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de ce droit de révolte, et l'on arrivera à l'anarchie, qui n'est qu'une grande résistance à tous les pouvoirs.

• Si l'on voit reparaître à la tribune ces doctrines qui, pendant trente ans, nous ont précipités sous tous les jougs, et fait passer par tous les malheurs, la puissance des souvenirs agira sur les âmes faibles, et l'on en viendra à regretter ces temps où la gloire avait condamné la liberté au silence.■

Après ce discours, on demandait la clôture de la discussion géné rale, et la majorité de la Chambre en paraissait en effet fatiguée; mais, par respect pour le principe adopté dans l'autre Chambre d'entendre toujours un membre opposant à la fin des discussions, un député opinant fut appelé à la tribune: c'était M. le comte de Ségur.

« On ne saurait, dit-il en substance, en parlant de cette étrange guerre, trouver une dénomination qui puisse la caractériser.

Nous ne pouvons point l'appeler une guerre offensive, car ce serait une injure à la moralité de notre gouvernement, qui déclare ne s'armer que pour notre sûreté...

« Ce n'est pas non plus une guerre défensive; car nous ne sommes point at. taqués... On a bien parlé de quelques griefs, mais on ne nous a point dit qu'on en ait refusé le redressement...

« Dira-t-on que c'est une guerre d'honneur? Comment se fait-il, si les limites apportées à l'autorité royale en Espagne sont telles que l'honneur de notre gouvernement monarchique ne puisse ni les reconnaître ni les supporter; comment se fait-il qu'on s'en soit avisé si tard?..... On pourrait, il est vrai, donner à cette guerre le nom d'un ancien pacte, et l'appeler guerre de famille;... mais, si une position semblable à celle où se trouve malheureusement Ferdinand VII pouvait être adoucie par de bons offices, par des négociations, par le langage de la sagesse et de l'amitié, n'est-il pas à craindre aussi que cette position ne soit aggravée par des moyens contraires? Les soldats et les canons seront-ils des né gociateurs, des conciliateurs utiles ou dangereux?

- Serait-ce une guerre d'opinion? Messieurs, prenons-y garde; si c'est une guerre d'opinion, elle peut être bien longue, bien coûteuse, bien sanglante. Les pensées et les opinions s'atteignent peu par des boulets; on irrite la pensée qu'on veut comprimer. Si c'est une contagion, tenons-nous en éloignés ; c'est le parti le plus sûr...

Serait-ce, ajoute M. le comte de Ségur, serait-ce une guerre de religion? Une guerre de religion, Messieurs, serait, de tous les fléaux, le plus opiniâtre, le plus sanglant, le plus interminable. J'en frémirais d'horreur, et vous aussi, si cette supposition était soutenable; mais, en vérité, une pareille dénomination paraîtrait heureusement plus ridicule qu'effrayante; car non-seulement les Espagnols professent la même religion que nous; mais, bien plus, tandis que nous avons établi chez nous la tolérance de tous les cultes, les cortès ont établi la domination exclusive du culte catholique.

« Ce serait donc une guerre entreprise dans l'intérêt des couvens, des congrégations, enfin d'un clergé plus ou moins appauvri, et dans le but de faire rendre à des abbayes et à des moines des terres dont la détresse du gouvernement espagnol, après la perte de ses colonies, a rendu le sacrifice indispensable.

« Il serait assez étrange que la France, qui a vendu et qui vend tous les jours des biens d'origine ecclésiastique, s'armât pour rétablir des moines dans leurs possessions, et que cette cause fût plus tard embrassée et soutenue par la Prusse protestante et par la Russie schismatique, tandis que les congrès européens regardent comme injuste et impolitique de soutenir un peuple généreux, combattant pour l'étendard de la croix contre celui de Mahomet, etc.

