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n'avait jamais été entièrement détruit; eût-il péri dans les lois, il se serait conservé dans les esprits, asile inexpugnable de la dignité de l'homme contre les entreprises de l'autorité. Nous sommes, nous serons toujours fidèles et dociles, mais comme l'ont été nos pères, avec quelque discernement, selon les lois de la morale et de l'honneur, et sans abdiquer notre juste participation aux affaires de notre pays. Nous croyons avoir des droits que nous ne tenons que de la nature et de son auteur; et c'est nous imposer un sacrifice au-dessus de nos forces que de nous demander notre sang pour le triomphe du pouvoir absolu.

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Non, elle n'a point été conçue dans la pensée royale, une guerre qui blesse la dignité héréditaire de la nation, et qui semble rétracter les principes de la Charte. Elle appartient tout entière, dirai-je, à un parti ou à un système, qui, n'ayant jamais compris la restauration que comme un châtiment, s'est constamment appliqué à la faire tourner à l'humiliation de la France. Mal réprimé par les uns, mal combattu par les autres, ce système a prévalu; il règne, il est partout, il corrompt tout, la Charte, le gouvernement représentatif, l'administration; il corromprait, si cela était possible, jusqu'à la religion, qu'il appelle à la défense des passions qu'elle condamne.

« Il attaque aujourd'hui l'indépendance de l'Espagne, parce que la cause de l'indépendance des nations fut long-temps la nôtre; il fait de cette injuste agression la cause du pouvoir absolu, parce que le pouvoir absolu lui est cher, et qu'il lui est nécessaire pour accomplir ses desseins. Faible et décrié au dedans, il est allé chercher au dehors l'appui des gouvernemens absolus, et c'est d'eux qu'il emprunte, il s'en glorifie, ce droit d'intervention dont ils ont créé, il y a cinquante ans, la facile théorie et la terrible pratique. Comment ces gonvernemens protégent les peuples? la Pologne! sanglaut berceau de la sainte alliance est là pour le dire; l'Italie le dira un jour.

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Et moi aussi, Messieurs, je suis Français, sans doute, et c'est à ce titre que je viens m'opposer à une guerre qui menace la France autant que l'Espagne, et que je m'élève contre le système auquel je l'impute. De tous les devoirs que j'ai pu remplir envers la monarchie légitime, aucun ne m'a jamais paru plus sacré, plus pressant. Puis-je me taire quand d'avengles conseils la précipitent? Comme elle a été la pensée, le vœeu, l'espérance, je pourrais presque dire l'action de toute ma vie, elle est aujourd'hui le premier de mes intérêts, si on peut donner ce nom d'intérêt aux affections les plus désintéressées, les plus inaliénables. Et quel autre sentiment pouvait m'amener à cette tribune? Puisque j'ai vu la restauration s'accomplir, qu'ai-je à souhaiter, si ce n'est qu'elle s'affermisse et s'enracine chaque jour davantage dans les intérêts publics, si ce n'est qu'elle aime la France pour en être aimée? Je vote contre le projet de loi. »

Plusieurs voix s'élevèrent après ce discours pour en demander l'impression; elle fut refusée. A cette occasion, M. Mestadier ayant proposé qu'aucun des discours de cette discussion ne fût imprimé, M. le président rappela que le règlement s'opposait à cette décision en masse; mais on verra que la majorité de droite en fit une application générale.

M. de la Bourdonnaye, inscrit pour parler en faveur du projet, examina moins la question en elle-même que la conduite des mi

nistres, et surtout celle du président du conseil, dans les négociations qui ont précédé la rupture.

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Profondément pénétré, dit-il, de la nécessité de la guerre pour mettre un terme à la révolution espagnole, et éteindre enfin un incendie qui menace l'Europe de nouveaux embrasemens; également convaincu que les hommes qui nous gouvernent n'ont jamais voulu, ne voudront jamais la guerre, parce qu'ils ne veulent pas détruire, mais seulement modifier cette révolution, je me trouve placé dans la plus cruelle alternative où puisse se rencontrer un député fidèle.

