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Code civil, art. 17 : « Perd la qualité de Français: 1o Le Français naturalisé à l'étranger ou celui qui acquiert sur sa demande la nationalité étrangère par l'effet de la loi. — S'il est encore soumis aux obligations du service militaire pour l'armée active, la naturalisation à l'étranger ne fera perdre la qualité de Français que si elle a été autorisée par le Gouvernement français. »

Lorsqu'un Français obtient des lettres de naturalisation d'un Gouvernement étranger ou accomplit, hors de France, un des actes auxquels la législation locale attache la concession du droit de cité, sa condition subit un double changement 1° il devient sujet étranger; 2° il cesse le plus souvent d'être Français, car il ne peut avoir deux patries.

Du premier de ces phénomènes juridiques nous n'avons rien à dire quant à présent. C'est la loi étrangère qui détermine souverainement les conditions auxquelles est soumise l'admission d'un Français dans une autre nation, et les conséquences de cette admission; il suffira, pour les connaître, de se reporter à l'avant-dernier titre de ce chapitre.

La perte de la nationalité française doit seule nous occuper ici; car, « si l'acquisition d'une nationalité nouvelle est régie par la loi du pays où elle est obtenue, la perte de la nationalité l'est par celle du pays auquel appartenait l'individu naturalisé1. » C'est donc en nous plaçant au

Lyon, 19 mars 1875 (Sir. 1876. 2. 21); « Il n'est pas douteux, dit d'autre part la Cour de cassation de Florence, dans son arrêt du 25 avril 1881 (Sir. 1884. 4. 21), que chaque État règle au moyen de ses propres lois l'acquisition et la perte de la nationalité dans les limites de son territoire. En conséquence, à l'égard de la nationalité d'une même personne dans des États différents, il y a une distinction essentielle à faire entre l'acquisition de la nationalité nouvelle et la perte de l'ancienne; la première est régie exclusivement par la loi du pays dans lequel elle est obte

point de vue exclusif de la législation française que nous allons rechercher quelles sont les conditions et les effets de la dénationalisation encourue par le Français aux termes de l'article 17, 1° du Code civil.

1° Conditions. A quelles conditions la France reconnaîtra-t-elle au Français devenu étranger le bénéfice de sa nouvelle patrie et consentira-t-elle à lui rendre sa liberté? Deux conditions sont à la fois nécessaires et suffisantes : a) Il faut que le Français soit capable de renoncer à la nationalité française.

b) Il faut qu'il ait acquis une nationalité étrangère. a) Première condition.

Il faut que le Français soit capable de renoncer à la nationalité française.

C'est d'après la loi française que l'étendue de cette capacité doit être mesurée. Aussi longtemps que le Français n'est pas devenu étranger, il demeure soumis, dans son état et dans sa capacité, aux dispositions de sa législation nationale (C. civ., art. 3, § 3)1.

Ni le mineur de vingt et un ans, même émancipé3, ni

nue; la seconde dépend uniquement des règles écrites dans la loi du pays auquel la personne appartenait précédemment. » Voy. aussi la lettre du ministre des Affaires étrangères de France au ministre des États-Unis à Paris, du 26 avril 1888 (Archives diplomatiques, février 1890, p. 168).

1 Cass., 19 août 1874 (Sir. 1875. 1. 52; P. 1875. 118; D. P. 1875. 1. 151); Douai, 10 novembre 1887 (Le Droit du 15 décembre 1887); Gaz. du Palais, 1889. 2. 500; Revue prat. de dr. int. pr., 1890-91. 1. 128); Trib. civ. Verviers, 5 décembre 1888 (Pand. belges, 1889, 1150); Cass. civ., 26 février 1890 (Revue prat. de dr. int. pr., 1890-1891, 1, p. 128). Cf. von Bar, op. cit., 2o éd., t. I, no 65, p. 210. - Voy. cep. un jugement du tribunal fédéral suisse du 20 septembre 1879 (Recueil officiel, 1879, p. 328), déjà rappelé.

2 Cogordan, op. cit., 2o éd., p. 179; R. Vincent, op. cit., no 160; Le Sueur et Dreyfus, op. cit., p. 181; Audinet, dans la Revue critique, 1891, p. 31. Lyon, 19 mars 1875; Douai, 19 novembre 1887, précités. M. Despagnet, op. cit., 2o éd., p. 236, no 221, admet cependant que la naturalisation hors de France entraîne la perte de la qualité de Français pour un mineur, lorsqu'elle a été obtenue avec l'autorisation de ses représentants légaux.

W. - I.

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l'interdit, si ce n'est peut-être dans un intervalle lucide', ne sauraient invoquer l'article 17, 1o, pour se soustraire à la nationalité française, alors même que les lois étrangères consacreraient leur aptitude à la naturalisation.

Prenons un exemple : la loi allemande du 1o1 juin 1870 sur la nationalité dispose, dans son article 8, que « la naturalisation ne doit être accordée aux étrangers que lorsqu'ils sont capables de disposer (dispositionsfachig) d'après les lois du pays auquel ils ont appartenu jusqu'alors, ou, s'ils ne jouissent pas de cette capacité, quand ils ont l'assentiment de leur père, tuteur ou curateur. » La naturalisation obtenue par le mineur français en Allemagne avec l'assentiment de son père n'aurait aucune valeur sur le territoire français, et c'est à bon droit qu'on l'obligerait à satisfaire à la loi du recrutement.

