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sa rédaction (1) trouva plus d'opposition qu'il n'est ordinaire d'en voir dans cette assemblée. Divers orateurs se firent inscrire pour le combattre : on arrêta de le discuter par paragraphes (2), dont le premier passa sans opposition.

Le second était ainsi conçu : « Oui, Sire, la situation intérieure « du royaume s'est améliorée sous un gouvernement paternel; l'a«griculture, l'industrie, font tous les jours des progrès, tandis « que la sécurité s'est accrue, depuis que l'on a vu la justice répri« mer avec énergie les tentatives criminelles dont l'impunité aug« menterait à la fois et l'audace et le nombre. »

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La discussion étant ouverte au sujet de ce paragraphe, M. le baron Pasquier fait observer que sa rédaction semble distinguer, dans l'administration de la justice, deux époques, à l'une desquelles n'aurait pas été déployée pour la répression du crime cette énergie dont on fait un mérite à l'époque actuelle. « Convient-il à la chambre des pairs, dit S. S., d'ébranler ainsi l'un des plus fermes appuis de la tranquillité publique, l'autorité des jugemens, et de faire, aux dépens du passé, l'éloge du présent ? Un léger changement, qui se borne presque au sens des verbes, ferait disparaître l'espèce de reproche qu'on ne peut se dispenser d'apercevoir dans la rédaction projetée. Ce changement que le 5o bureau avait chargé l'opinant de proposer à la Chambre, consisterait à modifier ainsi la fin du paragraphe : Tandis que la sécurité s'accroît, lorsqu'on voit la justice réprimer avec énergie les tentatives criminelles dont l'impunité augmenterait à la fois et l'audace et le nombre. »

Le rapporteur de la commission (M. le duc de Levis) souscrivait bien au changement de rédaction résultant du temps des verbes, mais non à la substitution des mots, lorsque, à ceux-ci, depuis que, laquelle changeait absolument, selon lui, le sens de la phrase, et transformait en une maxime générale, ce qui dans le projet s'appliquait aux circonstances particulières signalées dans le

(1) Elle était composée de MM. le marquis de Pastoret, le duc de Doudeauville, l'évêque d'Hermopolis, le prince de Polignac et le duc de Lévis. (2) Voyez cette adresse aux documens historiques, fre partie.

discours du Roi. -Mais M. le baron Pasquier n'en insista pas moins

sur le changement total qu'il avait proposé. C'est dans ces mots (depuis que) que se fait apercevoir la distinction de deux époques et l'intention au moins apparente de censurer l'une en prisant l'autre. L'opinant le répète : « Ce n'est point à la chambre des pairs, qui, elle-même dans ce passé que l'on attaque, a été appelée à exercer de hautes fonctions judiciaires, et qui sous ce rapport serait ellemême enveloppée dans le rapport dont il s'agit; ce n'est point à elle qu'il appartient d'ébranler la foi due aux oracles de la justice, et d'affaiblir l'autorité de la chose jugée... »

L'amendement appuyé par divers membres (MM. le comte Molé, le comte de Ségur, etc.) fut encore combattu par d'autres (MM. le marquis de Talaru, le comte de Polignac) qui soutenaient que la rédaction proposée par la commission entrait mieux dans les intentions du Roi, exprimées dans le discours auquel il s'agissait de répondre. La Chambre, consultée sur les deux rédactions du deuxième paragraphe, adopta définitivement celle de M. le baron Pasquier.

Des débats plus longs et plus animés s'élevèrent sur le cinquième, ainsi conçu:

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Pourquoi fant-il qu'il soit perdu pour l'Espagne, l'exemple mémorable du retour rapide et inespéré de notre prospérité, après des malheurs et des pertes inouïs; lorsque ce retour est évidemment dù au triomphe de la légitimité, ainsi qu'à l'alliance intime de la religion, de l'ordre et de la liberté ? Et par quelle fatalité les conseils désintéressés d'un monarque dont l'Europe respecte la sagesse, honore la loyauté, ont-ils été repoussés par ceux qui tiennent sous le jong une nation avec laquelle nous n'avons pas seulement les rapports du voisinage et des besoins réciproques, mais encore les liens qui naissent de l'intérêt politique, d'une commune foi et de la parenté des souverains. »

M. le baron de Barante, premier orateur inscrit contre le projet, propose de substituer à la seconde phrase de ce paragraphe et par quelle fatalité) la phrase suivante:

Nous saisissons avec empressement le dernier espoir que Votre Majesté « semble encore conserver du maintien de la paix; nous sommes assurés que le plus vif désir de votre cœur paternel serait d'épargner à votre peuple les « calamités d'une guerre qui pourrait mettre en danger les plus chers intérêts de la patrie, et compromettre le principe de l'indépendance nationale, sur lequel reposent l'honneur et la sécurité du trône. »

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Dans le développement qu'il fait des motifs de son amendement, le noble pair rappelant les expressions du dernier discours du trône, expose qu'il aime mieux s'attacher à la faible espérance de paix qu'il y trouve encore, qu'aux craintes qui y sont manifestées. Il observe que les dangers amenés par les calamités d'un peuple voisin, que le besoin de garantir la sécurité de la France, ne remontent pas à une date éloignée, et surtout ne tiennent pas à des difficultés essentielles et insurmontables.

