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par l'article 17, 1° du Code civil, ne perdent de plein droit la qualité de Français1.

Remarquons néanmoins que, si telle est la règle, il arrivera parfois que la femme et l'enfant du ci-devant Français trouvent dans l'article 17, 1° lui-même le moyen de s'y soustraire, dans le cas où la loi qui est désormais celle du chef de la famille ouvrirait à sa femme et à ses enfants, devenus majeurs et, capables, un droit d'option pour la nationalité étrangère. L'exercice de ce droit d'option, en les rendant étrangers, sur leur demande, par l'effet de la loi, les relèvera valablement de l'allégeance française; mais jusqu'au jour où ils auront pu ou voulu y recourir, ils auront été Français.

Tel est d'ailleurs le système qu'avait déjà consacré, dans les rapports de la France et de la Suisse, le traité du 23 juillet 1879, sur lequel nous aurons à revenir. Son article 1 est ainsi conçu « Les individus dont les parents, Français d'origine, se font naturaliser suisses, et qui sont mineurs au moment de cette naturalisation, auront le droit de choisir, dans le cours de leur vingt-deuxième année, entre les deux nationalités française et suisse. Ils seront considérés comme Français, jusqu'au moment où ils auront opté pour la nationalité suisse. »

SECTION II.

Acceptation et conservation de fonctions publiques conférées par un Gouvernement étranger.

C. civ., art. 17: « Perd la qualité de Français : ...... 3o Le Français qui, ayant accepté des fonctions publiques conférées par un Gouvernement étranger, les conserve nonobstant l'injonction du Gouvernement français de les résigner dans un délai déterminé. »

La loi française a dû supposer que le Français, devenu

1 Cogordan, , op. cit., 2o éd., p. 249; R. Vincent, op. cit., no 188; Le Sueur et Dreyfus, op. cit., p. 198 et s.; Audinet, dans la Revue critique, 1891, p. 168 et s.

fonctionnaire étranger, a assumé de nouveaux devoirs incompatibles avec ceux dont il est tenu envers sa patrie d'origine. Celle-ci n'admet pas de partage et présume chez le Français expatrié la volonté de renoncer à la France, qu'il ne peut plus loyalement et utilement servir; et une semblable présomption, reposant sur l'intérêt public, n'admet aucune preuve contraire, dès que celui qu'elle atteint a, par un acte formel de désobéissance, donné la mesure de ses véritables sentiments.

Mais, pour que la dénationalisation soit encourue, quatre conditions doivent se trouver réunies

a) Il faut que le Français soit capable de renoncer à la nationalité française.

6) Il faut qu'une Puissance étrangère lui ait conféré une fonction publique.

c) Il faut qu'il l'ait acceptée.

d) Il faut enfin qu'il l'ait conservée, nonobstant l'injonction du Gouvernement français de la résigner dans un délai déterminé.

a) Première condition.

Il faut que le Français soit capable de renoncer à la nationalité française.

De cette condition nous n'avons plus rien à dire. Les règles développées ci-dessus, relativement à la capacité requise chez le Français qui acquiert une nationalité étrangère par naturalisation ou par l'effet de la loi (C. civ., art. 17, 1°), reçoivent en général leur application'. Notons toutefois que l'autorisation gouvernementale dont celui-ci doit justifier, lorsque, par son âge, il est soumis aux obligations du service militaire actif, n'est pas ici de rigueur; le Gouvernement français a un moyen très simple de conserver à celui de ses nationaux qui s'est laissé investir de fonctions publiques à l'étranger, sa nationalité première, et de ne pas le dégager des devoirs qui en découlent; c'est

1 Voy. ci-dessus, p. 433 et s.

de ne lui adresser aucune injonction d'avoir à résigner lesdites fonctions.

b) Deuxième condition.

Il faut qu'une Puissance étrangère ait conféré au Français une fonction publique.

L'intervention du Gouvernement étranger', se manifestant par un acte de nomination, est nécessaire; mais il importe de plus que la fonction dont il a revêtu le Français soit une fonction publique.

Cette observation exclut, croyons-nous, de l'application de l'article 17, 3°, le service privé auprès d'un Chef d'Etat étranger, les titres, les distinctions purement honorifiques, les décorations obtenues par un sujet français en dehors de son pays, et de même tout emploi dans les bureaux administratifs qui n'est pas à la nomination du Gouvernement étranger.

Cependant un avis du Conseil d'Etat, en date du 21 janvier 1812, approuvé par l'Empereur et inséré au Bulletin des Lois, était allé beaucoup plus loin que le texte de la loi; il soumettait à la dénationalisation tout Français qui aurait accepté d'un prince étranger un titre de noblesse héréditaire, ou un service d'honneur auprès de sa personne ou d'un membre de sa famille.

Cette décision prêtait à la critique. Un titre de noblesse ou un service d'honneur n'est le plus souvent qu'une marque d'estime accordée par un souverain étranger à l'un de nos concitoyens distingué par ses mérites, et, comme les décorations étrangères, il se concilie parfaitement avec les exigences du patriotisme le plus scrupuleux. Faut-il rappeler que Voltaire a porté le titre de chambellan du roi de Prusse?