Refuserai-je au gouvernement du Roi les subsides qu'il demande pour commencer la guerre? ou accorderai-je aux ministres qui ne la veulent pas de nouveaux moyens de poursuivre leur système funeste, de modifier la constitution des cortès, de faire triompher une faction en imposant à un roi captif et à une nation asservie une charte qu'ils repoussent également; une charte, garantie odieuse des intérêts matériels que la révolte a fait naitre, c'est-à-dire, garantie des places, des honneurs, des fortunes que la révolution a créés et qui ne peuvent être maintenus sans faire triompher en même temps son esprit, sans perpétuer ses intérêts moraux, sans sanctionner par un dangereux succès ces doctrines funestes de la souveraineté du peuple et de l'insurrection, germes féconds de révolutions nouvelles?

Puis-je accorder de nouveaux subsides, pour commencer la guerre, à des hommes qui s'y sont constamment opposés, et dont l'intérêt évident est de s'y opposer encore, parce qu'il est impossible qu'ils ne voient pas, ce qui n'échappe à personne, qu'ils ne peuvent honorablement pour eux, et sans danger pour le pays, diriger une entreprise qu'ils travaillèrent trop long-temps à rendre impopulaire, pour qu'ils puissent aujourd'hui donner à l'esprit public cet élan sans lequel une guerre ne peut devenir nationale, et par conséquent obtenir de succès dans un gouvernement représentatif?

Ici l'orateur se plaint de l'absence de tous documens officiels, et le défaut de cette production est à ses yeux la preuve que l'on continue des négociations avec la révolution espagnole.

« Et ces immenses préparatifs entassés sur nos frontières, ajoute-t-il, et ces subsides considérables que l'on vous demande, n'ont pour but que d'effrayer les cortès, que de les amener à des concessions, à des modifications à leur charte, qu'une nation fidèle pourrait consentir à recevoir des mains d'un pouvoir légitime, mais qu'il serait odieux, qu'il serait, j'ose le dire, révolutionnaire de lui imposer, et qu'elle est trop fière et trop courageuse pour se soumettre à tenir de l'alliance de la révolte avec une puissance étrangère.

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C'est ici, sans doute, que des documens officiels jetteraient un grand jour sur une discussion si importante; mais vous le sentez, Messieurs, il ne peut rester aucune trace d'une partie si secrète des négociations, et d'autant plus secrète qu'elle est plus criminelle. Dans quelles archives d'un gouvernement représentatif, en effet, des ministres responsables oseraient-ils déposer de pareils documens? Nous ne les demanderons done point ces documens; mais, à défaut de ces actes officiels, n'avons-nous pas assez de faits publics, et n'existe-t-il pas une conviction générale trop profonde pour n'y pas suppléer? N'était-il pas intérieurement poursuivi par cette conviction générale le

ministre qui, devançant l'accusation que je porte aujourd'hui, vous disait naguère en comité secret : « J'avais besoin d'un ministre à Madrid, non pour négocier, mais pour protéger le monarque contre la fureur des factieux. Je n'avais pas cent mille hommes alors sur les Pyrénées pour leur imposer.

« Et c'est après la catastrophe du 7 juillet; c'est après la réponse insolente des cortès aux notes des quatre grandes puissances continentales; c'est lorsque la présence de ce même ministre n'a pas même pu protéger la personne sacrée de notre Roi des sanglans outrages des discussions publiques de Madrid, qu'un ministre du Roi ose donner sérieusement un si futile motif de la présence de son ambassadeur auprès du gouvernement des cortès!

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Non, Messieurs, une trop funeste expérience ne permet pas de croire que l'on impose aux factieux par des ambassadeurs. La pairie donnée au ministre de la France, qui n'a pas pu, qui ne pouvait pas remplir la mission' patente qu'on lui attribue, et la récompense accordée à son secrétaire de légation, nécessairement immiscé dans tous les secrets d'une négociation que l'on désavoue aujourd'hui, prouvent assez que M. de La Garde avait une autre mission que de protéger le monarque ; et que, s'il n'y a pas en plus de succès, il y a du moins travaillé avec un zèle digne de la reconnaissance qu'on lui a témoignée. Mais pourquoi recourir au passé pour prouver que le but des hommes qui nous gouveruent est de modifier et non d'écraser la révolution au delà des Pyrénées! Ce qui se passe en ce moment sous nos yeux n'en est-il pas la preuve la plus évidente?

