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sion, en prenant du service militaire en pays étranger, s'est déclaré incompétent pour trancher la question de nationalité engagée dans le litige et l'a renvoyée à l'examen des tribunaux civils 1.

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Enfin, le conseil de révision et le conseil de guerre doivent aussi surseoir à leur décision, lorsque la nationalité de l'inscrit, du déserteur ou de l'insoumis fait l'objet de contestations.

Mais, dans tous les cas, le sursis ne doit être prononcé qu'autant que la difficulté est sérieuse : l'exception de nationalité serait valablement accueillie ou rejetée par le juge de paix ou par le tribunal administratif devant lequel elle est proposée, si les documents produits à sa barre ne laissent subsister aucun doute sur la condition véritable de l'intéressé, ou encore si cette exception ne repose que sur

1 Cons. d'Etat, 10 août 1844 (D. P. 1845. 3. 70). Nous estimons encore que le Conseil d'État, saisi d'un recours contre un arrêté d'expulsion pris contre une personne qui se prétend Française, doit, en admettant que ce recours soit en lui-même recevable, surseoir à statuer jusqu'à ce que l'autorité judiciaire ait tranché la question de nationalité (Voy. en ce sens les conclusions de M. le commissaire du Gouvernement Le Vavasseur de Précourt devant le Conseil d'État, sous Cons. d'Etat, 14 mars 1884 (Sir. 1886. 3. 2; D. P. 1885. 3. 9). Voy. cep. Cons. d'État, 8 décembre 1853 (Lebon, p. 1037; D. P. 1854. 3. 85). Et il en sera de même dans l'hypothèse d'un recours dirigé contre l'acte par lequel le ministre de la justice a refusé d'enregistrer une déclaration de nationalité, la légalité de ce refus étant subordonnée à l'examen du point de savoir si l'intéressé était ou non autorisé par la loi à faire la déclaration. La solution de cette question préjudicielle ne peut appartenir qu'aux tribunaux judiciaires. Le Sueur et Dreyfus, op. cit., p. 124.

2 L. 15 juillet 1889, art. 21; Cons. d'État, 26 juillet 1855 (D. P. 1856. 3. 14).

3 Cass., 25 juin 1885 (Journal du dr. int. pr., 1885, p. 671); Cons. de révision de Paris, 9 juillet 1885 (Le Droit du 30 juillet 1885); 13 janvier 1887 (Le Droit du 4 mai 1887); 26 mai 1887 (Le Droit du 24 juin 1887).

Voy. ci-dessus, p. 121.

5 Cass., 8 mai 1878 (D. P. 1878. 1. 245); 4 mai 1881 (D. P. 1881. 1. 486); 17 avril 1883 (D. P. 1884. 5. 188-189). Voy. aussi Greffier, Code électoral, p. 199; Rendu, Code électoral, nos 251 et s.

6 Cass., 24 avril 1882 (D. P. 1883. 5. 196).

de simples allégations et ne s'appuie sur aucune pièce paraissant de nature à la justifier1.

C'est donc, en principe, à la justice ordinaire, aux tribunaux civils qu'il appartient de résoudre les questions contentieuses de nationalité. Et on appliquera à ces litiges les règles du droit commun relativement à la compétence et à la procédure : cela revient à dire que c'est le tribunal de première instance du domicile du défendeur qui devra être saisi (C. pr. civ., art. 59, § 1) 2; et que, si l'affaire est portée devant la juridiction d'appel, elle sera jugée en audience solennelle, comme toute question d'état3, à moins qu'elle ne présente un caractère d'urgence, ou que l'exception de nationalité n'ait été soulevée incidemment devant la Cour".