A l'avis du Conseil d'Etat de 1812, on a coutume de

1 Les fonctions conférées par un pouvoir insurrectionnel n'emportent pas la dénationalisation du Français qui les remplit. Lorsque l'article 17, 3o, parle d'un Gouvernement étranger, il entend sans nul doute un Gouvernement régulier et reconnu par la France. Voy. Cogordan, op. cit., 2o éd., p. 293.

joindre un arrêt de la Cour de cassation du 14 mai 18341, dont il résulte que l'acceptation du titre de conseiller aulique en Russie entraîne pour le Français la perte de cette nationalité; mais la portée de cet arrêt se trouve sensiblement diminuée par ce fait que, dans l'espèce qu'il avait résolue, le Français avait en outre prêté serment de fidélité au tzar. La Cour a pu considérer que ce serment, joint à la dignité conférée au Français et aux obligations auxquelles il s'était soumis en l'acceptant, dénotait chez lui l'intention de renoncer à son pays d'origine et d'acquérir en Russie cet établissement à perpétuelle demeure, auquel l'ancien article 17, 3° du Code civil attachait un effet de dénationalisation.

Mais alors se pose une question souvent très délicate à résoudre. Qu'est-ce qu'une fonction publique, au sens de l'article 17?

La loi, pas plus après 1889 qu'avant, ne fait rien pour nous tirer d'embarras; elle se borne à poser le principe et laisse à la jurisprudence le soin d'en déduire et d'en diriger les applications.

La dénationalisation doit résulter, suivant nous, de l'acceptation et de la conservation de fonctions politiques, administratives ou judiciaires, impliquant une participation quelconque à l'exercice de la puissance publique2.

1 Sir. 1834. 1. 847; D. A. v° Droit civil, no 546. Le pourvoi sur lequel est intervenu cet arrêt faisait observer, pour écarter l'application de l'article 17, que « le sieur D... était dentiste de l'empereur de Russie; cette profession ne constitue ni un service public, ni une fonction publique; ce n'était là que l'exercice d'une profession particulière. Le titre de conseiller de cour qu'avait accepté le sieur D... est une distinction attachée à la charge de dentiste, tout comme à celle de cuisinier ou de cocher. Ce titre n'est pas une fonction; il ne donne au titulaire ni le droit de conseil, ni la faculté de se mêler des intérêts politiques de la Russie; il ne pouvait donc faire perdre au sieur D... la qualité de Français. Quant au serment, il ne se rattachait pas à une fonction publique, mais à la charge de dentiste, de même que, dans toutes les cours, on l'exige des médecins, des chirurgiens. Il ne pouvait dès lors constituer un de ces actes qui entraînent la perte de la qualité de Français.

2 Valette, Cours de Code civil, t. I, p. 59; Cogordan, op. cit., 2o éd., p. 294.

C'est aux tribunaux qu'il appartient d'apprécier si la fonction dévolue au Français présente ce caractère, et leur tâche, notamment lorsqu'il s'agira d'appliquer l'article 17, 3o, aux fonctions sacerdotales, universitaires, diplomatiques ou consulaires, ne sera pas exempte de difficultés.

Un Français est appelé à remplir, comme pasteur, comme curé ou comme évêque, le ministère ecclésiastique en pays étranger. Pourra-t-il être considéré, le cas échéant, comme déchu de la nationalité française? Nous serions porté à répondre par une distinction. Si la fonction religieuse conférée au Français est, dans le pays où il doit l'exercer, entièrement indépendante du Gouvernement local et des autorités civiles; si les Églises et les religions y sont libres de toute attache officielle et ne reçoivent aucune subvention, le Français échappe à toute déchéance1. Il en serait ainsi à plus forte raison si la dignité ecclésiastique qui lui est échue est purement honorifique, si par exemple il a été nommé camérier du Pape ou chanoine 2. Au contraire, les membres du clergé sont-ils, vis-à-vis du Gouvernement étranger, comme en France, dans la situation de fonctionnaires, rétribués par lui et astreints à l'obéissance, dans le domaine des intérêts temporels, la cure, l'évêché ou les fonctions pastorales attribués à ce Français pourront lui faire perdre sa nationalité'.

1 Merlin, Répertoire, vo Français, § 1, no 4; de Folleville, op. cit., n° 452, p. 372; Cogordan, op. cit., 2o éd., p. 294; Arrêt du Parlement de Rouen du 8 août 1647, mentionné ci-dessus, p. 448, note 5; Nîmes, février 1816 et Cass., 17 novembre 1818 (Sir. chr.).

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2 Douai, 1er décembre 1835 et Cass., 15 novembre 1836 (Sir. 1836. 1. 937): « Sous le nom de fonctions publiques conférées par un Gouvernement étranger, et par l'acceptation desquelles on perd la qualité de Français, dit la Cour de cassation dans ce dernier arrêt, on doit bien comprendre les fonctions politiques, administratives et judiciaires, les services et titres personnels auprès des princes étrangers, et les services incompatibles avec la même qualité de Français; mais on n'y doit nullement comprendre des fonctions qui se rattachent exclusivement au culte et qui n'exigent pas même des vœux et la séparation du siècle. »

3 De Folleville, loc. cit.

Paris (1 Ch.), 12 mai 1891 (Revue prat. de dr. int. pr., 1890-1891, 1, p. 327).

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