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terai aussi de m'appesantir sur ce qui s'est passé pendant et après le congrès de Vérone. Je ne vous rappellerai pas la conduite versatile de la partie influente du conseil des ministres; ses contradictions et surtout sou imprudence à l'instant où, prête à recueillir le fruit de son inexpérience et à subir la guerre qu'elle voulait éviter, elle n'a pas craint de rompre l'union de la France avec le Continent, d'òter aux notes géminées des souverains alliés cet ensemble qui faisait leur force, et d'arriver ainsi à un but contraire à celui qu'elle voulait atteindre, en inspirant à la révolution espagnole assez de présomption pour lui donner l'audace de braver l'Europe et de la forcer à la guerre.»

M. de Lalot, personnalisant d'une manière plus directe encore la discussion et ses reproches, s'écriait:

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Et pourquoi donc le ministre qui se trouve seul intéressé dans cette question ne prend-il pas la parole? N'est-ce pas de sa bouche que nous devions recueillir ces explications franches que lui-même sollicitait autrefois du ministère, lorsqu'il invoquait ici toute la sincérité du gouvernement représentatif?

« Nous avons été accusés, Messieurs, de vouloir une guerre de fanatisme; nous avons été accusés publiquement, ce qui nous impose l'obligation d'une solennelle apologie.

« L'acensation est partie d'un journal semi-officiel (Journal des Débats), dont les articles politiques se rédigent sous l'influence, sous les yeux, sous la main d'un certain ministre. Depuis trois mois, une partie de cette Chambre est outrageusement signalée à la haine des citoyens comme un parti de fanatiques ennemis de la paix.

« Et pourquoi? parce qu'il convenait alors à ce ministre de négocier à Madrid avec ceux qu'il appelle aujourd'hui les chefs de la révolte. Il lui convenait, dans ce dessein, de laisser sans protection deux choses sacrées pour tous les hommes, la foi et le malheur; et, par une conséquence étroitement liée au principe de ce système, il fallait que, dans le même temps où l'Espagne voyait les défenseurs de la liberté de son roi abandonnés sans armes au fer de ses oppresseurs, il fallait qu'en France tous ceux qui partageaient les sentimens de ces généreuses victimes fussent immolés à la dérision publique.

Mais le ciel a pris soin de confondre cette intrigue politique; et la France saura bientôt que, loin d'avoir voulu la guerre avec les tristes extrémités où ce ministre l'a réduite, si nos vœux, si nos conseils, si nos principes du moins eussent été entendus, ils auraient épargné à l'Europe le scandale d'une insigne duplicité, et à la France les dangers d'une intervention rendue inutile, parce qu'en effet, Messieurs, tout l'argument de cette guerre étant réduit à la captivité de Ferdinand VII, une telle question aurait été tranchée, comme elle devait l'être, sur le terrain de l'Espagne, entre une poignée de rebelles surpris, déconcertés au milieu de leur crime, et l'immense majorité d'une nation fidèle qui ne vous demandait que des armes.

Je sais que, plus alarmé de la baisse des rentes que de la chute des couronnes, et d'autant plus alarmé que, pressé par des obligations qui allaient échoir, vous aviez dans les mains 19 millions de rente que vous pouviez vous flatter de négocier avec avantage au cours élevé de 94; dans une telle situation, vous aviez intérêt sans doute à soutenir le crédit; mais, sans opposer même à cet intérêt des considérations d'un ordre supérieur, croyez-vous maintenant qu'une déclaration franche, qui aurait permis à l'opinion publique d'en

saisir, d'en mesurer tout à coup les conséquences, aurait influé aussi dangereusement sur notre crédit que la longue incertitude où vous avez laissé flotter les esprits ? Et c'est en effet parce que vous avez dissimulé la véritable situation des choses, c'est parce que vous avez laissé à la crainte le temps et le pouvoir de grossir le mal, que la rente s'est précipitée dans une baisse presque inouïe de plus de 20 pour 100, qui a compromis 800 millions de la fortune publique. Cette faute est grave, et ne regarde que vous cependant; car, à l'époque que je signale, vous trouvant à la fois, et ministre des finances, et ministre des affaires étrangères, et président du conseil des ministres, vous ne deviez accumuler tant de titres que pour être plus éminemment le protecteur de toutes les fortanes mobilières engagées dans les fonds publics.