De quelque manière qu'on envisage cette guerre, elle ne peut être appelée nationale, puisque la nation n'en doit supporter que les charges. »

La discussion particulière, qui s'engagea après ce discours, n'offre qu'un incident à remarquer. M. le marquis de Marbois, expliquant les motifs du vote qu'il avait intention d'émettre pour l'adoption de la loi proposée, déclare que ce n'est point à la guerre qu'il accorde le crédit demandé; il croit que les 100 millions, déjà dépensés en grande partie, ne pourraient être refusés sans de graves inconvéniens... Il se flatte que le prince généralissime, dont on connaît le courage, la sagesse et la loyauté, ne se présentera pas sur les rives de la Bidassoa pour y proclamer un manifeste menaçant; que l'olivier sera dans sa main et la paix dans sa bouche. C'est avec cet esprit et dans la ferme confiance que la paix ne sera pas troublée qu'il vote l'adoption du projet...

Aucun amendement n'étant proposé sur aucun des articles, ils furent successivement adoptés, et le dépouillement du scrutin secret, ouvert sur l'ensemble, offrit, sur 178 votans, 112 votes pour l'adoption de la loi.

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Proposition, discussion et adoption des projets de loi pour le rappel des vétérans ou soldats libérés au 31 décembre, et pour l'appel de la classe de 1823.

On se souvient que, le même jour où le ministre des finances avait proposé les lois de finances et le crédit supplémentaire de 100 millions (10 février), celui de la guerre avait aussi porté à la chambre des députés un projet de loi qui avait pour objet de rappeler au service territorial les militaires dont le service actif avait cessé au 31 décembre dernier. La discussion qu'on vient de lire nous dispense d'en rappeler en détails les motifs. L'imminence de la guerre exigeait la mobilisation des vétérans; c'était la première occasion d'appliquer le titre iv de la loi du 6 mars 1818... Mais le gouvernement n'avait jugé devoir rappeler que les jeunes soldats dernièrement libérés, et seulement pour le service intérieur du royaume.

Le même jour aussi ( 21 février) que M. de Martignac avait fait le rapport sur le projet relatif au crédit de 100 millions, M. le lieutenant général comte Dupont fit, au nom d'une commission spéciale, le rapport de celui du rappel des soldats dernièrement libérés. Il en développa les motifs en s'attachant moins à rappeler les causes ou la question politique de la guerre qu'à faire voir la légalité du rappel publié dans l'esprit de la loi du 10 mars 1818 pour le recrutement de l'armée.

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Le gouvernement a prévu le besoin de rappeler sous les armes les soldats qui viennent d'être congédiés. Il vous demande l'intervention de la loi pour les employer sur tous les points de la France, et rendre leur service plus utile. Le Roi dispose de toutes les forces de l'État; il pèse la gravité des intérêts qui appellent leur emploi, et c'est à lui qu'il appartient de fixer le développement qu'ils doivent recevoir. La Chambre s'empressera donc d'adhérer aux dispositions que le trône croit devoir adopter dans la justice de cette attribution suprême.

Vous remarquerez, Messieurs, les motifs qui ont fait désigner, dans le pro

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jet de loi, la plus jeune classe des vétérans; l'obligation du service est de six ans pour les levées annuelles, et cette classe, favorisée par les circonstances qui l'ont retenue dans ses foyers, n'a servi que quatre ans sous les drapeaux, mais l'intérêt militaire est la considération la plus importante. Les hommes congédiés au 31 décembre dernier sont les plus propres à former sur-le-champ de nouveaux corps. Instruits, disciplinés et pliés jusqu'à ce moment aux habitudes du service, ils offrent tous les avantages d'une expérience non interrompue. Les classes plus anciennes conserveront la même bravoure et le même zèle pour la défense de l'État, une égale fidélité régnera dans leurs camps; mais en rentrant dans leurs foyers, beaucoup de militaires ant formé des établissemens, embrassé divers genres d'industrie, et ils sont par-là moins susceptibles d'être mis en activité avec la promptitude convenable.

«Le gouvernement pouvait, de sa seule autorité, rappeler ces militaires an service dans leurs divisions respectives; mais le besoin de les mobiliser hors de ces mêmes divisions a rendu nécessaire la proposition royale. Avant le signal des hostilités, on doit pourvoir à tous les moyens de défense. Le gouvernement a dû songer d'avance aux moyens de remplir les garnisons et de protéger la sécurité intérieure, lorsque l'armée qui couvre nos frontières aura franchi ses limites. Dans cette situation, la Chambre sentira la nécessité d'adopter une mesure justifiée par l'imminenee des événemens. Le rappel des vétérans n'aura point lieu avant l'existence de la guerre ; ils ne seront mis en mouvement que dans le cas où les hostilités seraient déclarées. »

A un léger changement près, l'avis unanime de la commission était pour l'adoption du projet de loi.

