Page images
PDF
EPUB

TITRE II.

CARACTÈRE JURIDIQUE DE LA NATIONALITÉ.

C'est dans un contrat synallagmatique, intervenu entre l'État et chacun des individus qui le composent, que se trouve, selon nous, le fondement juridique de la nationalité.

Le lien de nationalité ou de sujétion est contractuel; c'est-à-dire qu'il naît et ne peut naître que d'un accord de volontés : celle de l'État d'une part, celle du national de l'autre. Comment ces volontés se rencontreront-elles? dans quelle forme seront-elles exprimées? Nos développements ultérieurs le feront suffisamment comprendre, et nous pouvons, quant à présent, nous borner sur ce point

de culture... L'État, au contraire, est surtout constitué par l'unité de gouvernement autonome. L'État peut être l'expression visible de la nation, mais cela ne se réalise pas toujours; car il peut arriver qu'un État soit composé de provinces habitées par des populations de nationalités différentes, et qu'une nation soit divisée en deux ou plusieurs États. » Et le savant auteur croit prévenir toute équivoque, en employant, pour indiquer le fait de ressortir à un État, le mot citadinnanza (qualité de citoyen) de préférence au mot nazionalità (nationalité). Voy. P. Fiore, Le droit international privé, 2o éd. (trad. Ch. Antoine), t. I, 1890, p. 356 et s.; mais M. Fiore ne s'aperçoit pas qu'il autorise ainsi une autre confusion, très justement relevée par son annotateur (eod. op., p. 600, note 2). En effet, les mots citoyen, qualité de citoyen, ont, dans le droit public, notamment en France, une acception particulière et restreinte, très différente du sens général qu'il leur attribue. Le citoyen est le membre de l'État, qui est investi de la plénitude des droits civils et politiques, par exemple du droit de suffrage; mais, à côté des citoyens, l'État comprend un grand nombre de personnes, auxquelles à raison de leur sexe, de leur âge, de certaines incapacités particulières dont elles sont frappées, de leur race même, l'exercice de ces droits est refusé ou suspendu, auxquelles par conséquent la qualité de citoyen fait défaut; et il est indispensable de recourir à une dénomination différente pour caractériser le lien qui les rattache à l'État dont ils relèvent; le mot nationalité, comprenant tous ceux qui, à un titre quelconque, dépendent de la même souveraineté politique, leur convient parfaitement : tout citoyen est national, mais tout national n'est pas citoyen. Bluntschli, Théorie de l'État (trad. fr. par M. E. de Riedmatten), p. 183; G. Cogordan, La nationalité au point de vue des rapports internationaux, 2e éd., 1890, p. 7.

à des indications très sommaires. De la part de l'État, le consentement nécessaire à la formation du contrat résulte, tantôt d'une loi générale qui, statuant in futurum, offre, sous certaines conditions, le droit de cité à des personnes qu'elle présume devoir l'accueillir volontiers et le porter dignement, par exemple aux fils d'étrangers nés sur le territoire où elle est en vigueur, aux (descendants d'un régnicole expatrié, tantôt d'un traité d'annexion, tantôt d'une naturalisation spécialement octroyée, soit par le Parlement, soit par le Chef de l'État, à tel étranger ou à telle catégorie d'étrangers qui satisfont aux prescriptions légales. De la part du national, le consentement peut être exprès ou tacite, soit qu'il ait sollicité ou tout au moins accepté le droit de cité, soit que, le tenant du bienfait de la loi ou d'un traité, il n'ait rien fait pour s'y soustraire, pour revenir à sa patrie d'origine, ou pour acquérir une nationalité nouvelle.

Le contrat ainsi formé est synallagmatique, c'est-à-dire qu'il engendre des obligations réciproques entre les deux parties (Cf. C. civ., art. 1102). L'État, en effet, accorde à ses nationaux et est tenu de leur accorder la protection de ses lois et de ses magistrats; il leur reconnaît certains droits civils et politiques, et se charge de les faire respecter. Cette protection, que l'État doit à chacun de ceux qui vivent sous son allégeance, ne s'arrête pas à la frontière; même à l'étranger, elle peut avoir occasion d'agir avec efficacité. Le plus souvent sans doute le national émigré ne viendra pas revendiquer sur le sol de sa patrie les droits que celle-ci lui conserve; mais, si l'éloignement est parfois un obstacle de fait à leur jouissance, les droits n'en demeurent pas moins, et c'est à l'absent d'en recouvrer l'usage par son retour au pays. Il est d'ailleurs des facultés nombreuses, liberté de conscience, droit de propriété, droit de faire le commerce, droit d'ester en justice, dont l'exercice n'est pas lié à tel ou

'Bluntschli, Droit international codifié (trad. Lardy), § 380 ter.

tel territoire donné et est indispensable à l'homme, en quelque lieu qu'il habite. Ces facultés, l'État a le devoir de les assurer partout à ses nationaux au moyen de traités; au besoin il leur sert de garant devant les autorités étrangères, par le ministère de ses agents diplomatiques et de ses consuls, et réclame pour eux des indemnités à raison du préjudice qu'une guerre ou une insurrection leur a causé, contrairement au droit des gens.

En échange de cette tutelle, l'État a le droit d'exiger de ses nationaux, même expatriés, l'observation rigoureuse des lois, de toutes les lois qu'il s'est données, de gouverner par ces lois en tous lieux leur capacité, leurs relations de famille, de les punir à raison des infractions qu'ils ont commises au loin; il peut les contraindre à participer aux charges publiques et à la défense de son territoire.

