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Au surplus, si, avant 1889, l'absence d'esprit de retour impliquait chez le Français expatrié l'intention de renoncer à sa patrie d'origine et suffisait par suite à entraîner sa dénationalisation, il importait qu'une conséquence aussi importante ne pût se produire qu'autant qu'il ne subsistait dans l'esprit du juge aucun doute sur la question de savoir si le Français avait conservé ou perdu l'esprit de retour. L'émigré était protégé par une présomption, et c'est à celui qui lui contestait la qualité de Français qu'il incombait de la faire tomber en articulant et en prouvant les faits de nature à l'infirmer1. Tel est d'ailleurs le droit commun de la preuve, et déjà Pothier, nous l'avons vu, n'hésitait pas à en faire application en notre matière3.

Lorsque le tribunal compétent avait jugé que les faits dont il était saisi dénotaient chez le Français l'absence d'esprit de retour, il était considéré comme ayant perdu la qualité de Français et les droits qui en découlent. Mais cette dénationalisation, procédant d'un acte volontaire de l'émigré, lui était rigoureusement individuelle et ne frappait ni sa femme, ni ses enfants, à moins que ceux-ci, agissant dans la plénitude de leur capacité personnelle, n'eussent accompli de leur côté tel ou tel fait qui permît de les regarder comme établis à l'étranger sans esprit de retour".

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bry et Rau, t. I, § 74, p. 272; de Folleville, op. cit., p. 379, no 464; Alauzet, op. cit., p. 60; Cogordan, op. cit., 1re éd., p. 277; Bordeaux, 25 mars 1885 (Journ. Bordeaux, 1885. 1. 335); Bruxelles, 9 mars 1888 (Pand. pér. belg., 1888. 1255).

1 Voy. Demolombe, t. I, no 181; Marcadé, sur l'article 17; Aubry et Rau, t. I, § 74, p. 271; Cass., 13 juin 1811 (Sir. 1811. 1. 290); Poitiers, 26 juin 1829 (Sir. 1830. 2. 99); Cass., 12 avril 1864 (Sir. 1864. 1. 169; P. 1864, 740); 27 juin 1876 (Sir. 1877. 1. 241; P. 1877. 725; D. P. 1877. 1. 122); Bordeaux, 27 août 1877 (Sir. 1879. 2. 105); Cass., 7 janvier 1879 (Sir. 1880. 1. 271; P. 1880. 670); 5 août 1879 (Sir. 1879. 1. 405; P. 1879. 1061).

2 L. 2, De probationibus, au Dig., XXII, 3; C. civ., art. 1315. 3 Voy. ci-dessus, p. 426.

Duranton, t. I, no 189; de Folleville, op. cit., p. 380, no 465. · Mais, en ce qui touche la femme, l'absence d'esprit de retour ne devait

TITRE III.

INFLUENCE DU MARIAGE SUR LA NATIONALité de la femme.

Si toute personne, quel que soit son sexe, quelle que soit la place qu'elle occupe dans la famille, a le droit d'avoir une nationalité, et le droit d'en changer, en se conformant aux règles établies par la législation dont elle relève, il est désirable que plusieurs nationalités ne coexistent pas au même foyer. La bonne intelligence entre époux, la gestion des intérêts communs du ménage souffriraient de la diversité des patries. Aussi le législateur a-t-il le devoir, tout en ne portant aucune atteinte à la liberté d'expatriation, tout en respectant l'individualité de chacun de ceux qui composent la famille, d'établir entre eux l'harmonie initiale, au jour où cette famille se fonde, au jour du mariage. Le mariage doit donner aux époux une patrie commune; et cette patrie ne peut pas être celle de la femme, puisqu'elle doit obéir à son mari et le suivre dans tous ses changements de résidence (C. civ., art. 213 et 214)1; ce sera toujours celle du mari lui-même, auquel la nature et la loi confèrent l'hégémonie domestique. La femme emprunte le nom et le domicile de son mari. Pourquoi n'emprunterait-elle pas aussi sa nationalité?

La loi du 26 juin 1889 a maintenu, à peu de choses près, sur ce point les décisions du Code civil de 1804. Si d'une part elle attribue la nationalité française à la femme étrangère qui épouse un de nos nationaux (C. civ., art. 12, § 1), de l'autre elle dénationalise, sauf dans un cas excep

pas être facilement admise, car il eût été souvent excessif de voir une intention de changer de patrie dans son établissement en pays étranger à la suite de son mari, cet établissement n'étant que l'accomplissement d'un devoir qui lui est imposé par la loi (C. civ., art. 214).

1 Rappelons toutefois que le nouvel article 8, C. civ., s'inspirant des précédents de la législation intermédiaire (voy. ci-dessus, p. 332), facilite l'acquisition de la nationalité française à l'étranger qui a épousé une Française.

tionnel, la Française qui est devenue l'épouse d'un régnicole étranger (C. civ., art. 19).

Examinons séparément chacune de ces deux hypothèses.

SECTION I. - Une femme étrangère épouse
un citoyen français.

Code civil, article 12, § 1: « L'étrangère qui aura épousé un Français suivra la condition de son mari. »

Ainsi, par le seul fait de son mariage avec un Français, la femme étrangère acquiert la qualité de Française; elle l'acquiert, non par une naturalisation, mais par l'effet de la loi, en dehors de toute intervention gouvernementale ou administrative.