Toutefois la juridiction répressive, cour d'assises ou tribunal correctionnel, peut, elle aussi, suivant l'opinion commune, avoir à décider quelle est la nationalité de l'individu qui lui est déféré, soit que celui-ci ait enfreint un arrêté d'expulsion, soit qu'il ait à répondre d'un crime ou d'un délit commis en pays étranger (C. inst. crim., art. 5), et que, pour se soustraire à la responsabilité pénale qu'il a encourue, il excipe de son extranéité. Il n'y a pas, en pareil cas, lieu à sursis et à renvoi. Le juge de l'action est juge de l'exception.

1 Cass., 19 mars, 25 et 30 avril 1877 (D. P. 1877. 1. 203).

2 Trib. civ. Seine, 9 février 1888 (Le Droit du 10 février 1888). Amiens, 8 février 1884 (Le Droit du 12 septembre 1884); Aix, 7 février 1885 (Gaz. du Palais du 21 juillet 1885); Lyon, 23 février 1887 (Gaz. des trib. du 7 mai 1887).

Douai, 14 décembre 1881 (Le Droit du 21 novembre 1882).

5 Cass., 10 mars 1858 (D. P. 1858. 1. 313).

6 Cass., 5 janvier 1850 (D. P. 1850. 5. 397); 10 janvier 1873 (Sir. 1873. 1. 141); C. d'assises de la Haute-Savoie, 11 février 1873 (Journal du dr. int. pr., 1874, p. 307); Paris, 11 juin 1883 (Sir. 1883. 2. 177); Cass., 7 décembre 1883 (Sir. 1885. 1. 89); Paris, 6 février 1884 (D. P. 1885. 2. 41). Voy. aussi R. Vincent, op. cit., no 215.

TITRE II.

DES PERSONNES AYANT QUALITÉ POUR AGIR.

Les contestations relatives à la nationalité des personnes peuvent se produire dans des circonstances très différentes. Souvent elles s'élèvent à propos d'un intérêt d'ordre privé. C'est un Français qui, actionné en justice, prétend, en se fondant sur la nationalité étrangère du demandeur, l'obliger à fournir une caution judicatum solvi, en vue de garantir le paiement éventuel des frais du procès et des dommages-intérêts judiciaires qui en résulteront peut-être à son profit (C. civ., art. 16; C. pr. civ., art. 166)'. C'est un Français qui, exclu en pays étranger de toute participation à une succession à laquelle il est appelé conjointement avec un autre héritier, attribue à ce dernier la qualité d'étranger et se prévaut contre lui en conséquence, sur les biens héréditaires qui sont situés en France, du droit de prélèvement institué par l'article 2 de la loi du 14 juillet 18192. Tel, pour avoir part aux avantages d'un traité international, ou pour exercer un droit qu'il dit lui être reconnu par son statut personnel, réclame une nationalité étrangère, que son adversaire conteste. Tel encore excipe de son extranéité pour se soustraire à la compétence des tribunaux français, dans le cas où l'autre plaideur est luimême étranger.

Dans toutes ces hypothèses, que nous pourrions multiplier à l'infini, les principes ordinaires qui régissent la capacité des parties en cause reçoivent leur application. Demandeur et défendeur figurent eux-mêmes à l'instance, dès que la loi personnelle dont ils relèvent leur en donne le droit. Sont-ils mineurs ou incapables, c'est cette loi qui

1 Voy. notre Traité élém. de dr. int. pr., 2o éd., p. 756 et s. 2 Voy. notre Traité élém. de dr. int. pr., 2o éd., p. 108 et s.

détermine les représentants qui pourront agir en leurs lieu et place, ou les autorisations qui leur seront nécessaires'.

Mais, dans les cas fréquents où la question de nationalité est soulevée à l'occasion d'un intérêt public, et met aux prises, non plus deux particuliers, mais un particulier et I'État, à quelle personne publique, à quelle autorité appartiendra-t-il de contredire aux prétentions de l'intéressé?

