grecs. Incendie à Constantinople. Armement général des Musulmans. part de la flotte. Nouvelles représentations faites par lord Strangford. Mesures contre les janissaires. — Disgrâce de Dschanib-Effendi. Concessions faites par la Porte ottomane. Destitution du nouveau grand visir. Retour de la flotte. - État des affaires avec la Perse.

Changement du grand visir.

- Naissance d'un fils du Sultan. — Dė

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L'ADMINISTRATION du gouvernement turc paraissait avoir acquis plus d'ordre, de calcul et de régularité depuis la chute du favori Halet-Effendi. Les janissaires, d'accord avec les ulémas, satisfaits de leur triomphe et de voir leurs amis dominer au divan, n'usaient même plus de la prérogative d'y envoyer des représentans. Le grand visir Aldullah-Pacha, le grand amiral Khosrew MehmedPacha et le fameux Dschanib-Effendi, plus influent qu'eux, quoique inférieur en dignité, dirigeaient le frèle gouvernail de l'État avec une modération inouïe depuis l'époque de l'insurrection grecque. A Constantinople on mettait en liberté les Grecs arrêtés dans le cours de la guerre, et on les traitait tous avec les mêmes égards qu'auparavant. Dans les provinces, on ordonnait de traiter les rajas soumis avec douceur, et de ramener par les mêmes voies ceux qui étaient encore sous les armes. Le patriarche écrivait dans ce sens, aux prélats de l'église grecque, des circulaires apostoliques qu'ils ne daignaient pas même lire. C'est dans ce système de conciliation que le reis- effendi, cédant aux sollicitations des médiateurs autrichien et britannique, le baron d'Ottenfels et lord Strangford, adressa directement au comte de Nesselrode une note (du 26 février) rédigée dans le style diplomatique habituel, comme pour notifier à l'empereur de Russie la nomination des hospodars ét le nouvel ordre de choses établi dans les principautés. On a vu (page 315) quelle réponse le cabinet russe avait fait à cette note. Mais le ministère qui avait montré cette disposition conciliatoire

n'existait déjà plus. Un de ces événemens qui précèdent toujours à Constantinople les catastrophes ministérielles, un incendie terrible avait éclaté le 1er mars aux environs de Top-Hana (fonderie impériale de canons) d'où il s'était répandu avec une incroyable rapidité par un vent violent qui changea plusieurs fois de direction, dans tout le quartier dont Péra occupe le sommet, et Galata la base dans un circuit d'une lieue et demie. Le feu, qui avait pris à neuf heures du matin dura jusqu'à quatre heures après midi dans sa grande violence, et si le vent n'eût tourné au nord, le beau faubourg Péra était enveloppé dans ce désastre. Tous les bâtimens de la fonderie impériale, 1200 pièces de canon, une partie du train d'artillerie, d'immenses approvisionnemens pour l'année, plusieurs casernes, 50 à 60 mosquées, plus de 8,000 maisons furent la proie des flammes.

Les Turcs, consternés, stupéfaits de voir que l'incendie n'atteignait pas le quartier des chrétiens, s'écriaient: Dieu est avec les infidèles! Plus de mille musulmans avaient péri dans l'incendie, et quarante mille restaient sans pain et sans asile, au milieu des décombres de leurs habitations.

Contre l'usage antique de ses aïeux, le sultan Mahmoud ne s'était point montré dans l'incendie; le muphti lui avait représenté que cette démarche enhardirait les factieux auteurs de ce désastre, que plusieurs groupes de femmes étaient déjà postés sur le passage que S. H. devait traverser pour s'y rendre, dans l'intention de faire retentir impunément leurs plaintes à ses oreilles. Le grand seigneur, se rendant à ces représentations, se mit en prières, et se contenta d'envoyer quelques-uns de ses principaux officiers pour encourager les travailleurs, et 500 bourses (250,000 piastres) pour secourir les incendiés.

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On a attribué ce désastre au mécontentement des janissaires, dont quinze ortas avaient ordre de se rendre à l'armée de Thessalie; et aux yamacks qui, devant être embarqués pour l'Archipel, mirent exprès le feu aux établissemens maritimes. Le peuple luimême, effrayé par des prophéties prétendues, arrivées récemment de la Mecque, ne montrait plus la même férocité contre

les Grecs, et on entendit des femmes s'écrier dans l'incendie, que le ciel vengeait le sang des innocens Chiotes et les fautes du gouvernement.

Néanmoins le grand seigneur, loin de céder à cette explosion des passions populaires, résolut de faire tête aux séditieux, et de congédier du visirat Abdullah-Pacha, l'ami des janissaires. Suivant le hatti-schérif adressé en cette occasion à son successeur, S. H. n'avait à reprocher à l'ex-visir Abdullah-Pacha « que d'avoir négligé les affaires du visirat dans un moment où tous les visirs, ulémas, conseillers d'État et généraux, devaient travailler de concert à remédier aux désordres. » En conséquence elle enjoignait spécialement au nouveau visir Ali-Bey « de penser jour et nuit à diriger les affaires pressantes de la Morée et de la Perse d'une manière à conserver la dignité de la religion et à garantir la sécurité de sa haute résidence et de toutes ses autres possessions. »

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Ali-Bey avait été employé antérieurement dans un poste élevé du Sérail, d'où il avait été éloigné par Halet-Effendi, mais il avait toujours conservé l'estime du sultan et cultivé des liaisons avec les ulémas, dont le crédit le fit enfin appeler à la première dignité de l'empire.