Toutefois, si la naturalisation conférée à un mineur est par elle-même impuissante à opérer, au jour où elle intervient, un changement de nationalité en sa personne, cet effet résultera valablement de la déclaration par laquelle, une fois majeur et revêtu d'une capacité juridique entière, il aurait manifesté la volonté de revendiquer son bénéfice, et de renoncer à la nationalité française; et c'est à compter de cette déclaration qu'il cessera d'appartenir à la France2.

Que dirons-nous de la femme mariée?

Tout le monde, croyons-nous, est d'accord sur un point:

1 Cogordan, op. cit., 2e éd., p. 179; R. Vincent, op. cit., no 160; Le Sueur et Dreyfus, op. cit., Quant à l'individu pourvu d'un p. 182. conseil judiciaire, nul doute qu'il ne soit pleinement capable de changer de patrie, la naturalisation en pays étranger ne figurant pas au nombre des actes que l'article 513 du Code civil lui interdit. Despagnet, op. cit., 2o éd., p. 237, no 221.

2 Chambéry, 29 avril 1873 (Sir. 1874. 2. 105); Trib. civ. Lille, 16 juin 1887, et Douai, 10 novembre 1887 (Le Droit du 15 décembre 1887; Gaz. du Palais, 1889. 2. 500; Revue prat. de dr. int. pr., 1890-1891. 1, p. 128); Cass. civ., 26 février 1890 (Revue prat. de dr. int. pr., ibidem); Le Sueur et Dreyfus, op. cit., p. 181, note 2. Cf. cep. les observations sous l'arrêt de cassation dans la Revue prat. de dr. int. pr., 1890-1891. 1, p. 130.

c'est que la femme non séparée de corps ne peut perdre la nationalité française, à la suite d'une naturalisation par elle obtenue en pays étranger, sans l'autorisation de son mari, ou, en cas de refus arbitraire de sa part, sans l'autorisation de justice'; mais la nécessité de cette autorisation survit-elle à la séparation de corps prononcée entre les époux?

Ce problème s'est posé il y a quelques années, dans des circonstances encore présentes à toutes les mémoires.

En 1861, avait été célébré le mariage du prince de Bauffremont citoyen français, avec une Belge de naissance, Melle Valentine de Caraman-Chimay, et, par l'effet de ce mariage, cette dernière avait acquis la nationalité française, conformément à l'article 12 du Code civil.

Une séparation de corps judiciaire étant intervenue entre les époux, Mme de Bauffremont se crut en droit de demander et d'obtenir sa naturalisation dans la principauté allemande de Saxe-Altenbourg. Puis, devenue étrangère, elle excipa de l'article 734 du Landrecht, qui assimile la séparation de corps prononcée par un tribunal étranger à une sentence. de divorce, pour contracter, le 24 octobre 1875, une nouvelle union avec le prince Georges Bibesco, de nationalité roumaine.

Le prince de Bauffremont attaqua devant la justice française la validité de ce mariage; et il invoqua notamment cette considération que, bien que séparée de corps d'avec lui, sa femme n'en demeurait pas moins soumise à sa puissance maritale et n'avait pu, sans son autorisation, se faire naturaliser en pays étranger. Cette naturalisation étant nulle, comme ayant été obtenue par un incapable, Mme de Bauffremont, restée Française, n'avait pu valablement se

1 Arg. art. 219 C. civ. - Voy. de Folleville, op. cit., no 414, p. 315; Féraud-Giraud, dans le Journal du dr. int. pr., 1885, p. 234; Cogordan, op. cit., 2° éd., p. 180; R. Vincent, op. cit., no 161.

2 Lettre de l'ambassadeur de France à Berlin au ministre des Affaires étrangères, du 12 novembre 1875 (Journal du dr. int. pr., 1875, p. 411).

prévaloir d'une loi étrangère pour faire dissoudre un mariage légalement existant en France, et pour en contracter un nouveau. Le rang social des parties en présence, l'importance des intérêts soulevés par elles, le talent des avocats appelés à les défendre ont fait de ce procès une des causes célèbres du droit international. Deux opinions ont divisé et divisent encore les auteurs sur la solution juridique qu'il comporte :

Première opinion. La séparation de corps, dit-on, rend la femme pleinement indépendante de son mari, en ce qui touche l'acquisition d'une nationalité nouvelle; l'absence de l'autorisation maritale ou, à défaut, de celle de justice, ne fait aucun obstacle à sa naturalisation.

S'il est entré dans la pensée du législateur d'attribuer à la femme la nationalité de son mari (C. civ., art. 12 et 19), c'est à cause de l'unité de domicile que l'article 108 du Code civil a établie entre eux. La nationalité est donc une dépendance du domicile, et la séparation de corps, en permettant à la femme d'avoir un domicile distinct de celui de son mari, lui permet par cela même d'acquérir une patrie différente, sans l'aveu de ce dernier. Rien en effet ne limite et ne dirige la femme dans le choix de sa demeure; elle peut sans doute continuer à habiter sur le sol du pays dont son mari relève, mais elle peut aussi trans- . porter son domicile au delà des frontières françaises, et se soumettre ainsi à des lois et à des obligations nouvelles. Pourquoi dès lors ne pas lui reconnaître le droit de régulariser une situation si imparfaite et si précaire, et de se fixer à jamais sur la terre qui lui donne l'hospitalité, en y acquérant le droit de cité?

Objectera-t-on que, le mariage n'étant pas dissous par la séparation de corps, l'unité de nationalité qui en résulte pour les époux doit aussi subsister? L'argument aurait quelque valeur, si le mariage impliquait nécessairement chez les époux une nationalité commune. Or, sous le régime actuel, la naturalisation obtenue par le mari ne s'é

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