La question de nationalité est une question d'état dont la solution est de nature à réagir sur les actes de l'état civil; elle touche à l'ordre public. Le ministère public a donc toute qualité pour figurer au procès, soit comme partie jointe, soit même comme partie principale 3. Il peut introduire l'instance devant les premiers juges; il peut en appeler d'office de la décision qu'ils ont rendue, alors même que son représentant n'aurait été devant eux que partie jointe ou même aurait pris des conclusions conformes à leur jugement'; enfin, l'individu, dont la nationalité est sujette à litige, est fondé à le prendre comme adversaire direct 5.

Il semble, d'autre part, que le représentant naturel de l'État, dans les contestations relatives à la nationalité, soit le préfet du département. Lorsque la loi du 15 juillet 1889 sur le recrutement dispose, dans son article 31, que les questions d'état et de droits civils, qui naissent de l'inscription au tableau de recensement, doivent être jugées contradictoirement avec le préfet; elle se borne, selon nous,

1 Cf. Paris, 13 août 1883 (Le Droit du 20 août 1883).

2 Cf. Paris, 12 juillet 1867 (Sir. 1868. 2. 201).

3 Colmar, 19 mai 1868 (Sir. 1868. 2. 245).— Voy., sur le droit d'action du ministère public dans les matières qui intéressent l'ordre public, Cass., 22 janvier 1862 (Sir. 1862. 1. 257; J. P. 1862. 273), et les remarquables conclusions de M. le procureur général Dupin.

4 Colmar, 19 mai 1868, précité.

5 Trib. civ. Seine, 22 février 1888 (Journal du dr. int. pr., 1888, p. 391). Voy. aussi R. Vincent, op. cit., n. 209.

à tirer, dans une hypothèse particulière, la conséquence d'un principe général.

Ainsi plusieurs jugements ont reconnu que ce n'est pas seulement dans les difficultés que soulève la formation des listes du contingent, c'est-à-dire dans le cas unique, successivement prévu par l'article 26 de la loi du 24 mars 1832, par l'article 29 de la loi du 27 juillet 1872, et plus récemment par l'article 31 de la loi du 15 juillet 1889, que le préfet a qualité pour ester en justice au nom de l'État, mais qu'il le représente même après l'enrôlement de l'intéressé1. Ainsi encore il a été décidé que le préfet contredit valablement à toute réclamation de nationalité provoquée par une mesure administrative, notamment par le refus de comprendre dans la liste du jury l'individu qui se dit Français2, ou de le faire participer à l'indemnité due aux émigrés, à raison de la confiscation et de la vente de leurs biens 3.

Mais, la jurisprudence est loin d'être fixée et trahit sur ce point les plus regrettables incertitudes. Le tribunal civil de la Seine, par son jugement du 18 février 1875, a affirmé le caractère exceptionnel du rôle dévolu aux préfets par nos lois militaires, et leur a formellement dénié la faculté d'agir ou de défendre en dehors de l'hypothèse qu'elles ont réglée. Et à diverses reprises le ministre de la Guerre et le ministre de la Marine, chefs suprêmes de nos armées de terre et de mer, ont fait juger qu'ils puisent dans ce titre le droit de contredire à toute action tendant à faire reconnaître à tel ou tel individu la qualité de Français et à

1 Voy. Trib. civ. Seine, 28 juin 1860; Trib. civ. Toulouse, 16 août 1860 (cités par M. Cogordan, op. cit., 2e éd., p. 413); Trib. civ. Seine, 9 février 1888 (Journal du dr. int. pr, 1888, p. 813); Trib. civ. Hazebrouck, 24 mars 1888 (Pand. fr. pér., 1889. 5. 27); Cass. civ., 26 octobre 1891 (Pand. fr. pér., 92. 1. 1, et nos observations sous cet important arrêt); R. Vincent, op. cit., n. 208.

2 Grenoble, 16 décembre 1828 (Sir. chr.).

3 Cass., 15 novembre 1836 (Sir. 1836. 1. 937). Journal du dr. int. pr., 1876, p. 186.

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