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Pourquoi, semant chaque jour la division au milieu des Espagnols fidèles, brise-t-on parmi eux tout centre d'unité? Pourquoi détruit-on d'avance tout principe de réorganisation, par la dissolution d'une régence qui peut avoir commis des fautes sans doute (1), mais que l'Espagne fidèle avait reconnue, mais à laquelle l'armée tout entière de la foi avait prêté serment d'obéissance? si ce n'est pour prévenir toute opposition, toute résistance au système ministériel en Espagne, et soumettre plus facilement des partis divisés, et cette constitution nouvelle qu'on veut à toute force imposer.

« Avec cette régence vous obteniez un emprunt, un gouvernement provisoire, une administration centrale pour vos subsistances, qui vous ôtait tout l'odieux des réquisitions, et fournissait à tous vos besoins.

« Trouverez-vous les mêmes ressources, le même appui, la même force dans cette junte nouvelle (2), placée à la tête de votre armée, et présidée par son général, ouvrage d'un ministère français, plutôt considérée comme une branche des administrations françaises que comme un pouvoir politique espagnol ? à quel titre obtiendra-t-elle la confiance d'un peuple fier qui préfèrerait mille fois courber sa tête sous le joug le plus dur d'une révolution nationale que de se soumettre à la constitution la plus sage imposée par une force étrangère. (Mouvement d'adhésion à gauche.)

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Réduite à n'être qu'un instrument passif entre les mains des hommes qui nous gouvernent, cette junte n'atteindra pas son but. Jamais elle ne parviendra à colorer, même en apparence, la violence de nos mesures et le despotisme de notre politique.

«C'est pourtant pour parvenir à la faire triompher cette politique, c'est pour parvenir à modifier une révolution qu'il faut de toute nécessité détruire; c'est pour consacrer ses doctrines, pour plier sous le joug constitu

(1) Voyez chap. de l'Espagne.

(2) Ibid.

tionnel, et un peuple qui s'y refuse et un Roi qui le repousse, que tant de sujets fidèles ont péri; que l'armée de la foi, abandonnée à elle-même a succombé ; que ses places fortes ont été enlevées en présence d'une armée fran- ' caise campée à leurs portes, et qui n'avait qu'un mouvement à faire pour les secourir. Et dans quel moment, Messieurs, a-t-on respecté le territoire espagnol ? à l'instant où des cruautés inouïes commises en violation de notre propre territoire nous donnaient le droit de représailles et justifiaient toute possibilité. Mais ces hostilités nous conduiraient à la guerre, et nous ne voulons pas, nous ne voudrons jamais la guerre.

« Cependant ce n'était point assez dans le système du ministère de tout préparer dans la Péninsule, pour éloigner les résistances et vaincre les oppositions aux modifications que l'on voulait introduire dans la constitution des cortès; il fallait encore éloigner toute résistance étrangère en repoussant toute intervention continentale. Le ministère y a réussi, et c'est surtout dans la connexité des efforts qu'il a faits pour désarmer à la fois et les Espagnols fidèles qui pouvaient le contrarier dans sa marche, et les puissances continentales, dont le concours eût dérangé son plan, qu'il vous sera impossible de méconnaitre avec quelle profonde et tortueuse politique a été conduit de longue main ce plan de modifier et non de détruire la révolution espagnole.

« Pour vous en convaincre, Messieurs, jetons les yeux sur ce qui s'est passé à Vérone.

Placée par d'anciens traités dans une liaison étroite avec tout le Continent, membre de cette sainte alliance, seule garantie des trónes contre l'invasion révolutionnaire, incitée par l'exemple de l'Autriche en Italie, pressée par les sollicitations de ses alliés à écraser enfin la révolution espagnole, la France n'avait qu'à se présenter au congrès comme libératrice de la Péninsule pour reprendre le rang et l'influence que sa position et sa puissance lui assurent en Europe.

« Les hommes qui nous gouvernent ne trouvèrent pas sans doute un pareil rôle assez beau. Déterminés à gagner du temps, ils crurent faire assez en réclamant un droit d'intervention qu'ils avaient depuis long-temps le devoir, mais non le courage ou la volonté d'exercer.