Le renvoi d'Abdullah-Pacha n'apporta point grand changement à la direction des affaires extérieures où Dschanib-Effendi avait encore la principale influence, mais il fut suivi de mesures sévères pour le rétablissement de l'ordre dans le corps des janissaires. On déploya plus d'activité dans les armemens de terre et de mer. Des Tartares furent à l'instant expédiés aux pachas des provinces du Danube, à ceux de la Macédoine et de l'Épire, pour ordonner une levée de tous les Musulmans entre quinze et cinquante ans, et fixer le rendez-vous général en Thessalie, sous les ordres du seraskier Mehmed, ancien kiaya de Kourschid.

Au milieu de ces préparatifs, le sultan perdit un fils, le prince Ahmed; mais quelques jours après (le 20 avril) il lui en naquit un autre auquel on donna le nom de Abdul-Metschid, c'est-àdire serviteur du Dieu de gloire, nom inusité dans la famille régnante, mais dont l'influence astrologique devait le préserver du

sort de ses aînés, tous morts en bas âge. Cet événement donna lieu à des réjouissances qui durèrent sept jours.

(1er mai.) Cependant, malgré le désastre de Top-Hana et la perte de tant d'artillerie et d'équippemens de marine, une flotte nombreuse, composée de frégates et de bâtimens légers était à l'ancre devant les Dardanelles. Le mauvais succès des dernières campagnes avait décidé la Porte à changer son système naval, à renoncer à l'emploi des vaisseaux de ligne, dont l'usage était plus funeste qu'utile dans une mer pleine de récifs et de bas-fonds, à n'employer que des bâtimens légers, et à diviser les forces navales en plusieurs escadres, afin de diminuer le désordre des manoeuvres et le danger des nombreux brûlots grecs.

Avant le départ du grand amiral, l'internonce d'Autriche et l'ambassadeur d'Angleterre lui firent chacun une visite, et eurent un long entretien avec lui. Ils lui recommandèrent non-seulement l'intérêt de la navigation et du commerce de leur pays, mais aussi, et dans les termes les plus pressans, l'intérêt de l'humanité dans les expéditions qu'il allait entreprendre. Ils lui représentèrent, de la manière la plus forte, le mécontentement général de l'Europe, et tout le tort que ferait à l'empire turc le retour des scènes sanglantes qui ont marqué les époques antérieures de cette malheureuse guerre, Khosrew-Pacha leur assura de son côté que les ordres précis qu'il avait reçus de son gouvernement étaient conçus dans le même sens; que ses propres désirs et sa conviction y étaient parfaitement conformes, et qu'il était fermement décidé, s'il n'y était pas obligé par des attaques immédiates, à n'employer la force sur aucun point avant d'avoir épuisé toutes les voies de bonté et de réconciliation; mais que, même à la dernière extrémité, il ne sévirait que contre des ennemis armés, et jamais contre des individus sans défense.

Le capitan-pacha avait pour l'expédition actuelle les pouvoirs les plus étendus qu'on eût peut-être jamais donnés au commandant d'une flotte turque, et son départ fut accompagné d'une circonstance remarquable. Comme il allait mettre à la voile ( 3 mai ) le sultan se rendit inopinément de son palais d'été de Beschirkbasch,

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à bord de la frégate que montait le grand amiral; il y demeura jusqu'à ce qu'elle eût doublé la pointe du Sérail, et en quittant le capitan-pacha, il lui remit un présent de 500 bourses (250,000 f.) et une assignation de 1,500 bourses sur le trséor, pour les distribuer entre ses équipages. On peut juger, d'après ces circonstances, de l'importance que la Porte ottomane et ses amis attachaient à cette expédition, composée de soixante voiles (1), sans compter celles du pacha d'Égypte et des puissances barbaresques qui devaient la joindre et passer sous les ordres du capitan - pacha... Il avait pour mission de prendre des troupes sur la côte d'Asie, d'où il irait ravitailler Négrepont, Coron, Modon, Patras et Corinthe; faire le siége de Missolunghi, et diriger au besoin les opérations contre la Morée, avec carte blanche pour toutes celles qu'il pourrait tenter contre les îles insurgées. On verra qu'il ne remplit qu'une petite partie de sa mission, dans le récit séparé que nous ferons de cette campagne.

Tandis que la puissance ottomane luttait avec peine contre une petite portion de ses sujets, le divan résistait avec une incroyable obstination aux instances réitérées des premiers potentats de l'Europe, qui réclamaient en vain le rétablissement des usages anciens pour le commerce de la mer Noire, la liberté de leurs pavillons, l'évacuation entière de la Valachie et de la Moldavie, impunément livrées aux concussions de leurs hospodars, et au despotisme féroce des pachas. La Porte avait bien accordé à lord Strangford la rélaxation des quatre bâtimens russes saisis à Constantinople, et de la mise en liberté de quelques boyards arrêtés en violation des lois et des traités : mais elle ne se relâchait presqu'en rien de la rigueur de son système sur la navigation de la mer Noire; elle éludait constamment l'évacuation complète des deux principautés. On est frappé en lisant la note présentée à la sublime Porte par l'ambassadeur d'Angleterre, le 11 août 1823, de la gravité de ses plaintes, et de la patience avec laquelle on endurait de tels griefs. Quoi qu'on ait dit de l'aveuglement et du stupide orgueil du divan, on est forcé de croire qu'il avait bien apprécié les difficultés politiques qui empêchaient l'effet des menaces inutilement réitérées contre la

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