Page images
PDF
EPUB

des Affaires étrangères et du Garde des sceaux (D. 1887, art. 5). Sa décision favorable ne donne lieu à la perception d'aucun droit de sceau pour les individus attachés au service de la France; quant aux autres, ils sont tenus d'acquitter un droit de 50 francs au profit du protectorat (D. 1887, art. 6).

La naturalisation, obtenue dans les conditions qui viennent d'être indiquées, produit tous ses effets, non seulement dans le pays protégé, mais même en France; et, dans le silence des textes, elle les produit conformément au droit commun de la métropole '.

Il serait bon toutefois que, pour prévenir toute difficulté, un nouveau décret vînt s'expliquer sur l'éligibilité au Parlement des étrangers ou des indigènes naturalisés en Tunisie et au Tonkin, ainsi que sur la situation faite à leurs femmes et à leurs enfants. On peut soutenir, en effet, que la loi française du 26 juin 1889 n'étant pas obligatoire dans les pays de protectorat, le régime antérieur à cette loi, qui était en vigueur en France lors de la promulgation des décrets de 1887, doit seul servir à leur interprétation.

TITRE II.

PERTE DE LA NATIONALITÉ FRANÇAISE.

De ce que la nationalité résulte d'un contrat, nous avons conclu qu'elle ne s'impose pas, et que toute personne est libre de renoncer à la patrie qu'elle tient de sa naissance ou d'un choix postérieur2.

Il en était ainsi à Athènes 3. Le citoyen pouvait de son plein gré sortir de la cité; mais il pouvait aussi encourir

1 Cf. Audinet, Revue algérienne et tunis. de législ. et de jurispr., 1889. 1. 168.

2 Voy. ci-dessus, p. 10. 3 Voy. ci-dessus, p. 13.

la déchéance de tout ou partie de ses droits, à la suite d'une condamnation pénale ou d'actions coupables, telles que la désertion devant l'ennemi, le refus du devoir militaire, etc. Cette déchéance, connue sous le nom d'atimie, frappait l'Athénien d'une sorte de mort civile, qu'une réhabilitation solennelle ou une amnistie avaient seules le pouvoir de faire disparaître; Démosthène en énumère en ces termes les principaux effets : « L'atime ne peut ni devenir archonte, ni exercer un sacerdoce, ni rendre la justice; il est inhabile à toutes les charges publiques, soit au dedans, soit à l'étranger. Il ne doit faire acte ni d'héritier, ni d'électeur; il ne peut ni être envoyé en ambassade ou parler dans l'assemblée, ni participer aux sacrifices publics, ni porter une couronne aux Stéphanophories communes, ni mettre les pieds dans la partie réservée de l'Agora 1. »

Chez les Romains aussi, la perte du droit de cité était tantôt volontaire, tantôt forcée.

Elle était volontaire, pour le citoyen:

1° qui s'était fait recevoir dans une cité étrangère liée à Rome par un traité : non esse hujus civitatis qui se alii civitati dicari potest;

2o qui s'était expatrié exsilii causa, par exemple pour se soustraire à une condamnation imminente ou aux conséquences d'une condamnation déjà prononcée; amittitur et civitas denique, cum is, qui profugit, receptus est in exsilium, hoc est in aliam civitatem;

1 Demosthène, c. Timocrate, 105; P. van Lelyveld, De infamia jure attico, Amsterd. 1835. Schoemann, Griech. Alterthümer, t. I, p. 381 et s., 551 et s.; J. A. Hild, vo Atimie, dans la Grande encyclopédie du XIXe siècle, t. IV, p. 453. E. Caillemer, vo Atimie, dans le Dictionnaire des antiq. grecques et romaines de MM. Ed. Daremberg et Saglio.

2 Cicéron, pro Balbo, 11, 27; 12, 29 et 30. Voy. Mommsen, Le droit public romain (trad. fr. par M. P. F. Girard), t. VI, 1, p. 52, et ci-dessus p. 26, note 1. Toutefois, C. Nepos, Att., 3, semble dire qu'il y avait controverse sur ce point : « Nonnulli ita interpretantur amitti civitatem Romanam alia adscita. >>

[ocr errors]

3 Cicéron, pro Cæcina, 33, 34; pro domo, 30, 78; Polybe, VI, 14; Sal

3o qui s'était fait inscrire dans une colonie latine et était ainsi devenu Latin'.