Mais comment conciliera-t-on la disposition de l'article 12 avec le principe qui fait de la nationalité un lien contractuel entre le citoyen et l'État? Ce principe n'est-il pas violé par la règle législative qui attribue ipso jure à la femme étrangère la nationalité de son mari français?

Il est facile de voir qu'il n'en est rien. Le consentement en effet est un élément essentiel à la validité du mariage. « Il n'y a pas de mariage lorsqu'il n'y a pas de consentement » (C. civ., art. 146). La femme qui consent à son mariage sait à quoi elle s'engage; elle sait qu'en se donnant à un époux français, elle renonce à sa patrie d'origine, et c'est à elle qu'il appartient de mettre en balance dans son esprit le sentiment qui la pousse au mariage et l'attachement qu'elle porte à cette patrie. En consentant au mariage, elle consent donc en même temps à changer de nationalité; il y a là une présomption de volonté, qui laisse intacte la nature contractuelle de la nationalité. Mais cette présomption posée par la loi dans l'article 12 est-elle invincible?

Dans un premier système, qui a pour lui un ensemble d'autorités imposantes, on raisonne de la manière suivante La loi a attribué à la femme la nationalité de son

mari, parce qu'elle a considéré que l'unité de patrie entre les époux est conforme à la nature du mariage. La disposition de l'article 12, disait Boulay dans son Exposé des motifs, « est fondée sur la nature même du mariage, qui de deux êtres n'en fait qu'un, en donnant la prééminence à l'époux sur l'épouse. » Et qui oserait prétendre que les époux sont maîtres de changer, par leurs conventions particulières, la nature du mariage, en l'empêchant de produire ses conséquences essentielles? L'article 12 est une véritable disposition d'ordre public, disposition impérative, à laquelle les futurs époux ne sauraient déroger (C. civ., art. 1388). La femme ne pourra donc se réserver, lors de la célébration du mariage, sa nationalité d'origine'.

Un deuxième système, développé par M. Blondeau dans la Revue de droit français et étranger, permet à la femme de se soustraire à la nationalité de son mari. En effet la plupart des auteurs s'accordent à reconnaître que la femme ne participe pas nécessairement aux changements de nationalité acceptés ou subis par son mari3; et le nouvel article 12, § 2, du Code civil, dont nous avons déjà analysé la disposition, est venu consacrer leur opinion. Il peut ainsi se faire que, pendant le mariage, les deux époux n'aient pas la même nationalité. Pourquoi ce qui, dans ce cas, n'est pas considéré comme contraire à l'ordre public et à la nature du mariage le serait-il dans l'hypothèse qui nous occupe? On peut donc écarter l'objection tirée de l'ordre public, et l'on reste en présence de ce principe que la nationalité repose sur un accord de volontés. La volonté existe dans le mariage; mais c'est sur l'individualité tout

1 Fœlix et Demangeat, op. cit., t. I, no 35, note a; Laurent, Principes de droit civil, t. I, p. 434, et Droit civil international, t. III, p. 179; de Folleville, op. cit., no 235, p. 177; Cogordan, 2o éd., p. 278; R. Vincent, op. cit., no 122; Cohendy, dans Le Droit du 10 novembre 1889; Le Sueur et Dreyfus, op. cit., p. 171.

2 Revue de droit français et étranger, 1845, p. 143.

3 Voy. ci-dessus, p. 146.

Voy. ci-dessus, p. 358.

entière de l'époux, et non sur sa nationalité, qu'elle porte principalement. Il est naturel qu'en l'absence d'une déclaration formelle, le législateur, s'inspirant aussi bien de l'intérêt du ménage que de l'intention probable de la femme, présume que cette dernière a voulu se rattacher à la patrie de son mari; mais ce n'est là qu'une présomption qui doit céder devant la manifestation d'une volonté contraire. S'il en était autrement, la femme pourrait aisément d'ailleurs éluder la contrainte de la loi, en sollicitant dès le lendemain du mariage, avec l'assentiment de son mari, sa réintégration dans son pays d'origine (C. civ., art. 17, 1o); et ainsi l'article 12 serait impunément violé : l'unité de nationalité n'aurait existé qu'un instant'.

Malgré ces raisons qui nous paraissent excellentes en législation, la doctrine et la jurisprudence étaient absolument fixées dans le sens de la première opinion, sous le régime du Code civil de 1804; et il est peu probable qu'elles y renoncent aujourd'hui. La rédaction de l'article 12 n'a en effet subi sur ce point aucun changement en 1889; et elle semble bien donner raison à ceux qui imposent dans tous les cas à la femme étrangère un changement de patrie, à la suite de son mariage avec un Français.

Occupons-nous maintenant :

1o Des personnes auxquelles s'applique l'article 12, § 1. 2o Des conditions auxquelles il subordonne l'acquisition de la nationalité française.

3o Des effets de cette acquisition.

1 Mourlon, Répétitions écrites de Code civil, 9o éd., p. 102, note 1. Cette règle serait vraisemblablement suivie, alors même que la loi du pays d'origine de la femme n'attacherait à son mariage avec un Français aucun effet de dénationalisation, ou tout au moins lui permettrait, en se mariant à l'étranger, de conserver sa nationalité première. De semblables réserves n'auraient pas plus d'efficacité que celles procédant directement de la volonté de la femme. Voy. Féraud-Giraud, dans le Journal du dr. int. pr., 1885, p. 226. Cf. Demolombe, t. IV, no 3. Tel est le cas de la législation du Salvador (Constit. du 4 décembre 1883, art. 42). Voy. ci-après.

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