«En effet, dit S. S., n'est-ce pas le 4 juin dernier, que, dans son discours d'ouverture de la session, le Roi se plaignait de voir ses intentions dénaturées par la malveillance, qui transformait en préparatifs hostiles de simples mesures sanitaires? (1)...

« A cette époque, nul motif de guerre n'existait donc entre nous et l'Es-` pagne; cependant elle était alors régie par les mêmes lois; tout y suivait un cours analogue aux circonstances actuelles. Nous ne pouvons pas nous empêcher d'en conclure que, si la guerre est inévitable, elle ne sera point fondée, grâce à Dieu, sur cette prétention contraire à toute justice, à tout droit des gens; sur ce prétexte impie de tous les dévastateurs du monde, le droit d'intervenir dans les affaires intérieures d'une nation et de régler son gouvernement; principe qui précipiterait les monarchies sur les républiques, les républiques sur les monarchies, les états despotiques sur les gouvernemens justes et réguliers; qui embraserait sans cesse le monde; principe qui a entretenu vingt-cinq ans de guerre en Europe, parce que, méconnu d'abord contre nous, il a été ensuite méconnu par la France elle-même. Vous l'avez dit vousmêmes, imputer cette doctrine au gouvernement, c'est vouloir rallumer les brandons encore fumans de la discorde et de la guerre ; et selon le discours du trône, la malveillance seule pouvait se permettre une telle supposition.

• Des assurances formelles ont été données en ce sens, non-seulement à la France, mais à l'Europe des actes diplomatiques ont engagé la foi royale contre cette prétention inique et mensongère. C'est sur ces augustes assurances que notre commerce a continué ses opérations; c'est sur cette solennelle promesse que 400 millions sont en ce moment sur la mer, exposés aux corsaires des premiers ennemis que nous nous ferons.

Mais la guerre n'éclatera que pour garantir notre sécurité, non pour menacer celle de nos voisins. La question sur laquelle le Roi a délibéré avec maturité aura été, non pas envisagée avec ce fanatisme politique qui veut porter le fer et la flamme partout où il ne trouve pas conformité à ses passions, et qui cherche à conquérir le pouvoir absolu en Espagne pour le reporter ensuite chez nous; mais elle aura été examinée dans l'intérêt réel de la France.

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• Or, Messieurs, il ne semble pas, du moins d'après ce qui apparait en ce moment aux yeux de tous, que notre sécurité ait été encore dangereusement menacée par les Espagnols. L'investigation ardente du ministère public n'a pas indiqué de connexion entre les conspirations qu'il a poursuivies et les

(1) Voyez l'Ann. hist. pour 1822, discours du Roi, page 627.

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mouvemens qui agitent nos voisins. Les violations de territoire dont on a parlé ont peut-être peu de gravité; des explications peuvent être données; des garanties peuvent être offertes, une médiation peut être acceptée. Le glaive n'est pas encore tiré; et puisque le cercle de la guerre doit être resserré, que sa durée doit être bornée, il n'est pas possible qu'elle soit entreprise pour un motif qui exclut tonte paix, toute issue définitive; qui ne comporte d'autre résultat favorable qu'une occupation odieuse, oppressive et provisoire de l'Espagne, et d'autre résultat contraire que l'envahissement de la force elle-même. Ce serait, en effet, accepter, réclamer même ce dernier des malheurs, que de se porter pour arbitres des circonstances intérieures d'un peuple malheureux et troublé; ce serait dire à la face de l'univers : « Si nous sommes jamais malheureux et troublés, c'est les étrangers que nous voulons........

Divers membres appuyaient, d'autres repoussaient l'amendement proposé. - M. le comte de Ségur, estimant qu'il obtiendrait plus de faveur si la seconde partie en était rétranchée, proposait de le terminer à ces mots : « Nous sommes assurés que le plus vif « désir de votre cœur paternel serait d'épargner à votre peuple les « calamités de la guerre. »

Mais M. le comte Daru, second orateur inscrit pour combattre le projet d'adresse, fait bientôt prendre à la discussion un nouveau caractère.

« La délibération qui nous occupe, dit-il, ne se borne pas aujourd'hui à discuter une vaine rédaction; il y a dans le discours émané du trône, comme dans le projet d'adresse qui vous est présenté, une question plus grave. Le Roi nous a parlé de la guerre. C'est à lui, à lui seul qu'il appartient de la décider; mais tant que ses paroles mêmes nous permettent de conserver l'espoir de l'éviter, notre devoir est de porter au pied du trône, avec les sentimens du dévouement respectueux dont nous sommes animés, le vœu des peuples, le tribut de la prévoyance et les alarmes de l'humanité. Les alarmes, Messieurs, car il s'agit du repos de la patrie, de l'indépendance politique des nations et de la liberté

des hommes.