Elle était forcée, pour le citoyen :

1° qui avait encouru l'esclavage; et l'esclavage résultait à Rome, soit de la captivité ex jure gentium (L. 5, § 2, De captivis et postliminio reversis, au Dig. XLIX, 15), soit, jure civili, d'une condamnation ad metallum ou ad bestias, soit de l'application du sénatus-consulte Claudien à la femme libre qui aurait entretenu des relations avec l'esclave d'autrui, contre le gré du dominus, soit, pour l'affranchi, d'un acte d'ingratitude (L. 6, § 1, De agnosc. vel alend. lib., Dig., XXV, 3), soit enfin de la vente frauduleuse d'un homme libre, effectuée avec le consentement de ce dernier (Inst. Just., I, titre III, § 4);

au

2o qui avait été livré à une nation étrangère, en expiation d'un attentat contre le droit des gens. Pareille mesure pouvait être prise contre le Romain qui avait frappé un ambassadeur étranger', contre l'ambassadeur romain qui avait pris les armes, dans une guerre entre sa patrie et la cité à laquelle il avait été envoyé3; cette extradition avait pour effet de dégager Rome de la responsabilité de ces actes; elle s'opérait par le ministère des Fétiaux (deditio per patrem patratum). On s'était demandé si le citoyen luste, Catilina, LI, 40. Sur le jus exsilii, voy. Maynz, Cours de droit romain, t. I, no 91, p. 167; Mommsen, ubi supra, p. 53 et s.

--

1 Cicéron, ubi supra; Gaius, III, 56; Boethius, ad Cic. topica, 2. Le postliminium constituait aussi, dans certains cas, un mode de dénationalisation volontaire; tel était le cas pour l'étranger libre qui, réduit en esclavage à Rome, puis affranchi par son maître et devenu en conséquence citoyen romain comme ce dernier, quittait Rome sans esprit de retour et revenait dans sa patrie d'origine ; le jus postliminii, en lui rendant la qualité de citoyen de cette dernière, le dépouillait par cela même du droit de cité romaine, à la condition qu'il existât un traité entre Rome et son pays. Cicéron, pro Balbo, 12, 29; De oratore, I, 40. Voy. à cet égard, Mommsen, ubi supra, p. 58.

2 Tite-Live, XXXVIII, 42; Dion Cassius, XLII; Zonaras, VIII, 7; Varron, De vita pop. Rom., III, 8; Val. Max., VI, 6.

3 Diodore, XIV, 113; Tite-Live, V, 36; Plutarque, Camill., 18. Voy. sur l'extradition des citoyens romains, notre étude sur Le Droit fétial et les Fétiaux, Paris, 1883, pp. 21 et 22.

ainsi livré à un peuple étranger conservait, en cas de refus de ce dernier, le jus civitatis, ou s'il ne devenait pas peregrinus sine certa civitate; mais la première de ces deux solutions paraît avoir prévalu1;

3o qui avait été vendu par le paterfamilias hors du territoire romain2;

4o qui, devenu insolvable, avait été vendu par ses créanciers trans Tiberim";

5o qui avait été interdit de l'eau et du feu *;

6° enfin, qui avait encouru la peine de la déportation. Cette peine qui, à partir d'Auguste, remplaça l'interdiction de l'eau et du feu, emportait privation du droit de cité, à la différence de la simple relégation'. Pareille déchéance résultait, sous l'empire, de la condamnation aux travaux publics à perpétuité : « Quidam nóides sunt, hoc est sine civitate: ut sunt in opus publicum perpetuo damnati, et in insulam deportati3. »

Et même, en dehors de ces causes individuelles de dénationalisation, il est maintes fois arrivé, au cours de l'his