État et national ont donc tous deux des droits et des devoirs l'un envers l'autre. Ce qui est droit pour l'État est devoir pour le national; et réciproquement. Et si les droits du national sont toujours plus étendus, si ses devoirs sont toujours plus impérieux que ceux qui appartiennent ou qui incombent à l'étranger dans ses rapports avec la société locale, c'est que, au bénéfice de la loi naturelle dont il peut se prévaloir au même titre que ce dernier, puisqu'il est homme comme lui, vient se joindre l'existence d'un contrat librement accepté, dont il ne saurait méconnaître les charges et les conditions, parce qu'il les a volontairement ratifiées.

Toutefois, si la nationalité dérive d'un contrat, si la volonté de l'homme joue un rôle important dans sa formation, il faut bien se garder de croire que cette volonté soit omnipotente; elle trouve, soit dans la nature même des choses, soit dans les exigences de la vie sociale, des limites qui restreignent sensiblement son domaine. Ces limites nous paraissent exactement définies par la proposition suivante : La nationalité ne s'impose pas, que viennent compléter deux corollaires : 1° Toute personne doit avoir une nationalité; 2o Nul ne peut avoir deux nationalités.

[ocr errors]

10

TITRE III.

PRINCIPES FONDAMENTAUX.

Le principe qui domine toute cette matière, c'est que la nationalité ne s'impose pas.

Cela veut-il dire qu'un État n'a pas le pouvoir d'attribuer à un étranger le droit de cité, lorsque ce dernier n'a pas manifesté d'une manière formelle la volonté d'en être investi1? En aucune manière. L'État est maître chez lui; il a le droit incontestable de fixer, par une loi, les règles qu'il entend appliquer à l'acquisition et à la perte de la nationalité; et ces règles, adoptées par lui, sont d'ordre public international, en ce sens que les prescriptions différentes d'une législation étrangère ne seront pas admises à prévaloir contre elles. Rien ne l'empêche de conférer la qualité de national à tout individu né ou même simplement établi sur son territoire; il n'a pas à se préoccuper de l'origine de ce dernier; il n'a pas à se préoccuper de la loi dont relèvent ses parents et qui ne reconnaîtra pas peut-être son changement de patrie; seules les convenances internationales restreignent le pouvoir de l'État; et c'est à ses représentants constitutionnels qu'il appartient d'apprécier si et dans quelle mesure il y a lieu d'en tenir compte, dans l'élaboration de sa législation interne sur la nationalité.

Ce point a été très bien mis en lumière par la cour de Riom, dans son arrêt du 7 avril 1835; à propos de la loi des 30 avril-2 mai 1790, qui réputait Français tout indi

1 P. Fiore, Nouveau droit international public, 2o éd. (trad. Ch. Antoine), p. 608, no 695.

2 Sur la notion de l'ordre public international, voy. notre Traité élémentaire de droit international privé, 2o éd., 1890, p. 245 et s.

3 Bluntschli, Droit intern. cod., § 374; von Bar, Theorie und Praxis des internationalen Privatrechts, 2o éd.; Hannover, 1890, t. I, § 49, p. 168.

vidu né à l'étranger de parents étrangers, mais établi en France, elle affirme en ces termes le droit incontestable de l'État : « La loi qui répute Français, même sans leur consentement, les étrangers établis en France, est conforme aux droits des gens, les droits de souveraineté de chaque nation s'étendant, non seulement sur ceux qui y sont nés, mais encore sur les étrangers qui s'y sont établis. L'étranger, par le fait seul de sa résidence, se soumet aux lois du pays qu'il vient habiter, et il est libre à chaque État de déterminer les conditions auxquelles il admet un étranger à s'établir sur son territoire. Ce serait méconnaître le droit de souveraineté appartenant à chaque État, que de prétendre qu'un État ne puisse pas déférer à un étranger la qualité de régnicole, sans le consentement ou la volonté de celui auquel une pareille qualité est déférée. C'est à l'étranger, qui ne veut pas accepter les titres qui lui sont conférés, à quitter le territoire sur lequel il est venu s'établir; et si, au contraire, il continue d'y demeurer, il est censé s'être soumis à la loi qui lui attribue de nouveaux droits en lui donnant une nouvelle qualité 1. Quelle est donc la portée vraie de notre règle? En deux mots, la voici Si l'État peut, en principe, attribuer sa nationalité à toute personne qui s'est placée sous l'action de ses lois, il ne lui est pas permis de la retenir à toujours dans son allégeance, de lui interdire de changer de patrie. Tout homme, en effet, a le droit de vivre et de développer sans contrainte ses facultés physiques et intellectuelles comme conséquence de ce droit naturel, il doit être libre de chercher loin de la patrie que lui ont donnée les circonstances, les intérêts, les relations, les avantages de toute nature que celle-ci lui refuse et qu'il considère, à tort ou à raison, comme nécessaires à son existence. D'autre part, la nationalité reposant sur un contrat, on

:

[ocr errors]
[ocr errors]

Sir. 1835. 2. 374; D. P. 1836. 2. 57. V. cep. P. Fiore, loc. sup. cit.; Robinet de Cléry, De la nationalité imposée par un gouvernement étranger, dans le Journal du droit international privé, 1875, p. 180 et s.

« PreviousContinue »