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en 1860'. Son option rétroagit au jour de la cession, de telle manière qu'il est réputé n'avoir jamais cessé d'appartenir à la France; mais dans l'intervalle qui sépare la cession de territoire de l'option exprimée par lui, il a été Allemand sous condition résolutoire, et rigoureusement il aurait dû être traité comme tel sur le territoire français; ce qui, au point de vue de la compétence des tribunaux français, de la caution judicatum solvi, etc., est loin d'être dépourvu d'intérêt pratique.

Cependant, mûs par des sentiments faciles à comprendre, les tribunaux français n'ont pas hésité à considérer, dans diverses circonstances, les Alsaciens-Lorrains annexés comme Français pendente conditione. Cette jurisprudence, très contestable, prétend s'appuyer sur les termes mêmes du traité de 1871, art. 2: « Les sujets français qui entendent conserver la nationalité française.

auquel cas la qualité de Français leur sera maintenue. » N'est-ce pas, dit-on, reconnaître que les optants n'ont perdu la nationalité française à aucun moment de leur existence, même pendant les délais d'option? D'ailleurs le rapporteur de la loi du 19 juin 1871 semble avoir exprimé la même opinion: « Les Français originaires des territoires cédés et domiciliés actuellement sur ces territoires ne perdront définitivement leur qualité de Français, d'après les termes mêmes du traité, que si, au 1er octobre 1872, ils n'ont fait aucune déclaration3. »

Mais les principes sont certains. Toute annexion ou cession de territoire dénationalise ipso facto ses habitants, sous la condition résolutoire d'une option; et c'est à la défaillance de cette condition que le rapporteur faisait allusion lors

1 V. ci-dessus, p. 555.

2 Trib. civ. Vesoul, 19 juillet 1871 (Sir. 1871. 2. 185; D. P. 1871. 3. 69); Nancy, 31 août 1871 (Sir. 1871. 2. 129; D. P. 1871. 2. 207). Cf. Reichsgericht, 8 janvier 1884, précité; Gilbrin, Essai sur la condition juridi

que des Alsaciens-Lorrains, p. 32 et s.
3 Cogordan, op. cit., 2e éd., p. 369; de Folleville, op. cit.,

p. 428.

qu'il parlait d'une perte définitive. Tant que la condition ne s'est pas réalisée ou n'a pas défailli, l'annexé perd, au moins provisoirement, sa nationalité première; et il faudrait un texte formel dans le traité pour qu'il en fût autrement. Mais l'Exposé des motifs de la convention additionnelle de Francfort du 11 décembre 1871 ne laisse aucun doute sur l'intention des négociateurs. « Il résulte de l'article 2 du traité du 10 mai que les habitants de l'Alsace-Lorraine sont légalement considérés aujourd'hui par l'Allemagne comme Allemands sous condition résolutoire, tandis que nous-mêmes nous ne pouvons plus voir en eux que des Français sous condition suspensive, c'est-à-dire des Français dont la nationalité, provisoirement suspendue, sera définitivement périmée, s'ils n'accomplissent dans le délai convenu les formalités prescrites par les traités1. >>

L'option exprimée par le chef de famille lui est personnelle, dans notre opinion, et, quelles que soient à cet égard les dispositions de la loi allemande, n'est opposable ni à sa femme, ni à ses enfants mineurs.

d) Annexion de l'ile de Saint-Barthélemy à la France.

Comme la convention franco-sarde du 24 mars 1860, et à la différence du traité franco-allemand du 10 mai 1871, le traité conclu à la date du 10 août 1877 entre la France et la Suède dispose que « la rétrocession de l'île de SaintBarthélemy à la France est faite sous la réserve expresse du consentement de la population. » Ce consentement s'est affirmé par un plébiscite qui a donné à la France la presque unanimité des suffrages exprimés.

La légitimité de la cession une fois établie sous le rapport du droit public, les représentants des deux États se

1 Robillard, op. cit., p. 288; Selosse, op. cit., p. 349; Cogordan, op. cit., p. 369; Hepp, op. cit., p. 99; Surville et Arthuys, op. cit., p. 99,

n° 94.

2 V. ci-dessus, p. 530 et s.

sont occupés d'en déterminer les conséquences au point de vue de la nationalité des habitants. L'article 1er du protocole annexé attribue la nationalité française à tous les sujets de la couronne de Suède domiciliés dans l'île; il ne tient aucun compte de l'origine, et, consacrant ainsi le système que nous avons nous-même admis en théorie', réalise, selon nous, un progrès marqué sur les conventions de 1860, de 1861 et de 1871. Ce progrès n'est pas le seul en effet, la convention franco-suédoise suspend jusqu'à la majorité des annexés l'exercice du droit d'option qu'elle leur ouvre (Protocole du 31 octobre 1877, art. 2)2; et il faut remarquer que c'est à la majorité, telle qu'elle est déterminée par la loi française, et non à la majorité suédoise, que l'option est retardée. C'est bien reconnaître à l'annexion un effet immédiat de dénationalisation, et en même temps c'est faire au mineur l'application du système auquel nous nous sommes rallié ci-dessus3.