« Ce droit est reconnu. Des notes diplomatiques sont concertées; elles proclament les grands principes de l'ordre social; elles fixent le rappel simultané des ambassadeurs. Un manifeste signé des quatre grandes puissances continentales allait précéder l'entrée de l'armée française en Espagne; c'était, si j'ose le dire, à la tête de la révolution tout entière, que nous allions combattre les ennemis de tout ordre et de tout pouvoir légitime, ou plutôt que nous allions soutenir dans cette grande entreprise l'armée de la foi marchant à la délivrance de son Roi, de son pays, de l'Europe menacée de nouvelles catastrophes.

. Cette mission nous plaçait trop haut, elle ne tendait à rien moins qu'à anéantir d'un seul coup toutes les révolutions; et la France, naguère l'effroi du monde, en devenait le salut.

« Un Français ne vit dans la gloire de son pays, dans le triomphe de la légitimité, que la ruine de son système, que la condamnation de sa politique; plus puissant lui seul que tout le conseil ensemble, il rompt des engagemens solennellement sanctionnés par une grande récompense, et désertant la sainte alliance au moment où il venait d'en resserrer les nœuds, il substitue à une note géminée, qui proclame tous les grands principes de l'ordre social, une déclaration solitaire qui place sur la même ligne la fidélité et la trahison... » Annuaire hist. pour 1823.

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Ici l'honorable orateur reproduit sous d'autres formes les accusations qu'il a dirigées contre le ministère, ou plutôt contre le président du conseil.

Voilà cepen·lant, ajoute-t-il, le but auquel tendent les hommes qui se présentent aujourd'hui pour demander de nouveaux subsides.

« Pouvons-nons espérer qu'éclairés par cette discussion, ils changeront de système et reviendront à une politique plus couforme aux doctrines que nous professons? Je l'ignore.

■ Toutefois le passé, garaat de l'avenir, n'est-il pas là pour nous répondre? n'est-il pas là pour nous donner la mesure de leurs vues, de leur caractère, de leur energie? car c'est par le caractère et par l'énergie, plus encore que par les talens, que les hommes d'état imposent aux partis, dominent les affaires, et gouvernent le monde.

Eh bien, Messieurs, quelle garantie d'un meilleur avenir trouveronsnous dans le passé que je viens de parcourir? aucune, sans doute; et si ma détermination ne reposait que sur cette espérance, mon vote ne serait pas douteux.....

• Mais la question se complique. Ce n'est pas simplement des hommes qu'il s'agit. Reponsser l'emprunt, ce n'est pas voter seulement contre le systeme ministériel; c'est voter aussi contre la guerre ; ajourner la guerre, c'est maintenir la révolution et la faire triompher.

Jetez les yeux autour de vous, Messieurs, voyez sur le Continent comme au delà des mers ses partisans s'agiter.

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Radicaux et Carbonari, hommes séduits par les doctrines nouvelles, et philanthropes sans prévoyance, amis passionnés des arts et de l'industrie, et calculateurs économistes, qui ne voient de gouvernement qu'à la Bourse, de bonheur pour les peuples que dans le mouvement rapide du commerce, tons, jusqu'à ces hommes d'état, dont la politique étroite n'embrasse qu'un seul point de vue, tons demandent aujourd'hui la paix avec la même fareur que naguère ils demandaient la guerre. Plus éclairés que nous sur leurs veritables intérêts, ils savent que c'est à Madrid que se décidera le sort des révolutions... »

M. Alex. de Laborde, succédant à la tribune à M. de la Bourdonnaye, oppose à la déclaration de guerre contre l'Espagne des considérations tirées des mœurs et du caractère des habitans, des variations du climat, de la nature du pays, de la difficulté des communications, de l'insuffisance des produits pour fournir à la subsistance d'une armée, et des dépenses énormes que la guerre entraînerait. Il expose que, si la dernière guerre d'Espagne a coûté plus d'un milliard, les dépenses de la nouvelle expédition seront plus considérables en proportion.

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Outre l'armée de la foi qu'il faudra solder et équiper, dit-il, il faudra payer tout le gouvernement nouveau, créer, pour ainsi dire, un second

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