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« Messieurs, ma conscience en appelle à la vôtre, et vous demande si un ministre, convaincu par les faits que je viens de rassembler sous vos yeux, d'avoir manqué de rectitude dans ses principes, de stabilité dans ses desseins, de prévoyance dans ses conseils; un ministre, et je prie la Chambre de peser mûrement cette considération d'une haute politique, un ministre qui a pris des engagemens si profonds, si déclarés, avec le parti contraire aux résolutions qui semblent prédominer aujourd'hui dans le conseil; si, dis-je, un tel ministre peut, sans danger pour l'État, demeurer investi de la direction suprême

des affaires. >>

M. le président du conseil mit dans sa réponse à ces attaques personnelles un calme qui contrastait étrangement avec la chaleur oratoire du préopinant. Dans la première partie de son discours il expliqua les motifs qui avaient fait durer les négociations et maintenu la paix avec les cortès; ce qui lui valut plusieurs marques d'approbation du côté gauche; mais la seconde, où il essaya de justifier le parti de la guerre, et de faire voir qu'avec la meilleure volonté de conserver la paix, on était forcé de recourir aux armes, excita de violens murmures et de vives réclamations du même côté, et reçut de l'autre des applaudissemens unanimes. Nous regrettons de ne pouvoir donner que l'idée de ce discours, qui n'a point été rendu public, mais dont on retrouvera la substance dans une autre occasion.

En définitive, tous les amendemens proposés furent écartés (il y en avait un de M. Laîné); et la Chambre adopta le projet de la commission, tel qu'il avait été présenté, à une majorité considérable.

Résultat du scrutin : nombre de votans, 295; boules blanches, 202; boules noires, 93; majorité en faveur du projet de la commission, 109.

L'adresse fut présentée le lendemain (9 février) au Roi, qui fit à la députation la réponse suivante :

« Je reçois avec le plus grand plaisir l'adresse de la chambre.

« des députés. Je serai fidèle aux engagemens que j'ai pris; mais,

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quoi qu'il puisse arriver, c'est de mon union intime avec les

Chambres qui composent la législature, que résultera la pros« périté de la France à l'intérieur, et sa considération à l'ex⚫ térieur. >>

Ce matin même, M. le comte de La Garde, ministre de France à Madrid, venait d'arriver à Paris, et il fut, peu de jours après, élevé à la pairie, en témoignage de ses services.

Jamais la discussion de l'adresse au Roi n'avait excité au dedans des Chambres des débats si animés, et au dehors un intérêt si vif. C'était aussi la question la plus grave qui s'y fût élevée depuis la restauration. Dès lors on put regarder la guerre comme résolue; mais les discussions suivantes offriront des développemens que celle-ci n'avait fait qu'indiquer, et nous ne craindrons pas de fatiguer l'attention de nos lecteurs; car, en pareille circonstance, il est de notre devoir de laisser les plus amples documens à l'histoire.

Annuaire hist. pour 1823.

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CHAPITRE II.

Présentation de diverses lois. Leur effet sur l'opinion publique. · Plainte portée à la chambre des pairs contre un journaliste (M. Martainville ). — Jugement rendu par la Chambre. — Exposé des motifs du projet de loi pour un crédit éventuel de cent millions, destiné à couvrir les dépenses extraordinaires de 1823.— Rapport fait sur ce projet. — Commencement de la diseussion. Discours de M. Manuel. - Interruption des débats.