1 Cicéron, pro Cæcina, 34; Ulpien, L. 17, De legationibus, au Dig. (IV, 7) « ..... quem hostes si non recepissent, quæsitum est, an civis Romanus maneret; quibusdam existimantibus manere, aliis contra: quia quem semel populus jussisset dedi, ex civitate expulsisse videretur, sicut faceret, cum aqua et igni interdiceret : in qua sententia videtur Publius Mucius fuisse : id autem maxime quæsitum est in Hostilio Mancino, quem Numantini sibi deditum non acceperunt, de quo tamen lex postea lata est, ut esset civis Romanus, et præturam quoque gessisse dicitur. »

2 Cicéron, De oratore, I, 40; pro Cæcina, 34; Maynz, op. cit., I, p. 143.

3 Aulu-Gelle, N. Att., XII.

4 Ulpien, Reg., XI, 12; Gaius, I, 128. Sur l'interdictio agna et igni, voy. Fustel de Coulanges, La cité antique, 11o éd., p. 234; Maynz, op. cit., t. I, p. 167.

5 Ulpien, L. 2, § 1, De pœnis, au Dig. (XLVIII, 6 Inst. Just., I, 16, § 2.

19).

7 L. 7, § 3 et 14, § 1, De interd. et releg., au Dig. (XLVIII, 22). Ovide, après sa relégation chez les Scythes, se félicitait d'être demeuré citoyen romain. Tristes, V, 2, 56: « Nec mihi jus civis, nec mihi nomen abest. >>

Marcien, L. 17, § 1, De pœnis, au Dig. (XLVIII, 19.

toire romaine, que le peuple enlevât, à titre de peine, le droit de cité à des villes entières qui en avaient été investies'.

L'ancien droit français retirait la qualité et les droits de citoyen au Français qui avait abandonné sa patrie sans esprit de retour'. Mais l'esprit de retour devait toujours être présumé chez lui, « à moins, dit Pothier, qu'il n'y ait quelque fait contraire qui détruise une présomption aussi bien fondée, et qui prouve une volonté contraire de s'expatrier... Le mariage qu'il contracterait à l'étranger ne pourrait que faire naître des soupçons; mais il ne serait plus permis de douter de son dessein de s'expatrier, s'il avait établi le centre de sa fortune en pays étranger, s'il s'y était fait pourvoir de quelque office ou bénéfice, surtout, s'il s'y était fait naturaliser, car on ne peut obtenir des lettres de naturalité, sans se reconnaître sujet du prince à qui on les demande. »>

Il résulte de ce passage que la naturalisation acquise à

1 Tite-Live, XXVI, 30; Cicéron, Pro Cluentio, 33; pro domo, 30; Spartien, Sept. Sev. Cf. Maynz, op. cit., t. I, p. 143. L'empereur lui-même n'hésitait pas toujours à dépouiller de la cité, et cela de sa pleine autorité, tel ou tel citoyen, sous un prétexte parfois futile, par exemple à cause de son ignorance de la langue latine. Voy. Suétone, Claude, XVI; Dion Cassius, LX, 17.

2 Bacquet, Droit d'aubeine, V, ch. XXXVIII; Loisel, Instit. cout., règle XLIX, liv. I, titre I; Pothier, Traité des personnes, 1re partie, titre II, sect. IV, no 62 et s. Denisart, Collection de décisions nouvelles, vo François, nos 1 à 10. Ordonnance royale du 5 mai 1669 : « Défendons à tous nos sujets de s'établir sans notre permission dans les pays étrangers par mariage, acquisition d'immeubles, transport de leurs familles et biens, pour y prendre établissement stable et sans retour, à peine de confiscation de corps et biens, et d'être réputés étrangers. » Les rigueurs de cette ordonnance furent renouvelées en 1685, en 1698, en 1699, en 1704 et en 1713; mais il a été jugé par la Chambre des requêtes, le 13 avril 1830 (D. A. vo Droit civil, no 486), qu'elles n'ont jamais eu qu'un caractère comminatoire, c'est-à-dire qu'elles n'emportaient la dénationalisation, qu'autant qu'un acte de l'autorité publique avait dépouillé de sa qualité de Français le régnicole émigré.

3 Pothier, ubi supra.

« PreviousContinue »