La rétrocession de l'île de Saint-Barthélemy à la France, quelque modique que soit le nombre des personnes qu'elle a rendues Françaises, a donc, au point de vue doctrinal, une importance très grande; elle marque le triomphe des véritables principes et constitue pour les annexions et cessions à venir-si l'ère des remaniements territoriaux n'est pas encore fermée - un précédent qui sera suivi.

1 V. ci-dessus, p. 527.

2 Article 2: «Toutefois, il demeure loisible aux personnes domiciliées dans l'île de Saint-Barthélemy et étant en possession de la qualité de sujet de la couronne de Suède de s'assurer, si elles le préfèrent, la conservation de cette qualité, moyennant une déclaration individuelle faite à cet effet devant l'autorité de l'île; mais, dans ce cas, le Gouvernement français se réserve la faculté d'exiger qu'elles transportent leur résidence hors du territoire de Saint-Barthélemy. Le délai dans lequel pourra se faire la déclaration d'option prévue au paragraphe précédent sera d'un an à dater du jour de l'installation de l'autorité française dans l'île de Saint-Barthélemy. Pour les personnes qui, à cette date, n'auront pas l'âge pour la majorité par la loi française, le délai d'un an courra à partir du jour où elles atteindront cet âge. >>

fixé

3 V. ci-dessus, p. 532.

TITRE V.

RECOUVREMENT DE LA NATIONalité perdue.

Il peut arriver qu'un individu, dénationalisé à la suite d'un des événements qui ont été examinés dans les titres précédents de ce chapitre, soit désireux de recouvrer son ancienne patrie.

Le droit romain, par le jus postliminii qui réintégrait rétroactivement le captif rendu à la liberté dans la jouissance du droit de cité1, par la restitutio in integrum dans certains cas2; l'ancien droit monarchique français, par les lettres de déclaration de naturalité dont il a déjà été question3, s'étaient préoccupés d'assurer et de faciliter la réalisation de ce désir; et, de son côté, le Code civil a consacré à la réintégration des Français qui ont cessé de l'être, plu. sieurs dispositions, variant avec le degré de faveur qu'ils méritent ce sont, d'une part, les articles 19 et 21 qui visent spécialement, le premier, la femme française que son mariage a rendue étrangère, le second, le Français qui a pris du service dans une armée étrangère; d'autre part, c'est l'article 18, dont la disposition est générale et qui s'applique à tous les cas de dénationalisation, pour lesquels le législateur n'a pas édicté de règles particulières.

SECTION I. Une femme française est devenue étrangère par son mariage avec un sujet étranger.

L'article 19, al. 1° in fine dispose que «< si son mariage est dissous par la mort du mari ou par le divorce, elle recouvre la qualité de Française avec l'autorisation du

1 L. 4, De captivis et postliminio reversis, au Digeste, XLIX, 15. 2 LL. 1, 3, 6, De sententiam passis et restitutio, au Code, IX, 51. 3 Voy. ci-dessus, p. 300.

Gouvernement, pourvu qu'elle réside en France ou qu'elle y rentre en déclarant qu'elle veut s'y fixer. »>

La femme ci-devant Française, devenue étrangère à la suite de l'union qu'elle a contractée avec un étranger, n'a donc pas besoin, pour acquérir à nouveau la nationalité. qu'elle a perdue, de se soumettre aux conditions que le droit commun impose à l'étranger ordinaire, lorsqu'il sollicite sa naturalisation en France'; l'admission préalable à domicile, le stage de résidence ne sont pas de rigueur pour elle. Et la faveur que la loi lui témoigne se justifie d'ellemême. Son mariage, en effet, mettait en présence deux devoirs souvent contradictoires : celui de la femme et celui de la Française; et c'est pour éviter le conflit entre ces devoirs opposés, que l'article 19 attribue à la femme française la nationalité de son mari. Mais la dissolution de ce mariage lui rend sa liberté; ses sentiments pour la France peuvent se donner libre cours et ne seront plus combattus par d'autres sentiments et par d'autres intérêts. De là la disposition de notre texte.

Trois questions se posent sur ce texte :

1o A quelles personnes appartient-il de l'invoquer?

2o A quelles conditions son application est-elle subordonnée?

3o Enfin quels sont les effets de cette application?

1° A quelles personnes appartient-il d'invoquer le bénéfice de l'article 19, al. 1er IN FINE du Code civil?

Ce droit n'appartient qu'aux femmes, autrefois françaises, dont le mariage a changé la nationalité.

Mais il est permis de se demander si la disposition de l'article 19 ne fait pas, en ce qui les concerne, double emploi avec celle de l'article 18, à laquelle nous arriverons bientôt, et dont la portée est générale.

L'ancien article 19, celui d'avant 1889, avait sans doute

1 Voy. ci-dessus, p. 300

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