(10 févr.) A PEINE l'adresse de la chambre des députés était-elle présentée, et l'opinion publique remise de l'émotion générale causée par ces débats, que M. le ministre des finances vint présenter à la fois quatre projets de loi le 1er pour le règlement définitif du budget de 1821; le 2o pour obtenir un crédit éventuel de cent millions destinés à couvrir les dépenses extraordinaires de 1823; le 3* contenant le budget de 1824, et le 4o l'établissement d'une dotation pour les deux Chambres.-Le ministre avait réuni dans un seul discours l'exposé des motifs qui avaient déterminé les trois premiers projets. L'ordre adopté pour cet ouvrage nous forcera de les séparer, de les rappeler à mesure qu'ils seront soumis à la discussion le ministre de la guerre y ajouta, dans la même séance, un autre projet tendant à appeler au service des vétérans les sous-officiers et soldats dont le service actif avait cessé le 31 décembre dernier.

:

Tant et de si importans projets, mis à la fois sur le bureau, frappèrent l'opposition de surprise, et l'on pourrait même dire de terreur; on s'étonnait qu'au moment où il circulait dans toutes les provinces, surtout dans les villes de commerce, des pétitions pour le maintien de la paix; où la tribune britannique (voyez chap. de l'Angleterre.) retentissait d'injures et même de menaces contre la résolution du ministère français, il osât si hautement annoncer la solution d'une question qu'on ne le croyait pas si prompt à décider. Aussi l'opposition éleva-t-elle beaucoup de difficultés, d'abord sur la formation des commissions chargées d'examiner les divers

projets, ensuite sur l'ordre dans lequel ils seraient délibérés, enfin sur la convenance d'entendre les pétitions pour le maintien de la paix. Il fut décidé qu'il y aurait une commission spéciale pour chacun des projets, et qu'on s'occuperait d'abord de celui des cent millions.

De ces quatre projets, présentés à la fois par le ministre des finances, un seul ( celui relatif à la dotation particulière des Chambres) ne fut point soumis à la discussion, et disparut sans avoir été retiré; mais il n'est pas moins intéressant d'en rappeler quelques détails, avec un incident auquel il donna lieu.

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Le ministre avait surtout insisté, dans son exposé, sur la nécessité de remplacer le provisoire par le définitif, et d'écarter des discussions annuelles deux objets que la dignité de chacune des Chambres ne permettait pas de soumettre aux délibérations de l'autre. Il rappelait les dispositions des lois et ordonnances précédemment rendues sur la dotation du sénat, qui se composait, en 1814, de quatre millions de rente, prélevés sur le produit des fonds de l'État, et d'environ 1,300,000 francs, inscrits pour le Sénat au grand livre de la dette publique et de divers domaines d'un revenu d'environ 250,000 francs.

Dans l'état présent des choses, disait S. Exc., la dotation se compose de 3,625,954 fr.; savoir 2 millions porté chaque année au budget de l'État; 1,358,642 fr. d'inscriptions au grand livre de la dette publique, et 267,315 f., produit des biens des anciennes sénatoreries; et en voici l'emploi dans l'état actuel soixante-dix anciens sénateurs français ou naturalisés reçoivent en pensions 1,570,000 fr.; un ancien sénateur étranger, et trente-deux veaves d'anciens sénateurs, reçoivent en pension 200,000 fr.; soixante dix-sept pairs reçoivent sur le produit des extinctions survenues 924,000; enfin 800,000 fr. sont employés à couvrir les dépenses ordinaires et annuelles de la chambre des pairs.

Dans son projet le ministre proposait, 1o de recourir au domaine de l'État, et de mettre en vente les biens provenant de la dotation du sénat et des sénatoreries (tit. 1er, art. 9); il estimait le produit de la vente à 8,500,000 fr., dont il serait réservé 550,000 fr. qui seraient employés à acquérir le Petit-Luxembourg (art. 2); 2° de supprimer l'allocation de 2,000,000 fr., faite tous les ans au budget pour la chambre des pairs, et de remplacer, au grand livre de

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