La discussion était fixée après celle qui venait de finir d'une manière si déplorable à la chambre des députés, et elle s'en resentit, ou plutôt elle en fut annulée, réduite à une vaine formalité.

(6 mars.) De tous les orateurs inscrits pour parler contre le projet et il ne s'en trouvait pas moins de 34 ); la plupart avaient quitté la salle des séances après le dépôt de leur protestation, pour n'y plus rentrer; d'autres, restés en petit nombre à l'extrême gauche, et même au centre gauche, refusèrent de nouveau de prendre la parole. La contagion gagna jusqu'à M. le général Donnadieu, qui s'était fait inscrire le premier en faveur du projet, mais qui s'excusa ainsi de ne point parler.

« J'avais demandé la parole, dit-il, pour examiner à fond la conduite des affaires d'Espagne. J'avais rattaché à ce cadre, déjà largement traité dans vos dernières discussions, toutes les autres considérations politiques qui ont amené la situation où nous nous trouvons et celles dans lesquelles nous serons engagés. J'aurais dit la vérité sans crainte et sans espérance, mais par un sentiment qui n'a pas besoin d'être justifié dans les circonstances présentes, je dois m'interdire tout ce qui pourrait avoir le plus léger caractère d'opposition. »

D'après ce peu de mots, il est probable que M. le général Donnadieu aurait traité son sujet comme M. de La Bourdonnaye; mais la plupart des orateurs du côté droit inscrits imitèrent son silence. Trois seulement se firent entendre ( MM. de la Caze, Clausel de Coussergues et de Marcellus); tous trois pour appuyer le projet du ministère sans critique et sans réserve...

M. le général Danthouard avait annoncé un amendement qui avait pour objet de diviser la loi en trois articles, dont le premier ordonnait l'organisation des vétérans par département sans distinction de classes; mais, au moment de le mettre en discussion, il déclara qu'il le retirait.

Ainsi aucune opposition ne s'annonçant, et la commission ne demandant que la suppression du mot même, à quoi le ministre consentit, le projet fut mis aux voix. Sur les membres présens à cette séance, 246 répondirent à l'appel nominal, et sur ce nombre il se trouva dans l'urne 231 boules blanches, et seulement 15 noires. — Ainsi le nombre des votans était encore inférieur à celui de la veille.

Quelques orateurs de l'opposition publièrent ensuite les opinions qu'ils n'avaient pas voulu prononcer à la tribune... En général, ils ne traitaient encore que la question politique; mais M. de ` Lameth s'attachait surtout à la question militaire.

• Toute loi, disait-il, doit avoir une application générale, c'est ce qui constitue son essence; et, sans cette généralité, elle devient nécessairement une loi d'exception, c'est-à-dire une violation des lois.

« La loi du 10 mars ne fait autre chose que constater quels sont les hommes qui tous doivent concourir à la formation des vétérans, et l'on doit reconnaître qu'elle a le véritable caractère d'une loi, en ce qu'elle n'établit aucune distinction, aucun privilége entre les hommes appelés à être vétérans, c'est-à-dire entre ceux qui n'ont pas douze ans de service ou trente-deux ans d'âge.

Cette distinction, ce privilége qui détruit le caractère de la loi, c'est M. le ministre de la guerre qui cherche à l'établir dans le projet qu'il a soumis à votre délibération. Il croit que, dans l'intention funeste de faire la guerre à une nation qui ne nous a provoqués en aucune manière, il est nécessaire de recourir à la formation du corps de vétérans. Cette idée est naturelle, même dans le sens d'un plan désavoué par le vœu national. Mais dans ce cas, comme dans tout autre, l'effet de la loi doit être général; tous les sous-officiers et soldats qui n'ont pas douze ans de service on trente-deux ans d'âge doivent concourir indistinctement à la formation de ce corps; nul ne doit obtenir le privilège de s'y soustraire, et vous n'avez pas le droit de l'accorder, ear,

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