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En élevant ici la voix en faveur de la paix, je ne crains point d'offenser ceux qui se sont illustrés dans la guerre. L'embarras que j'éprouve vient de ce que je ne connais ni les argumens que j'ai à réfuter, ni les promoteurs d'une résolution que je crois funeste. Je ne vois partout, dans tous les partis, que des gens qui la désavouent; et cependant la question semble décidée avant même que nous en ayons connu la discussion. Une puissance invisible pèse sur nous; elle nous entraîne comme la fatalité; où nous conduit-elle ? C'est sur cet avenir que nous devons porter nos regards, si nous ne sommes pas assez imprudens pour nous précipiter en aveugles dans le danger, et si nous voulons au moins le mesurer pour y préparer notre courage.

« Dira-t on, il est trop tard? Quoi! il n'est déjà plus temps dès le premier jour de nos séances! Quoi! les sacrifices à imposer aux peuples étaient déjà fixés avant que nous fussions assemblés! Et comment délibérerons-nous sur ces sacrifices sans en discuter l'emploi ?

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» Nous ne demandons point compte aux conseillers de la couronne des motifs qui les ont déterminés, de leurs moyens, de l'objet de leurs espérances, parce qu'il serait difficile d'apprécier les obstacles ou les influences qu'ils ont à surmonter. Ce sera l'histoire qui les jugera; mais n'aura-t-elle pas des reproches sévères pour les hommes publics qui, dans ces graves circonstances, auraient hésité à faire entendre le cri de la conscience et de la vérité ?

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« Cette guerre, prête à s'allumer entre la France et l'Espagne, est ou spontanée, on provoquée, ou conseillée. Nous n'avons eu connaissance ni de provocation ni de conseils; nous voyons, au contraire, dans le petit nombre de documens qui out été publics sur cet objet, que « les puissances réunies au congrès de Vérone s'en sont remises à la France pour la suite de la conclusion « des affaires de l'Espagne; qu'elles se sont reposées de la solution d'une question qui les intéressait toutes, sur la puissance qui avait dans cette question l'intérêt le plus immédiat. » Ainsi, soit comme la plus intéressée, soit comme libre apparemment dans ses résolutions, la France se trouvait l'arbitre de la paix et de la guerre.

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Tout parait faire craindre que son choix ne se décide pour celle-ci. Il fant donc en examiner les motifs, les moyens, le but et l'issue.

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« Les motifs sont l'état d'effervescence de l'Espagne, la constitution qu'elle s'est donnée, et le danger qui en résulte pour les autres états.

L'Espagne, en effet, s'est donné une constitution, mais dans quelle circonstance ? pendant que le roi était prisonnier à Valençay, après l'abdication arrachée à Charles IV par ses propres gardes en faveur de son fils; après les abdications de Bayonne; enfin tandis que l'ancienne monarchie était réduite an banc de sable de Cadix. Singulière destinée de la nation espagnole! lorsque les Maures envahirent son territoire, tout ce qui restait de la population chrétienne se retira sur les montagnes des Asturies, et l'on en vit sortir ces constitutions qui ont fait si long-temps la gloire des Aragonais, Ferdinand V profita de l'expulsion des Maures pour détruire ce pacte fondamental des libertés civiles. Huit siècles plus tard, une nouvelle invasion refoule sur un rocher les défenseurs de l'ancienne dynastie. C'est dans ce dernier asile qu'ils proclament leur nouvelle constitution, qu'un autre Ferdinand va renverser aussitôt après la délivrance de la patrie, délivrance à laquelle il n'a eu ancune part.

Il semble que la liberté attende les Espagnols aux confins de leur territoire, et que leur destinée soit de la perdre quand ils ont expulsé leurs ennemis. »

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⚫ Étaient-ils les oppresseurs de Ferdinand VII, ceux qui embrassaient sa cause sans même avoir l'espérance de le revoir; ceux qui mouraient pour lui, ceux qui l'ont fait remonter sur le trône du vivant même de son père? Étaient-ils des rebelles pour écouter alors des sentimens généreux, pour essayer de s'assurer, par un acte solennel, cette noble indépendance à la quelle tous les cœurs aspirent, et dont l'espérance pouvait seule rallier les défenseurs d'une cause déjà perdue? Je dis perdue, car si le conquérant eût sacrifié le favori de Charles IV, l'Espagne n'aurait vu en lui qu'un libérateur.

« Le tort des hommes qui avaient pris la défense des droits de Ferdinand, fut de vouloir rappeler en même temps le roi et la liberté; faut-il s'en étouner? Dans quel pays avez-vous vu les esclaves embrasser la cause des princes malheureux ?

« Alors les gouvernemens étrangers, en guerre avec la France, ne sougèrent point à reprocher à cette constitution ni son origine ni ses défauts.

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